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Pectus est quod disertos facit. ∼ Pédéblogueur depuis 2003 (178 av LLM).

« Paso doble » par Miquel Barceló et Josef Nadj

Voilà une performance artistique que je ne serais certainement pas allé voir, si je n’y avais pas été convié par un pote du boulot. Mais comme je suis curieux, que j’avais entendu parler du peintre, que les performances ne me font pas peur (arf) et que je ne connaissais pas le théâtre des Bouffes de Nord, j’ai tenté le diable. Bien m’en a pris, car j’ai été totalement conquis par cet extraordinaire spectacle.

Concrètement, que se passe-t-il donc ? En quelques images, tout commence par un sol marron et un mur blanc, dont on ignore la consistance, et qui rapidement révèlent une terre glaise lourde, malléable et « attachante ».

« Paso doble » par Miquel Barceló et Josef Nadj

Et prosaïquement, voilà le résultat final :

« Paso doble » par Miquel Barceló et Josef Nadj

Les deux auteurs de ce spectacle, le peintre Miquel Barceló, et le chorégraphe Josef Nadj, deux pointures dans leurs domaines respectifs, commencent la performance habillés en costards immaculés. Et à la fin, ils ressemblent à ça :

« Paso doble » par Miquel Barceló et Josef Nadj

D’abord, on ne les voit pas, on les entend seulement frapper le mur blanc par derrière. Et puis, leurs efforts font apparaître des bosses, et des premières lacérations de la matière, et puis ils débarquent. Se met alors en place un jeu étrange, un jeu mais aussi une bataille, une occupation, une cérémonie, une fusion… Les deux communiquent de temps en temps, mais la plupart du temps sont plutôt sur des tâches en solo. Ils creusent la terre argileuse et pesante, ils la battent à coups de battes, de pics, de rabots. Ils la sculptent, la modèlent, la jettent, la déchirent, la piétinent, et puis Barceló peint même le résultat final en blanc. Ils auront aussi utiliser un tas d’objets en terre glaise, des poteries « crues » qu’ils se mettent sur la figure, et déforment pour en faire des masques monstrueux et comiques à la fois (cela fait penser à la scène de « Beetle Juice » où les Maitland essaient de se déguiser en fantômes effrayants).

Je sais que cela peut paraître un peu trivial ou bizarre, mais en y assistant j’ai au contraire perçu tout l’amusement qui réside aussi derrière ce travail, et aussi l’incroyable pouvoir qui émane de cette création vivante, instantanée, énergique et éphémère (la glaise est recyclée pour le lendemain). Il s’agit vraiment pour les auteurs se pénétrer la matière, d’interroger le rapport de l’artiste à ses matériaux bruts, et ainsi rendus gigantesques de renverser les « rapports de force » entre le sculpteur et la glaise.

Par contre, je m’attendais à un peu plus de « danse » ou de mise en chorégraphie de la part de Nadj, alors qu’il est sur le coup vraiment complètement l’objet du peintre. Barceló est au centre de la performance, car il reste le maestro de l’ensemble. Il faut le voir manier ses outils pour construire son oeuvre, à la fois guide, compagnon de jeu maître et esclave de la glaise. Le tout est accompagné d’une musique assez sommaire, plutôt un bruitage (pas forcément le truc le plus réussi d’ailleurs) qui rythme et scande les actes des artistes. A la fin, ils sont littéralement avalés par l’oeuvre, et ils s’en « retournent à la terre (glaise) ».

Au bout d’une heure, les deux hommes sont exténués, sont barbouillés de peinture et de terre, et on les sent enfin sortir de leur transe, pour mieux réaliser ce qu’ils viennent de créer, ce golem qui a de grands airs de famille avec les réalisations du peintre, et qui a laissé le public ébahi et essoufflé. Ce n’est pas non plus un spectacle complètement sérieux ou intello, au contraire les gens rigolent de les voir se crader comme ça, de les voir faire les clowns avec de la terre comme des gamins. On est dans un théâtre proche des gens, et dans une démarche très instinctive et naturelle, même si elle peut dérouter.

Ce spectacle avait été créé pour le festival d’Avignon de 2006, et je savais que cela m’était familier. J’ai repensé à la première émission du 6ème sens, et pour la première ImproPhoto (6ème rubrique), il s’agissait de l’affiche du festival justement. Cette affiche figure un homme qui traverse en partie un mur de glaise, et qui laisse des traces avec sa main. C’est drôle d’écouter à présent ce qu’avaient pu en dire et inventer les comédiennes.

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  • Si tu n’écrivais pas avec autant de maestria, je n’aborderais peut-être pas, avec autant de plaisir, ce genre de sujets. MERCI :pompom:

  • J’ai vu sur DVD le travail réalisé par ces 2 artistes : un pur moment de bonheur ! une envie irrépressible de faire comme, retrouver l’enfance, la terre glaise, l’improvisation pas si improvisée que ça, j’ai adoré.

  • Bonjour,
    je suis à la recherche du dvd du spectacle Paso Doble. Est ce que quelqu’un pourrait me dire s’il est en vente quelque part ou s’il est possible de le commander ?
    Merci d’avance

  • Bonjour, je suis une étudiante française en Histoire de l’art à Pau dans le Sud Ouest de la France.
    Et j’ai l’immence privilège d’avoir à réalisé un dossier sur votre vie d’artiste Monsieur Barcelo.
    Au fil de mes recherches je suis arrivée sur ce site je laisse donc ma trace.. Et sincèrement vous avez une approche de la vie et de l’art qui ne m’est pas indifférente…
    Je ne vous connaissez pas j’avoue avant d’avoir ce sujet d’exposé mais je suis ravie de cette “rencontre”.
    Cordialement

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