MatooBlog

Pectus est quod disertos facit. ∼ Pédéblogueur depuis 2003 (178 av LLM).

Leurs profits sont privatisés et leurs risques socialisés.

Je viens de lire cet article du Monde [via un mail reçu de M. Fox] qui est vraiment fort intéressant, et qui a produit un grand fiat lux pour moi. En effet, j’ai cette notion en moi depuis très longtemps, mais jamais je n’avais réussi à l’exprimer aussi simplement et avec cette concision. Je ne suis pas très intelligent, donc il est certain que d’autres l’avaient précédemment formulé, mais disons que là je suis tombés dessus.

Leurs profits sont privatisés et leurs risques socialisés.

Putain, mais c’est exactement ce qui m’a toujours choqué !! Là, il s’agit spécifiquement d’une citation de cet article qui traite de la manière dont le gouvernement américain tente de sauver le système financier du crédit immobilier. Cette ambivalence m’a toujours interpelé. Comment des gens libéraux peuvent-ils ainsi vouloir une telle intervention de l’état au moment où ça foire ? C’est tellement facile comme attitude, alors qu’ils sont les premiers à prôner l’individualisme, et à parler de sélection naturelle lorsque les plus fragiles deviennent encore plus démunis.

De la même manière, j’avais été choqué de voir des associations de « petits porteurs » français crier au scandale et demander la protection de l’état pour leurs portefeuilles dont les profits allaient comme peau de chagrin. Je sais bien qu’on ne peut pas non plus laisser l’économie se péter la gueule sans réagir, même en tant que libéral. Mais lorsqu’on a édifié le système, et que la machine infernale se retourne contre nous, j’aimerais qu’au moins ça puisse changer ou faire évoluer certaines thèses. Il n’en est malheureusement rien. Et j’estime qu’on ne défend pas là les plus à plaindre, et ceux qui souffrent vraiment de ces crises.

Vraiment la phrase est toute à fait explicite et éloquente : « Leurs profits sont privatisés et leurs risques socialisés. ». On veut bien gagner pour soit, et les riches doivent devenir plus riches, en donnant surtout le moins possible à la communauté. Néanmoins lorsque ça se casse la gueule, alors tout le monde (le gouvernement donc) doit permettre de remettre à flot cet inique mécanisme : les pauvres comme les riches. Et comme les riches eux peuvent défiscaliser, ce sont surtout les classes moyennes qui mettront la main au portefeuille.

Alors on met bien évidemment en exergue le fait qu’une économie florissante profite à tous, et que ce qu’on sauve aussi c’est une stabilité économique qui donne du boulot au maximum de gens. Mais je pense que ce n’est qu’un effet de manche, qu’un brouillard orchestré pour dissimuler les véritables enjeux. L’objectif c’est d’abord de se faire un maximum de pognon, ensuite si une conjoncture positive permet de donner du boulot aux gens, ce n’est qu’un effet collatéral optionnel.

Ces derniers temps, je m’étonne moi-même à utiliser ces expressions simplistes que sont « les pauvres » ou « les riches », mais force est de constater : la lutte des classes est de retour. Alors que je pensais que cette notion irait déclinante, elle nous revient en pleine gueule. Et les valeurs du gouvernement actuel montre bien comme la stratégie de classe est vaillante. Les castes se remettent doucement mais surement en place, les élites s’étanchéifient, les prolos s’abêtissent et s’endémolisent, les classes moyennes se pensent nanties alors qu’elles ne voient pas à quel point elles font partie de la prochaine charrette de laissés pour compte.

Mais quoi faire ? Comment réagir ? Faut-il laisser le système vraiment exploser ? Peut-on lui donner une « âme », des valeurs plus humanistes ? J’ai peur du chaos d’un grand changement de paradigme qui ne peut passer que par la violence (politique, sociale, économique… humaine quoi !), et je redoute aussi un retour à la normale d’une hypocrisie sans nom. Le gouvernement qui remet sur pied, avec l’argent de l’état, un système qui revient à prendre aux pauvres pour donner aux riches, tout cela sous couvert de croissance économique asphyxiée.

On parle souvent des « assistés » en France, mais plus rarement de ces assistés là, ces libéraux qui requièrent qu’on soutiennent ou qu’on revitalise leur organisation, leurs « acquis », leurs « privilèges »…

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  • rassure-toi, le gouvernement américain est tellement hésitant à renflouer les agences hypothécaires qu’aujourd’hui elles continuent à baisser fortement à baisser en bourse. Ce sont quand même des machins bizarres sans vrai équivalent en Europe (des agences de refinancement “sponsorisées” par l’Etat fédéral … et cotées en bourse) et c’était bien d’elles uniquement que parlait l’édito du Wall Street Journal que tu cites en titre.

    Quant aux associations de petits porteurs, je ne vois pas trop à quoi tu fais allusion. Elles peuvent bien s’exprimer aux AG …. mais honnêtement, tout le monde s’en contrefout, non ?

  • Je suis d accord, cela dit Besancenot utilise des mots très proches depuis longtemps (“privatisation des profits, nationalisation des pertes”).

    En fait, l objectif n est pas d aider les pauvres parce que ça ne rapporte rien. Soutenir ces banques, ça revient à tenir à bout de bras le système, éviter que tout ne pète. La question est donc : toi, Matoo et les autres, avez-vous vraiment intérêt à ce que le système pète ? Sans doute non et c est ce qui permet au système de tenir. Vous en êtes les défenseurs passifs … mais j aime quand même.

  • Zvezdo> Le truc des “petits porteurs”, j’avais vu à la télé y’a quelques temps. Le représentant d’une association qui demandait des aides par rapport à des petits porteurs qui avaient tout perdu ou presque, alors que les banques en gros s’en sortaient bien. Il en appelait à Nicolas Sarkozy pour sauver le système boursier. :ok:

  • Le “liberalisme” n’est pas un système non-interventionniste, il ne l’a jamais été. Il n’existe pas de marché régulé par l’ensemble des acteurs. En gros, il y a deux configurations :

    1)régulation de l’Etat minimale (ce qui revient à dire régulation sociale, les choix de régulation fiscaux existant toujours) et marge de décision des acteurs maximale. Dans ce cas, ce sont les plus pesants financièrement qui ont le plus de marge pour imposer leurs choix de marché, et celui-ci est régulé par une minorité qui fixe les règles du jeu. Cela revient à dire que la liberté du marché est égale à la liberté du plus gros d’imposer ses “lois” au plus petit. Il n’y a pas là de sélection ni d’évolution économique “naturelle”, au contraire : il se produit des phénomènes de concentration, et l’écodiversité est progressivement détruite. L’argument “libéral” qui consiste à faire appel à la métaphore de la nature (non sans appel caricatural à un darwinisme économique) est un leurre.

    2)Régulation accentuée voire maximale par l’Etat : c’est là où la régulation sociale devient possible. La fiscalité a alors pour vocation le retour vers les réseaux et services publics. Dans la réalité, la polarité profit (des gros acteurs économiques et financiers)/gestion étatique est complexe, et le calcul de la redistribution ne l’est pas moins. Il y a des tensions et des conflits d’intérêt, mais justement ces tensions sont rendues possibles parce que on n’a pas une concentration des pouvoirs sur les seuls acteurs.

    Dans l’idéal, on pourrait imaginer une régulation redistributive effectuée par les acteurs : et cela existe, ça s’appelle par exemple le micro-crédit (on en avait parlé chez Yves Duel). Mais dans le monde tel qu’il est, le possédant n’accepte facilement que de redistribuer le risque pour faire effet de lissage –ce qui n’est pas sans effets pervers, comme le montre la pratique du crédit vers les pauvres : les subprimes sont un bon exemple de cette “pensée du risque”, mais le crédit à taux élevés pour compenser le risque généré par la faible surface financière a déjà causé des crises majeures (en Amérique du Sud par exemple, en Afrique).

    la morale de tout ça pourrait être : “à force de presser le citron, à un moment y a plus de jus”.

  • flo> Un bémol : “Le “liberalisme” n’est pas un système non-interventionniste, il ne l’a jamais été.”. Cela n’est pas tout à fait juste. On devrait plutôt dire : “L’économie de marché n’est pas un système non-interventionniste, etc.”.

    Car le libéralisme est une idéologie, pas un système “existant”. C’est même l’une des dernières idéologies qui reste, celle qui s’est imposée face à toutes les autres. Quoiqu’il en soit, c’est ce qui fait que certains libéraux, plus ou moins ultras, s’offusquent de l’intervention étatique régulatrice (même a minima) comme contraire à l’esprit de leur doctrine (et la même raison pour laquelle les ultra-libéraux américains râlent beaucoup sur le fonctionnement du système économique aux Etats-Unis).

    On trouve par exemple des ultra-libéraux qui prônent l’idée d’une lutte de monnaies différentes à l’intérieur même d’un pays, chaque banque émettant sa propre monnaie : de cette lutte des monnaies internes, seules celles préférées par les acteurs seraient celles qui survivraient et qui s’imposeraient face aux autres. Dans ce sens, l’idée d’une monnaie unique comme l’Euro serait par exemple “anti-libérale”.

    Sinon, ok avec ce que tu expliques.

  • Quoi faire ? Ben, je sais pas s’il est possible de faire ou d’espérer quoi que ce soit. Pour reprendre ton expression, quand on voit que “les pauvres” votent régulièrement en faveur “des riches”. C’est donner le bâton pour se faire battre. Les français doivent être masochistes. Je ne vois pas d’autre explication.

  • @Arnaud

    très juste, la doctrine ou idéologie tendant à valoriser un mode de fonctionnement et le système en oeuvre sont deux niveaux distincts. Merci d’avoir donné la précision ! j’ai fait là un raccourci qui manque de rigueur.

    d’autant plus que le corpus libéral a considérablement varié depuis la V1. On devrait même parler, au vu du nombre de courants différents actuels, parler des libéralismes, le singulier à valeur générale tend à réifier le biniou.

  • @Ulysse

    wé ça marche. le micro-crédit est un exemple. Mais le principe du micro-crédit ne repose pas simplement sur une “privatisation” du risque, il se fonde dans une re-pensée du risque lié au prêt. Dans ce cas de figure, on n’a pas une opposition radicale entre le “profit” et le “social”, mais une rationalisation qui permet au prêteur de prendre un risque lissé, et à l’emprunteur de minimiser le sien.

    En fait, je crois que toute doctrine qui met en opposition “profit” et “social”, et qui tend à faire croire que cette opposition est naturelle et inhérente au cours des choses, est une doctrine qui porte en elle un échec. En ce sens, les courants “socialistes” (ou de gauche se voulant pro-sociaux) se trompent autant que les courants “libéraux”. Il n’y a pas plus d’incompatibilité entre le profit et le social, qu’entre la feuille de laitue et l’huile d’olive de Nyons.

  • Matoo, sais-tu que la place du colonel Fabien n’est pas très loin du XIème ? D’accord ça monte un peu, mais encore un petit effort, tu y es presque.
    Biz camarade

  • héhéhé ! (*)

    (*) expression “holophrastique” signifiant : tiens, tiens, ce sujet amène beaucoup de commentaires ; comme quoi la régulation économique et/ou sociale du marché, le rôle de l’Etat, le degré de libéralisme etc etc interpelle comme on dit.

  • La lutte des classes, on a l’impression qu’elle est de retour lorsqu’on n’a plus un rond soi-même ! Alors on ouvre les yeux.
    Mais rappelle-toi Marx:
    “l’histoire de toutes les sociétés humaines jusqu’à nos jours n’est que l’histoire de la lutte des classes.”

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