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Le Maître de Garamond (Anne Cuneo)

Le Maître de Garamond (Anne Cuneo)

J’ai entendu parler de ce bouquin alors que j’avais écrit un post qui expliquait ma passion pour la typographie et les polices d’écritures, et on m’avait conseillé dans les commentaires de lire ce bouquin. Oh quelle bonne idée !! Exactement le genre de bouquin que j’adore, et que je relirai plusieurs fois dans les années à venir. Il s’agit d’un roman mais qui se base sur des faits tout à fait historiques et avérés, d’ailleurs la bibliographie d’Anne Cuneo est d’une précision et d’un foisonnement assez incroyable (elle s’explique assez largement sur ses sources et ses décisions d’‘écrivain).

Vous connaissez tous la fameuse fonte Garamond, et j’avais déjà précisé qu’il s’agissait d’un véritable personnage : Claude Garamond. Il nous vient directement du fond des âges de l’imprimerie, au 16ème siècle, alors qu’elle est une véritable révolution pour l’époque. Le bouquin traite d’un personnage encore plus majeur mais que je ne connaissais pas (faute d’une police à son nom que je connaisse !!) : son maître Antoine Augereau. Ce dernier était un génie du genre, et il était à la fois imprimeur, libraire, éditeur, graveur, fondeur bref il faisait tout ce qui tourne autour de la création et conception d’un bouquin. Il est connu pour avoir été condamné à mort suite à l’affaire des placards qui est le détonateur des premières persécutions des (futurs) protestants, et annonce les prémices des infâmes guerres de religion en France.

Nous sommes dans les années 1520 et le narrateur n’est autre que Claude Garamond. On va apprendre pas mal de choses sur sa vie, mais la personne la plus importante qu’il rencontre, tant intimement que professionnellement, est Antoine Augereau, celui qui va lui enseigner tous les rouages de son métier de graveur et imprimeur. Le roman fleure bon le Moyen-Âge avec une ambiance et un style aussi noir et gothique que « Le nom de la Rose », mais aussi des rencontres et des références qui font sourire et rêver. En effet, on assiste à la naissance du caractère romain, à l’incursion du français au lieu du latin dans les ouvrages (ce qui était interdit) et à l’avènement de personnages historiques hors du commun comme l’immortel Clément Marot ou le truculent Rabelais.

Anne Cuneo écrit à la fois un bouquin très détaillé et historiquement passionnant, mais aussi un roman qui se lit très bien. Evidemment il faut aimer lire en prenant son temps, on est vraiment pas dans un roman américain moderne avec du « page turner » qui fait mouche, mais le style est affirmé, les références cultururelles foisonnent, et la galerie de personnage est assez romanesque pour que la sauce prenne.

J’ai beaucoup aimé toutes la réflexion politique sur le passage du caractère gothique au romain, et aussi celle du passage du latin au français. Il s’agit clairement de démocratiser la lecture et l’impact des livres sur tout un chacun, et c’est le moment de l’histoire où le français devient un des éléments distinctifs de notre nation. Conserver le latin comme langue d’écriture était un moyen de réserver le savoir à quelques nantis, et cette libéralisation a été salutaire. Mais je ne peux m’empêcher de penser que l’on a alors aussi par la même supprimé cette incroyable lingua franca qui permettait au monde entier de se comprendre… Ce sont les mêmes débats aussi qui ont toujours lieu aujourd’hui quand on veut simplifier l’orthographe ou quand on se projette dans une future syntaxe smsisée qui fait un peu peur (aujourd’hui). Le plus triste c’est de perdre la faculté à lire la langue de nos anciens et donc à les comprendre. Mais de toute façon, je suis bien incapable de lire Rabelais en ancien-français, ce qui est plus grave c’est que certaines personnes aujourd’hui ne sont plus capables de comprendre un texte dans leur langue par des personnes dont le niveau de langage est plus élevé. Mais c’est un autre débat…

Le livre met donc en lumière tous ces inventeurs de l’écriture et de la lecture qui ne sont vraiment pas très connus aujourd’hui (par un béotien comme moi évidemment), mais qui ont apporté énormément à l’évolution des sociétés de l’époque. C’est aussi le moment des réformes en tout genre, et un des autres thèmes centraux du bouquin : le protestantisme. La fin d’Augereau notamment est provoquée par l’affaire des placards et surtout par le fait que ce dernier a continué à publier les ouvrages sulfureux de la soeur du roi : Marguerite de Navarre qui arguait ainsi de sa foi contraire aux principes édictées par la Sorbonne.

On se croit vraiment au 16ème siècle avec en plus en figure de proue des chapitres des lettrines du Maître Augereau, et une postface passionnante dans laquelle Anne Cuneo partage quelques épisodes de la genèse du roman. On comprend les détails historiques utilisés, les libertés qu’elle a pris grâce aux nombreuses zones d’ombre ou floues, et surtout le travail titanesque qui a conduit à cet ouvrage.

Le Maître de Garamond (Anne Cuneo)

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