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Pectus est quod disertos facit. ∼ Pédéblogueur depuis 2003 (178 av LLM).

« Serial plaideur » de et avec Jacques Vergès au théâtre de la Madeleine

J’ai une immense fascination pour cet homme, et je suis allé le voir avec beaucoup de crainte et d’espoir… Je n’ai pas été déçu, bien au contraire, et je recommande vivement ce spectacle, ce texte et cet orateur hors-pair. Jacques Vergès offre un moment d’une inoubliable qualité, et tout est absolument remarquable, le fond comme la forme.

Le seul truc vraiment nul c’est le titre… bif bof. « Serial plaideur », un jeu de mot limite pourri et qui fait un peu cheap alors que l’avocat a écrit un texte, une plaidoirie même, d’une beauté et d’une intelligence tout à fait saisissantes. On retrouve Jacques Vergès avec ses qualités, mais aussi ses défauts, il est d’un narcissisme complètement dingue. Le type affiche en effet une mégalomanie sans borne, mais il compense avec une finesse inouïe dans son discours et son argumentation. Outre cela, et je ne m’y attendais pas, il développe une émotion à fleur de peau, et se livre avec une authenticité que l’on a jamais sentie auparavant chez cet avocat, ce professionnel de la rhétorique et de la démonstration.

La pièce est donc un long monologue où Jacques Vergès n’est autre que lui-même, dans son bureau, avec ses souvenirs et son édifiante carrière. L’homme fait face au public, et il va s’exprimer pendant plus d’une heure sur son expérience de défenseur, un défenseur envers et contre tous. Car ce en quoi croit cet homme, c’est la présomption d’innocence, et surtout la volonté d’expliquer les cheminements de ces hommes et femmes qu’il défend. En mettant en lumière leurs démarches, tout ce qui entoure leurs vies, leurs destinées, l’avocat met en exergue les mécanismes qui ont pu mener à une funeste conclusion. Il n’excuse pas, mais il remet en contexte, il tente d’écarter les oeillères de la morale bien-pensante et des ordres établis pour donner à tous un procès équitable et plus juste, à son avis.

On peut aimer ou pas le personnage de Vergès, mais on ne peut y rester insensible. Il narre son opinion de la justice, ou plus largement de la chose judiciaire, à travers trois exemples concrets. Il s’agit d’Antigone, Jeanne D’Arc, et Julien Sorel, qu’il décrit comme une tragédie, un procès et un roman. En citant et racontant ces histoires, il évoque ces trublions d’une époque qui lui tiennent particulièrement à coeur. Ces anticonformistes qui ont été en lutte contre la société, qui se sont marginalisés, et ont payé de leur vie ces “écarts”, et ce qu’ils pensaient être “justes”. Et il prend comme exemple contemporain, sa propre expérience de défenseur lors de la guerre d’Algérie, et notamment son combat pour Djamila Bouhired (qui sera sa femme plus tard).

Le décor est assez troublant puisqu’il s’agit d’une réplique du bureau de Vergès, avec quelques éléments qui doivent certainement en dire long pour ceux qui connaissent mieux le personnage. Et l’avocat a l’air très à l’aise sur cette scène qui est son lieu de travail familier, tout en étant délocalisé dans un théâtre. J’ai beaucoup aimé cette mise en abîme, que l’on oublie en quelques minutes, tant le personnage capte votre attention, et ne la relâche qu’au dernier instant. Et puis, ce texte… énorme (je l’ai acheté en sortant). L’écriture est superbe, très riche et bourrée de références culturelles, tout en étant fluide et limpide dans sa bouche. On reconnaît bien là un des pénalistes les plus éminents de France, mais aussi le bretteur au verbe aiguisé et précis. On prend un plaisir fou à l’écouter, et il est tellement doué qu’il paraît difficile de ne pas succomber à son argumentation sans faille.

Je pourrais évoquer des heures ce moment privilégié, et ses mots me sont restés en tête toute la soirée. Rares sont des moments de théâtre aussi originaux et percutants pour moi.

« Serial plaideur » de et avec Jacques Vergès au théâtre de la Madeleine

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  • C’est quand même une démarche bizarre, faire du théâtre avec sa propre carrière. La plaidoirie, c’est peut-être (un peu) du théâtre, mais le coup de la mise en abyme sur scène de l’avocat qui pousse la mise en scène de lui-même jusqu’à s’assumer ouvertement comme comédien…

    Je ne sais pas, ce doit être fort à voir mais je crois que ça me mettrait mal à l’aise.

  • merci , je vais y aller. Je crois qu’on ne connait pas bien la vie de cet homme, il doit y avoir des choses troubles dans son passé, ses amours,ses pulsions, pour defendre les peu defendables avec tant de talent et d’humanisme.

  • Je suis avocat et je suis allée voir ce spectacle qui est, tout simplement le reflet de la vie de l’avocat et plus particulièrement pénaliste. c’est un magnifique hommage à la profession et à ceux qui osent user de ce contre pouvoir qui est le nôtre, aujourd’hui trop souvent oublié ou tout simplement mis à mal car la tâche est rude face à la machine judiciaire (OUTREAU n’est pas qu’un cas ).
    Alors merci mon Cher Confrère ……et pour ceux qui se trouveront, un jour peut-être face à un juge….. , la seule chose que je leur souhaite et quel que soit l’enjeu: qu’ils aient un Avocat comme celui-là, qui défend et assiste jusqu’au bout et même au péril de sa vie (ma pensée et mon soutien à mon Confrère Karim ACHOUI incarcéré et en danger )!

  • Ce n’est qu’un avocat manipulateur avide d’affaires médiatiques. L’affaire Omar HADDAD, même s’il n’est pas parvenu à ses fins sur le volet des tribunaux du fait des charges accablantes en est la parfaite illusion. Il a tout de même réussi à influencer les médias et obtenu une grâce partielle qui n4est une insulte à la justice.

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