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The Second Woman au Théâtre des Bouffes du Nord

The Second Woman au Théâtre des Bouffes du Nord

Un spectacle au pitch incompréhensible et plus contemporain tu meurs, ce n’est pas toujours ce qui m’attire au premier abord. Mais avec le théâtre des Bouffes du Nord, où j’ai eu quelques chouettes expériences, et avec Jeanne Cherhal en figure de proue, alors je n’ai pas hésité. Bien m’en a pris car j’ai passé un moment aussi agréable que ce spectacle est ovniesque à souhait.

Je dis que c’est super contemporain parce que tout cela repose sur une référence déjà très intello, à savoir un film (apparemment connu hein) de John Cassavetes de 1977 : Opening Night. Mais au bout de quelques minutes, on comprend vite qu’il y a une certaine liberté dans l’adaptation, et ça part tellement dans tous les sens, qu’on se détache rapidement de tout repère narratif. En général, je crains un peu ce type d’approche, car ça veut souvent dire : muet, immobile, contemplatif et pour finir carrément chiant. Mais là absolument pas, on est au contraire captivé à mesure que l’intrigue de déploie et se complexifie, et se déconstruit carrément. Parce que l’ovni qui est présenté repose sur quelques talents, beaucoup de plaisir pris sur scène, et une inventivité telle que je n’ai jamais ressenti au théâtre, un souffle créatif qui vous traverse et ne peut laisser insensible.

En gros, on a une mise en abîme de base puisque le spectacle présente la répétition d’un spectacle ou d’un tour de chant, avec trois chanteurs, un homme et une femme dans un registre plutôt (carrément) lyrique, et Jeanne Cherhal qui tente d’ailleurs de remplacer la chanteuse en titre. La répétition ne se passe pas très bien, entre les caprices de la diva, et un metteur en scène qui tente de faire passer ses idées, tout en essayant de concilier les désirs des uns et des autres.

On doit donc rapidement oublier l’aspect formel d’un spectacle avec une narration linéaire et une histoire, là on est plutôt dans le récit cubiste, et non seulement pour le fond et surtout pour la forme. En effet, ce qui m’a le plus surpris c’est la richesse et la variété des modes d’expression. Je comprends qu’on puisse appeler cela un “opéra” parce que les créateurs du spectacle (mise en scène de Guillaume Vincent, musique de Frédéric Verrières et livret de Bastien Gallet) en explorent toutes les possibilités, et en inventent même d’autres.

Cela commence par un très beau moment, où Jeanne Cherhal allume les candélabres d’un grand luminaire qui éclaire ensuite le théâtre d’une lumière diaphane et est lentement remonté. Le début est assez traditionnel, on a relativement nos marques, on est plutôt dans un schéma classique, et l’intervention même de la chanteuse lyrique avec la sonnerie ridicule de son mobile en plein théâtre vient casser cela avec humour et une rupture inattendue. Serait-on dans un boulevard finalement ? Je pense que les auteurs et comédiens s’amusent avec tous les codes de l’expression artistique et corporelle, en nous gratifiant de scènes qui mêlent à l’envi : chorégraphie, chants lyriques, chansons, musiques classiques, électroacoustiques, orchestrales ou enregistrées, remixées, vidéos, effets spéciaux en temps réels etc. Il y a une énergie folle qui se dégage de tous ces univers qui s’entrechoquent et se répondent, mais étrangement avec une belle unité, ce qui donne au spectacle une certaine “tenue” et permet de s’accrocher sans trop trouver le temps long (même si quelques longueurs sont tout de même à déplorer).

Les surprises sont aussi magnifiées par ce sublime théâtre dont le décor originel si dépouillé et “industriel” se prête bien à cette mise en abîme, et la manière dont ils ont imbriqué les décors, en découvrant acte après acte des pans entiers de la scène. On découvre alors que la vidéo ou la musique n’étaient pas ce qu’on pensait, et de support de fond, ces artefacts théâtraux deviennent des entités propres de la pièce. Je reproche tout de même la déconnection pure et simple de la narration, mais j’ai adoré la mise en scène et la manière dont le spectateur est guidé dans ce spectacle polymorphe. C’est souvent drôle, parfois inquiétant, les effets théâtraux sont exploités au maximum des possibilités offertes, et on casse des vases sur scène, et on danse collé-serré dans des positions plus que suggestives, et les artistes ont l’air de s’amuser et de se donner à fond dans cet opéra aussi barré que prolifique.

Encore une belle surprise des Bouffes du Nord donc, et une toujours merveilleuse Jeanne Cherhal qui non seulement s’amuse sur scène, mais offre aussi une superbe présence en plus de pousser la chansonnette avec le talent qu’on lui connaît. Cette oeuvre est étrange et charmante, intrigante et intello en apparence mais à prendre à mon avis aussi simplement et instinctivement que je l’ai fait. C’était très fort de réussir un carambolage pareil d’expressions artistiques sans fausse note ou dérapages, une collision météorique à impacts multiples qui finit par trouver un ton, un rythme, un mouvement rectiligne uniforme (malgré les frottements) qui s’impose aux spectateurs.

The Second Woman au Théâtre des Bouffes du Nord

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