MatooBlog

Pectus est quod disertos facit. ∼ Pédéblogueur depuis 2003 (178 av LLM).

Jacques-Henri Lartigue

Après tout, il est logique que le blog ne soit pas l’apanage d’une génération donnée, on sait bien que rien n’a été créé mais que tout se recycle. Et bien, imaginez que Jacques-Henri Lartigue est certainement le premier blogueur et surtout photologueur du siècle !

Je suis allé avec Nabil voir l’expo au Centre Georges Pompidou en nocturne. D’ailleurs je conseille vivement l’option nocturne (le jeudi jusqu’à 23h) puisque nous étions plus que tranquille pour flâner à notre envie sans être pressé ni oppressé par la foule. J’ai été vraiment étonné de ce que j’ai appris sur l’homme que je ne connaissais qu’en tant que photographe. En fait, il est resté jusqu’à très tard un simple amateur qui prenait des photographies pour son usage propre et son envie de conservation des événements de sa vie.

Jacques-Henri Lartigue est né en 1894 dans une famille de bourges finis (= aisée) et son père lui ayant offert un appareil, il a commencé à prendre et collectionner des photos depuis 1902 (il avait 7 ans). C’est un fou de la photo, il en a pris plus de 250 000 et a constitué à partir de là une gigantesque collection dans des albums chronologiques qui retrace les images de toute sa vie. En plus de cela, il donnait une grande importance à l’écriture (dans ses journaux intimes et en légendant ses albums) et fut un peintre reconnu. Apparemment, la photo, l’écriture et la peinture étaient une seule et même expression de soi qui lui était essentielle. Sa vie était placée sous le signe du bonheur, de l’insouciance, d’un optimisme acharné et de toutes les découvertes techniques qui ont révolutionné le monde comme l’aviation ou l’automobile. Il a pris en photos pas mal de célébrités de l’époque simplement parce qu’il les fréquentait (Yvonne Printemps et Sacha Guitry notamment), des sportifs, des acteurs, il a photographié des matchs de tennis, des tournage de cinéma etc. Ce qui est hallucinant, c’est qu’il soit resté amateur jusqu’en 1963 où le Museum of Modern Art (MoMA) de New-York lui consacre une exposition. A ce moment il est découvert dans le monde entier et vite considéré comme un génie du genre.

L’exposition commence par le commencement en reproduisant cette première exposition du MoMA à New-York. On découvre alors les photos de jeunesse de Lartigue, ce sont des photographies de famille et on remarque déjà sa manière de capturer l’instant et surtout le geste en suspens, les gens qui sautent et sont statufiés dans les airs. Ensuite, sont chronologiquement exposés tous les albums du photographe, de sa naissance à sa mort. Certains journaux intimes sont aussi présentés, ainsi que des photographies en stéréoscopie (très vieux procédé consistant à prendre deux photos d’un même sujet puis de les mettre en place dans un système de manière à rendre l’illusion du relief) et surtout, toutes les photos sont illustrées de ses pensées et des extraits forts éloquents de ses journaux.

J’ai vraiment adoré ce moment passé à Beaubourg. La mise en scène de l’expo est excellente et la manière dont elle est organisée et expliquée est claire, sagace et passionnante. En outre, certains tirages photos étant fragiles, la luminosité ambiante est inférieure à 50 lux ce qui produit une atmosphère intimiste particulièrement propice à regarder des albums de photos (album de famille avant tout), et plaçant le visiteur au coeur de cet univers en noir et blanc. Cette collection couvre des décennies d’une richesse incroyable et l’oeil de Lartigue a tout capté et consciencieusement catalogué. L’intérêt est autant dans la curiosité qu’on a de découvrir des époques, des tendances, des styles que dans la qualité et la teneur artistique intrinsèque de ces clichés. On passe des dames bourgeoises de l’avenue du bois en 1911 aux séries sur les minijupes avec des photos de gambettes dénudées des années 60. On suit la vie intense et fascinante de ce personnage qu’on voit traverser les époques avec une même candeur et un optimisme à toute épreuve.

Cet homme prône le bonheur et nous expose le sien avec beaucoup de passion, ainsi que ses pensées qui sont pratiquement des aphorismes et qui fleurissent sur les murs. On comprend bien d’ailleurs ses raisons, il passe son temps à faire des photos de sa famille, ses loisirs, ses voyages, tandis qu’il fréquente les gens du « monde » et semble totalement détaché des réalités. C’est l’approche la plus négative que je peux développé à son sujet. D’ailleurs il en parle lui-même en expliquant qu’il est dans une sphère de bonheur et qu’il ne veut pas en sortir. On ne peut pas lui en vouloir en effet. Mais je ne peux m’empêcher de réagir quand je vois toutes ces photos qui passent tout le 20ème siècle sans une anicroche ou un cliché un peu plus nuancé ou affecté. Et notamment, il est choquant de constater la vacuité des photos dans les périodes de guerre, ou bien la manière absolue de présenter les choses de manière un peu candide et résolument optimiste. Il a retenu de la guerre le 14 juillet et la libération… un peu juste comme illustration. Il photographie quelques étudiants en train de faire une banderole en mai 68… mouai. « Peut mieux faire ». Donc on assiste tout de même à une exposition qui retrace la vie d’un nanti, à l’abri dans un cocon familial bien solide, et qui par la suite reste engoncé dans les mêmes schémas normatifs.

Je ne pouvais pas être complètement positif sur l’expo qui est parfaite dans sa forme, sinon je pense que j’aurais été berné de croire que le monde fut si beau et parfait, vu ce que moi j’en vois depuis une vingtaine d’années. Mais il n’en reste pas moins que ce Jacques-Henri Lartigue a vécu une vie superbe et artistiquement colossale, qu’il a pris des photos incroyables, et que passer une heure et demie à se balader dans sa vision du 20ème siècle est plutôt bon pour le moral.

Les publications voisines

Post navigation

  • Eh bien voilà de quoi me programmer une sortie jeudi en 15 :-)
    Juste un petit détail sur cette collection: elle ne couvre pas des décades (périodes de 10 jours), mais des décennies ;-)

  • Je confirme : j’étais bien à l’expo avec matoo. A la lecture du blog je me rend compte que j’ai un peu rapidement visité l’expo (attendu un pti moment matoo dehors…). Ce blog est donc VRAI et INSTRUCTIF.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

:sourire: 
:clindoeil: 
:huhu: 
:bisou: 
:amitie: 
:mainbouche: 
:rire: 
:gene: 
:triste: 
:vomir: 
:huhuchat: 
:horreur: 
:chatlove: 
:coeur: 
:doigt: 
:merde: 
:ok: 
:narval: 
:mitochondrie: 
:croa: