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Pectus est quod disertos facit. ∼ Pédéblogueur depuis 2003 (178 av LLM).

Le Projet Laramie

Quand Matthew Shepard fut assassiné en octobre 1998, à Laramie dans le Wyoming, je m’étais senti particulièrement touché et impliqué. Il était aussi né en 1976, et c’était la première fois qu’une telle médiatisation de l’homophobie touchait le monde entier. J’avais parcouru pas mal d’articles à l’époque, mais nous commençons tout juste à avoir du recul sur cette histoire.

Afin de créer une pièce de théâtre sur le sujet, des membres d’une troupe sont partis à Laramie et y ont recueilli des témoignages extrêmement divers : un chauffeur de taxis, professeurs, le barman qui servait Matthew ainsi que le propriétaire du bar, des amis et amies à lui ou de simples connaissances, les petites-amies des meurtriers, les flics engagés dans l’affaire etc. Mais plutôt que d’en tirer la matière pour créer une pièce, c’est cette même matière qui est le coeur de la pièce. Donc sont présentés par dix comédiens (et comédiennes) talentueux ces interviews qui délivrent peu à peu leurs propos plus ou moins passionnés.

Au Vingtième Théâtre, la scène est plongée dans le noir, sans décor ou parfois des chaises, les dix comédiens sont presque toujours sur scène, et ils changent régulièrement et un peu mécaniquement de position. Chaque acteur joue plusieurs rôles, et nous assistons à des reconstitutions saisissantes des interviews de l’époque. « Saisissantes » car le jeu des comédiens est véritablement d’exception, non seulement dans la manière dont ils interprètent certains personnages, mais aussi pour la faculté de passer de l’un à l’autre (et parfois diamétralement opposés) en un clignement d’oeil.

Malgré tout il s’agit d’une oeuvre traduite de l’américain, et elle en a les qualités et les défauts. C’est une opinion très personnelle, mais les amerloques ne peuvent pas s’empêcher d’en faire des tonnes et de vouloir donner la larme à l’oeil, et là certains moments sont vraiment « too much ». Les écrans avec les vidéos, les musiques et certains éléments de mise en scène étaient superflus et desservent le sujet en versant dans un pathos surdimensionné. Heureusement, tout n’est pas comme cela, et la pièce permet aussi de traduire avec une belle sincérité et authenticité les sentiments et les pensées des gens impliqués dans l’affaire. Et en effet, l’affect développé par ces témoignages est très fort, et laisse le spectateur sur le carreau à plusieurs reprises. La pièce évoque aussi les différents jugements des protagonistes, et devient alors un peu plus « dynamique ».

On finit par oublier le manque de décor, et à la façon d’un « Dogville » les dialogues suffisent à replonger dans le drame. Similairement à « Vincent River » aussi, on retrouve à la fois le thème mais aussi cette manière de faire vivre des événements dramatiques par la simple force du récit et du jeu. J’ai aimé le fait que la pièce donne pas mal d’angles et de points de vue. Evidemment, nous sommes dans une présentation de Matthew qui reste assez idyllique et certainement peu réaliste, mais on devine aussi une histoire qui dépasse le simple « mythe » qu’on connaît maintenant.

J’ai découvert notamment que Matthew était séropositif, ce qui m’a vraiment étonné (pas qu’il le soit, mais de ne pas l’avoir appris avant dans ce que j’avais lu). Cela ne change rien à ce qui est arrivé, et même si Matthew les avait cherché (ou même avait voulu se les faire) ou quoi que ce soit d’autre, ce crime est une horreur absolue. Mais bien sûr, maintenant que la communauté LGBT en a fait son fer de lance de la lutte contre l’homophobie et son martyr, il est difficile d’en parler autrement qu’en termes encomiastiques.

Cette pièce, de par sa forme même, est un peu moins animée qu’une oeuvre traditionnelle, et donc peut un peu lasser par moment. Mais globalement j’ai vraiment aimé. J’ai été très touché par ce vibrant hommage et ce témoignage incroyable qui est ainsi gravé dans la pierre. Et quelle originalité que cette forme documentaire ! Avec des comédiens et comédiennes brillants qui insufflent énergie et passion dans l’interprétation de leurs personnages. Aussi cette pièce est une réussite qui vaut le détour.

PS : Ah oui, juste une erreur qui m’a chiffonnée. Sur la vidéo de la fin qui présente les dates de naissance de mort de Matthew, il est précisé : 1977-1998 en immenses lettres stylisées. Or Matthew est né en 1976… drôle d’erreur pour un hommage pareil.

L’avis des copines : Alex et Greg (excellent post !).

Le Projet Laramie

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  • Oui, je me souviens très bien de ce crime et à quel point le monde quotidien peut devenir soudainement si cruel et si brutal. J’ai été écoeuré par la manière de laquelle on essayait de justifier une « horreur absolue » et je suis d’accord on a changé le monde depuis cet évènement. Je te remercie d’avoir pensé à Matthew aujourd’hui pour que je continue d’être touchée par et ne jamais oublier tels crimes.

  • Ils en ont egalement fait un excellent film – Le Projet Laramie, donc, realise par le meme Moises Kaufman.

    Le moment le plus emouvant du film est quand la famille des meurtriers demande a celle de Matt de bien vouloir leur laisser la vie sauve, en ne reclamant pas la peine de mort. (Ceci dit en passant, c’est assez troublant que ce soit possible du point de vue juridique…) Pour la premiere fois, le pere de Matt prend la parole, lors du proces, et en profite pour dire ce que represente pour lui la mort de son fils, et ce qu’il ressent.

    Cette histoire est revenue a la memoire collective aux Etats-Unis, car la nouvelle de Brokeback Mountain se situe dans le meme etat du Wyoming.

  • hello

    juste pour info :

    le metteur et quelques comédiens se trouveront ce soir, mardi 4 avril, à 19h30, à la librairie bluebookparis 61 rue quincampoix 75004 paris, pour une rencontre autour la pièce

    … :)

  • bonjour,
    je voulais vous informer qu’après “le projet Laramie”, Hervé BERNARD OMNES est de nouveau à l’affiche, avec la mise en scène de “vive la France”, au théâtre clavel dans le 19ème.
    peut-être aurez-vous l’occasion de venir y assister et si vous appréciez, de parler un peu de nous autour de vous :-)

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