MatooBlog

Pectus est quod disertos facit. ∼ Pédéblogueur depuis 2003 (178 av LLM).

Dans la ville des chasseurs solitaires

J’avais fait un éloge de Tom Spanbauer que j’avais découvert par son bouquin (encore dans l’excellente collection « domaine étranger » de 10/18 ) : L’homme qui tomba amoureux de la lune. En passant au Mots à la bouche dernièrement, j’avais vu qu’il sortait un nouveau roman, je m’étais donc jeté dessus avec une certaine avidité. J’ai mis un certain temps à le lire, car c’est un gros bouquin et surtout un bouquin riche et dense, un livre qui ne laisse pas indifférent et dont on ne ressort pas vraiment indemne.

L’auteur a mis 10 ans à écrire cette oeuvre majeure qui est d’ailleurs en partie autobiographique. Il y narre l’arrivée à New York d’un certain William Parker en 1983. Ce dernier atterrit de son Idaho natal, avec sa personnalité craintive et fébrile, à Manhattan à la recherche de son ami d’enfance et amant, un indien qui s’appelle Charlie 2Lunes. Ce dernier avait quitté l’Idaho après que William l’ait trahi pour de sombres motifs. Le récit s’articule autour de deux intrigues, la première c’est l’initiation de Will à la ville de New York… ses codes, ses créatures, ses personnages hauts en couleurs, ses désillusions. Et entre deux chapitres new-yorkais, s’intercalent un épisode du passé qui narre de plus en plus précisément la vie de William, ses rapports avec Charlie 2Lunes, et le pourquoi du comment de sa quête.

On retrouve dans ce livre tous les codes de Spanbauer et surtout tout un univers dans lequel j’ai vraiment adoré replonger. Ainsi on est confronté à des situations où la philosophie indienne, les rapports homos, les personnages initiatiques qui vous font changer la vie (un peu à la manière de « Dead Man » le film de Jim Jarmush avec Johnny Depp), l’enfance, l’adolescence et la vie adulte, le culte des morts et des ancêtres, etc. prennent une importance centrale dans la vie des protagonistes. William rencontre notamment un indien mystérieux qui lui sert plus ou moins de pythie, un toxico déjanté qui est follement amoureux de lui, une drag-queen black immense et charismatique avec qui il vit une histoire assez singulière et passionnelle. On suit l’épopée de Will dans un Manhattan pas toujours facile à domestiquer, la ville se révèle être un miroir aux alouettes où l’on ne reste pas longtemps sain d’esprit. Et puis, ce début des années 80 est aussi marqué par le SIDA qui a fait son entrée dans les médias et dans la conscience de tous. Les gens sont malades, de plus en plus, massivement, et les récits qu’il en fait son poignants et difficiles à soutenir.

Le bouquin se présente vraiment comme une saga, et est assez touffu et complet pour décrire avec précision et acuité toute une époque et un environnement. Cette description est passionnante et je retrouve vraiment une partie de ce que j’ai pu ressentir à New York. En outre, certains passages sont vraiment très drôles ou désopilants, d’autres émouvant à en pleurer, et parfois je suis resté scotché par des portraits d’une incroyable poésie ou des délires oniriques comme des montées d’acide. La scène finale est restée en moi, je lisais et je voyais exactement ce qu’il se passait, comme dans un film je me projetais des images et ressentais avec un sentiment de réalité saisissant les mots qui s’imprimaient en moi.

Ce mec est vraiment génial. Il nous livre un bouquin dur mais vrai, une histoire captivante avec des personnages hallucinants, et un talent littéraire indéniable. Le héros n’est pas parfait, il est bègue, pas très beau ni charismatique, mais d’une authenticité et sincérité qui le fait rayonner dans une ville de faux-semblants. On s’attache beaucoup à ce protagoniste, et à sa quête qui trouve une réponse douce et amère au terme d’un livre à la verve et à l’inspiration exceptionnelle.

Dans la ville des chasseurs solitaires - Tom Spanbauer

Les publications voisines

Post navigation

  • Je confirme.
    Pour ma part, je ne l’ai pas encore terminé, mais outre tout ce qu’a décrit Matoo, ce que j’aime aussi c’est la richesse des histoires.
    Un roman de romans.
    Une unité de tout.
    Un plaisir.

    Dis-moi Matoo, tu fais quoi comme beau métier ?

  • Je ne te lis pas depuis longtemps mais vu ton style, si tu annonces que tu écris un quelconque ouvrage je file l’acheter d’autant que tu n’es pas bègue (enfin je crois) et plutot charismatique par contre ;-)

  • Fliptom> Heu… on peut pas dire que c’est le plus beau métier du monde. Je fais du marketing pour un éditeur de logiciel de CAO. J’écris des trucs comme : ” PLM is a business strategy that helps companies share product data, apply common processes, and leverage corporate knowledge for the development of products from conception to retirement, across the extended enterprise. By including all actors (company departments, business partners, suppliers, OEM, and customers), PLM enables this entire network to operate as a single entity to conceptualize, design, build, and support products.” :blah:

    Gluon> Malheureusement, bloguer n’est pas la condition suffisante à pouvoir écrire un bouquin !! lol

  • Ce livre est véritablement génial. Je l’ai déjà lu deux fois (une fois par an, en fait, depuis que je me le suis procuré) et je n’arrive pas à m’en défaire dès que je le rouvre. C’est une oeuvre majeur de cette fin de siècle, du moins c’est mon avis, un talent minimaliste génial, une maitrise de la langue superbe (c’est encore mieux de le lire en anglais), bref, c’est certainement mon livre culte.

    Merci pour cette critique, qui rend bien hommage à cette oeuvre merveilleuse ;).

Répondre à Gluon Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

:sourire: 
:clindoeil: 
:huhu: 
:bisou: 
:amitie: 
:mainbouche: 
:rire: 
:gene: 
:triste: 
:vomir: 
:huhuchat: 
:horreur: 
:chatlove: 
:coeur: 
:doigt: 
:merde: 
:ok: 
:narval: 
:mitochondrie: 
:croa: