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Pectus est quod disertos facit. ∼ Pédéblogueur depuis 2003 (178 av LLM).

Milk

Un film au titre sobre et laconique, un nom de famille qui est un nom commun, et qui va certainement susciter bien des interrogations lors de sa sortie. Est-ce que ça parle de lait ? Ou bien, pour les gays qui s’intéressent aux réalisations de Gus Van Sant et qui ont fréquenté la fin (des sous-sols) du Palace, un documentaire sur les soirées Milk ? Et pourtant, cela fait maintenant 30 ans qu’Harvey Milk a été assassiné à San Francisco, en même temps que le maire de la ville, George Moscone.

Harvey Milk était superviseur de la ville et le premier élu ouvertement gay des USA, il était surtout un grand activiste de la cause homosexuelle à San Francisco, plus largement en Californie, et plus largement encore aux États-Unis. Lui et Moscone ont été assassinés par un autre superviseur, Dan White, dont les motivations demeurent encore assez floues.

Le film commence en 1970, donc nous sommes après Stonewall, et même si la condition des homos est toujours aussi précaire, au moins en parle-t-on un peu plus dans les médias. Les gays sont de plus en plus visibles et luttent contre les stigmatisations dont ils sont les victimes. C’est à New York, dans le métro, qu’Harvey Milk, qui a tout juste 40 ans, rencontre Scott Smith. Ce dernier devient son amant pendant plusieurs années, et le couple se rend à San Francisco, dans le quartier de Castro, pour mieux vivre son homosexualité. Gus Van Sant rend compte de ces huit années d’activisme de Milk, de ses combats pour plus de visibilité et d’égalité, jusqu’à son incompréhensible assassinat en 1978.

Une histoire passionnante et le talent de réalisateur de Gus Van Sant
Finalement, c’est un film à la trame assez classique que nous livre le réalisateur. On connaît Gus Van Sant comme un cinéaste inspiré et qui se focalise sur de jeunes corps de mecs dénudés, ou bien qui narre des histoires sombres et mornes, avec un style, une lenteur et une préciosité qui en agacent pas mal. Je ne suis pas fan de ses histoires en général, mais je suis rarement déçu par sa manière de tourner et surtout son oeil extraordinaire qui fait de la caméra un outil qui scrute véritablement l’âme de ses comédiens. J’ai beaucoup aimé Milk car le scénario n’est visiblement pas signé de Van Sant, et il s’empare donc de la réalisation d’un film dont le fil est tracé, dont les étapes sont consignées et respectées, et qui finalement raconte de manière assez chronologique et “sage” les différents événements de la vie d’Harvey Milk. Il ajoute simplement à cette trame fidèle sa manière de filmer, et son indéniable talent pour révéler les personnalités des jeunes pédés affriolants et révoltés des années 70. On retrouve donc toutes les qualités formelles du cinéaste, avec une histoire intrinsèquement passionnante et touchante.

Le film alterne entre des passages tirés de documents d’époque, souvent au grain grossier et à la pellicule décolorée, des faux reportages tournés à la manière des années 70, et plus généralement des scènes filmées de manière traditionnelle. Mais ces dernières sont dotées d’une reconstitution des plus minutieuses et soignées des années 70, que ce soit dans les vêtements, coiffures, voitures, extérieurs ou bien accessoires (les montures de lunettes avaient un sacré style). Gus Van Sant n’en fait donc pas trop et se consacre pleinement à son récit, à cette narration structurée et structurante, pour un film dont le sujet est bien assez haut en couleur pour éviter une quelconque pédanterie.

Cependant, le réalisateur instille ça et là des marques bien reconnaissables de son talent. Ainsi on retrouve sa manière de filmer les corps, les hommes qui s’embrassent, font l’amour, ou simplement se frôlent, se regardent profondément… Il greffe au jeu des comédiens (déjà très bons pour la plupart) sa propre interprétation des événements, des relations entre les protagonistes, et même des sous-entendus dans la motivation du meurtrier. Il ne s’agit pas d’un documentaire, mais bien d’un film avec son lot d’émotions, de rencontres amoureuses, de trahisons et autres manigances. En ce sens, cette “biopic” est particulièrement réussie dans son mélange des genres.

Des comédiens bien dans la peau de leurs personnages
Côté comédiens, il est difficile de faire la fine bouche… Sean Penn est incroyable dans le rôle d’Harvey Milk, et totalement en phase avec son personnage. On sent tour à tour la vigueur et la passion du militant, mais aussi ses propensions à la manipulation politique, ou bien sa sensibilité à fleur de peau dans ses relations amoureuses. James Franco en tant que petit ami de Milk nous régale de ses sourires ravageurs et décidément très “James Dean”, en plus d’être excellent dans ce rôle. Les autres comédiens sont crédibles, avec notamment Josh Brolin (Dan White) et Emile Hirsch (Cleve Jones) qui s’étaient démarqués respectivement dans W et Into The Wild.

En 1975, Harvey Milk et son compagnon ont ouvert une boutique de photo dans Castro Street, rapidement devenue le point de ralliement des homos du quartier. On voit Harvey/Sean Penn, qu’on appelle déjà le “maire de Castro”, qui milite pour encore plus d’émancipation et pour un véritable renforcement du sentiment communautaire. Il se décide donc à briguer un poste à la mairie. Il échoue à plusieurs élections, mais finalement le changement de sectorisation (Castro est découpé comme un seul secteur, et donc le vote “gay” le fait clairement élire) lui donne un poste de superviseur (une sorte de conseiller municipal).

De la Proposition 6 à la Proposition 8
Le film présente toutes les étapes de la transformation du militant en politicien. Milk arrive peu à peu à convaincre aussi les autres minorités, et à faire passer des directives anti-discriminatoires pour la ville de San Francisco. Mais le point d’orgue du film est la campagne contre une célèbre proposition homophobe: la “Briggs Initiative”, aussi appelée “Proposition 6”. C’est certainement là où le film est le plus troublant, dans son inquiétant parallèle avec la fameuse Proposition 8 qui vient de passer en Californie.

Certains passages du film sont issus de documents télévisuels qui présentent une campagne homophobe — menée par Anita Bryant (et les ultrachrétiens du coin), une chanteuse américaine populaire — qui consistait à faire licencier les professeurs homos ou ceux qui les soutiennent! Cela n’est pas sans faire penser aux charmants discours anti-Pacs de Christine Boutin. On entend Anita Bryant expliquer sans ciller que les homos, étant incapables de se reproduire, doivent bien recruter de nouvelles proies. Et cela se fait évidemment dans les écoles, et c’est pour cela que les homos deviennent profs. Ces conservateurs avaient même en tête des entretiens psy pour débusquer les gays…

Harvey Milk part en véritable guerre contre la Proposition 6, et fait campagne pour convaincre tous les gays des USA de sortir du placard! Cette partie du film est assez saisissante car elle démontre bien comment en 1978, une mobilisation nationale a pu permettre de faire largement annuler une proposition aussi décadente. On ne peut alors que penser au ballotage favorable de la Proposition 8… Et la démonstration est tellement saillante que je me demande même si le film n’aurait pas dû être sorti avant pour son effet politique.

Et ce meurtre… Apparemment décorrélé de toute politique, en tout cas d’homophobie, c’est un sacré coup de folie qui a poussé un autre superviseur à assassiner le maire, George Moscone, et Milk, quelques minutes plus tard.

Il semble que d’autres films sont en préparation sur la vie d’Harvey Milk, mais il va être très difficile de faire mieux, et surtout concernant l’interprétation de Sean Penn.

Milk

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