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Pectus est quod disertos facit. ∼ Pédéblogueur depuis 2003 (178 av LLM).

Sophie Calle : M’as-tu vue

La première fois que j’ai entendu parler de Sophie Calle c’était il y a quelques années, concernant son expérience artistique avec Paul Auster. A l’époque, cela m’avait interpellé car je suis fan de Paul Auster et se des personnages si étranges et charismatiques. Or, Jeff avait eu la bonne idée de m’offrir pour mon anniversaire, cette expérience hors du commun entre l’artiste et l’écrivain new-yorkais, narrée avec textes et photos dans un recueil dédié. Dans cette série de livres (aux éditions Actes Sud) intitulée « Double-Jeux », Sophie Calle se sert de l’un des personnages de Paul Auster, dont il avait fondé certains traits en narrant quelques épisodes de la vie de Sophie et en s’inspirant de l’artiste, pour, à son tour, endosser la personnalité du personnage de fiction de la manière exacte dont Auster l’avait dépeinte. Ainsi, Sophie a joué ce double jeux de la fiction et de la réalité avec Paul Auster, en effectuant des tâches (conserver ses cadeaux d’anniversaire, inviter un nombre de convives égal à son âge etc.) ou en s’astreignant à des rituels étranges (manger des aliments d’une couleur donnée chaque jour par exemple) qui scandaient la vie de ce personnage de fiction partiellement inspiré de Sophie, qui s’en est emparé alors en totalité.

Cette exposition au Centre Georges Pompidou reflète bien le sens artistique de Sophie Calle et la difficulté d’appréhender un tel énergumène au sein d’un musée. En effet, comme dans le cas d’Auster, on perçoit aisément l’adéquation du livre pour raconter son expérience et bien « montrer » l’objet artistique. Or, de manière similaire à Cocteau, cette exposition doit présenter un artiste qui fait de son existence même son art, et qui donc, par définition, est très difficile à dévoiler accrochée à un mur. Aussi il s’agit plus de plonger dans un univers, dans un ensemble de codes qui régissent une certaine notion du monde, et dans un univers sensible, affectif et poétique, ou bien dans le cas de Sophie Calle : dans une volonté de mettre en scène sa vie, plutôt que d’exhiber des oeuvres plastiques sur un piédestal.

Car la vie de Sophie est son oeuvre entière, une oeuvre drôle, émouvante, étrange, folle, obsessionnelle, démesurée, jubilatoire, triste ou décalée. Elle met en scène son existence, soit pour se trouver une raison d’être, ou bien pour exorciser ses peurs et ses trop-pleins d’affect, ou peut-être parfois par lubie et par jeu, tout simplement ? Elle présente dans cette exposition plusieurs de ses « expériences » et travaux artistiques, centrés autour de cinq de ses thèmes habituels. En général, elle vit quelque chose qui lui procure une intense émotion qu’elle tente de comprendre et de circonscrire en la ritualisant à l’extrême, puis en la reproduisant plus ou moins chez autrui, comme pour mieux l’appréhender et la maîtriser, jusqu’à en produire un ensemble de travaux qui trouvent une homogénéité dans l’origine biographique même de leur création.

Ainsi, pour « Douleur Exquise », elle part d’une douloureuse rupture sentimentale qu’elle lie à un voyage dont elle raconte l’histoire jour après jour jusqu’à ce qu’elle se fasse larguer. C’est la première étape de son travail. Ensuite, elle interviewe des gens sur leurs moments de plus extrêmes souffrances pendant des semaines (un par jour), et elle retranscrit leur discours en plus d’une photographie. Le récit est extrêmement bien mis en scène dans l’exposition, puisqu’on a d’abord la narration du voyage avec les lettres échangées avec son amoureux et des photos de voyages tamponnés en rouge d’une sorte de compte à rebours. Nous sommes alors « avant la douleur ». Et puis, la douleur se manifeste dans une chambre d’hôtel de New Delhi, reconstituée pour l’occasion et passage obligé des visiteurs entre les deux salles. Alors on passe à « après la douleur », et on lit la manière dont quotidiennement elle inscrit la douleur et remet en perspective sa propre expérience.

Les visiteurs peuvent ensuite passer dans des salles qui évoquent « Lits et Nuits Blanches » où elle a notamment photographié des gens qu’elle a invités dans son lit (Fabrice Lucchini fut de la partie d’ailleurs). Dans « Absence et Manques », on peut voir une incroyable série de textes et de photographies où Sophie Calle a demandé à des personnes aveugles de naissance leurs concepts et représentations de beauté ou de couleur. Elle relate aussi avec beaucoup de sincérité et de cocasserie la relation à l’argent dans « Images Muettes ».

Au final, j’ai le réflexe de penser qu’au fond c’est une fille de bourge un peu barrée, et qui n’avait rien à faire de ses journées, ou alors une fille vraiment ouf, et dont les relations et potes galeristes ont profité pour se faire de la thune. En effet, on peut se dire que si elle n’en avait pas fait des travaux artistiques, elle serait une folle comme beaucoup de quidams dans la rue, et qui n’a pu vivre son déséquilibre et l’avoir transformé en art que grâce à un milieu social privilégié. Mais la vidéo « Unfinished » m’a montré Sophie Calle comme quelqu’un de plutôt authentique, une personne qui a une vraie quête de sens, et qui désire s’exprimer par cette voie artistique salvatrice. En conséquence, je me dis qu’elle ne cherche pas tant à se la jouer, mais qu’on s’intéresse vraiment à elle, et qu’elle livre là les résultats de ses pérégrinations les plus décalées et dans le fond vraiment captivantes.

Par rapport à l’exposition, on peut juste se poser la question de savoir si lire le bouquin avec tous les textes et les photos n’est pas plus approprié à ce genre d’expression. J’ai aimé la manière dont la première partie était mise en scène avec la chambre, et c’est toujours bien d’avoir les photos en grand et exposés dans un musée. Néanmoins, la lecture in extenso des ouvrages doit apporter une connaissance beaucoup plus intime des expériences de Sophie Calle et certainement encore plus jubilatoire.

Comme Olivier, la réaction instinctive que nous avons eu avec Jeff et M. fut de dire qu’elle serait une remarquable blogueuse.

Sophie Calle

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  • Sophie Calle un mythe. Très jolie chronique de cette expo. il devient urgent que j’y aille à mon tour moi qui me suis une fois livrée au même type de double-jeux.

  • Parlant de Sophie Calle et du rapprochement entre l’art et la vie, il y a cette expo qui retrace l’histoire de l’internationale situationniste au Musée d’art moderne de Saint-Étienne… Si jamais tu passes par là. ;) Je me croise les doigts pour qu’on la retienne à Montréal!

  • Pardonne moi Tatoo mais cet importe-pièce ne sigifie rien: l’art contemporain (et tu le situes de quand à quand) est varié, riche, intense, parfois burlesque, osé, surprenant, gratuit, éphémère, agaçant, ravigorant, émouvant, pénétrant, volage, plastique, grave, subjectif, climatique, rouspéteur, assommant, stupéfiant, ultime, fracassant, libérateur, défoulatoire, vexant, fragile, incontournable, débile, profond, subtil, dégénéré, hilare, captivant, j’en passe et des meilleurs. On ne peut pas décemment dire: j’aime pas l’art contemporain.

  • Si on peut dire décemment “j’aime pas l’air contemporain” et je le prouve (vous ne pouvez pas le vérifier, mais je viens de prononcer cette phrase à haute voix devant mon clavier, et j’avais, je l’assure, l’air tout à fait décent).

    Pour répondre à la place de Tatou à la question de S. : de Duchamp à aujourd’hui (et, crains-je, à demain).

    Mais plus réac que réac, je commence déjà à moins aimer une fois passé Ingres.

  • De un : mon pseudo, c’est TatoU, pas TatoO, merci.

    De deux : j’aime pas l’art contemporain, c’est mon droit.

    De trois : je fais de l’histoire de l’art, ce qui légitime cette non-appréciation..

    Finalement mon “de trois” paraît assez bizarre, j’ai eu l’impression de taper une grosse connerie en l’écrivant…

  • Cette exposition m’a beaucoup intéressé, et il y a je pense aussi un peu de l ‘intimiste et du voyeurisme inhérent à tout blog. Je me suis plu sur le livre d’or, à décrire, un peu à son image, la succession d’individus qui croisaient les bâtiments, leur humeur, la musique qui passait, la réaction des visiteurs…C’était drôle.

  • hep ! tu m’appelles quand ?
    c’est p’tet’e le meilleur le meilleur moyen d’avoir de tes news… ce site, mais tellement ….distant…

    see you soon, take care

  • raf des opinions. Je regrette de ne pas avoir aimé l’expo sur place, quand je suis rentré chez moi je l’ai beaucoup plus apprécié (dans ma tête).
    Le receuil sorti par Sophie est plus maigre cependant, il ne regroupe que des extraits d’oeuvres. On peut cependant y trouver un bon résumé de ce qu’elle fait.

  • Salut! Je suis une blogueuse italienne, j’ai quitté paris hier soir (et je suis très très triste). J’ai vu l’exposition de Sophie Calle deux fois.. je l’ai aimée beaucoup!

  • Je sors de l’expo, elle me laisse un bon souvenir, un dépaysement …
    Moi aussi je trouve que vu la quantité de textes le livre est un meilleur support, d’ailleurs je devais acheter le livre …. mais je ne l’ai pas acheté….
    Le souvenir est là.

  • Bonjour,
    j’aimerais entrer en contact avec sophie calle et me demandais s’il n’y a pas un mail ou un gérant ou quelqu’un que je pourrais rejoindre… ou même une adresse postale ou lui envoyer un projet pour avoir un conseil…

    merci!

    Sophie Jessome
    be.psykedelik@gmail.com

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