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Les Sables de la mer (John Cowper Powys)

Les Sables de la mer (John Cowper Powys)

Parfois le hasard me fait poser les yeux sur une phrase et je me note quelque part de lire tel ou tel bouquin ou auteur. Là c’était Patrick C. sur Facebook qui livrait au détour d’un statut qu’il n’avait jamais lu plus belle histoire d’amour que dans ce bouquin. Cela m’a interpelé, et quand j’ai vu le nom de l’auteur (dont je n’avais jamais entendu parler) et le fait que le roman datait de 1934 ça m’a encore plus intrigué. Et puis quand j’ai trouvé des epub gratuits de ce roman de 79 ans, je me suis dit que ça valait le coup de s’y coller.

D’abord la lecture de ce roman (traduit de l’anglais donc, mais la traduction véhicule aussi un style et un niveau de language) m’a fait réaliser à quel point j’aime les bouquins bien écrits et un peu exigeants même s’ils sont plus difficiles à lire que les autres. 80 ans d’évolution de la langue montre que même avec nos méthodes modernes de conservation et une volonté de transmission intacte de l’usage linguistique, cela ne fonctionne que très moyennement. Je pense que pour quelques jeunots, cette écriture est aussi cryptique qu’un Rabelais en vieux français (j’exagère). Mais j’ai aimé batailler un peu parce que l’auteur en retour m’a donné beaucoup de plaisir, et quelques intenses moments littéraires (si si).

C’est un gros bouquin (plus de 500 pages), dense dans bien des dimensions parce qu’il propose un bonne vingtaine de personnages et protagonistes, je pense dix intrigues entremêlées (si ce n’est plus), des descriptions très sensorielles et sensuelles de la nature mais aussi des portraits psychologiques incroyablement élaborés pour l’époque (selon moi parce que je n’y connais vraiment rien en réalité, arf arf). John Cowper Powys prend son temps pour écrire, pour situer ses personnages, ses décors et ses histoires. On est à mille lieux du page-turner d’aujourd’hui, et PUTAIN ÇA M’A FAIT DU BIEN !! Au début c’était un peu difficile, mais je m’y suis finalement fait, et ensuite j’ai adoré cela. Parce que son texte est porté par un style, une langue et un charme indéfinissable mais qui a diablement agi sur moi.

L’histoire se passe dans les années 1910 sur une côte anglaise, dans une station balnéaire nommée Weymouth Sands. Il y a une ambiance à la fois très Agatha Christie pour l’ambiance, les couleurs, la temporalité, le côté très britannique du bouquin aussi j’imagine, mais il y a surtout du Chabrol dans les relations intimes torturées, la bourgeoisie engoncée et toute aussi cruelle, les non-dits et les rancoeurs qui finissent par grever toute une communauté. La famille Cobbold est la plus puissante même si sa fortune semble se réduire à peau de chagrin avec les années. L’arrivée de Perdita en tant que dame de compagnie va “un peu” bouleverser ce petit monde. Il y a Magnus l’enseignant en latin, Sylvanus le mystique qui prêche sur la plage, une bohémienne et son fils étranges, et celui qui sera tout autant frappé par Perdita : Adam Skald le marin-pêcheur.

Ce qui m’a le plus frappé dans le bouquin est la connection quasi-mystique entre les personnages et cet environnement, John Cowper Powys est véritablement animiste dans sa manière de lier les éléments aux sentiments. Il est aussi à fleur de peau et confond allègrement les émotions de ses personnages avec des considérations climatiques, maritimes et terriblement païennes. En plus de cela, j’ai été abasourdi par la liberté de ton concernant la sexualité, la folie, et à peu près tout ce que la morale réprouve encore aujourd’hui de désirs “contre-nature”, d’envie de tuer, de se suicider etc. Avec cette plume superbe et alerte, ces descriptions lyriques et bucoliques, l’auteur évoque des sujets que je pensais tout simplement impossibles à trouver dans un roman écrit en 1934 !!

Je me suis beaucoup interrogé sur ce passage :

“Il n’avait jamais eu, le pauvre garçon, le courage de voler de ses propres ailes, voilà, et il avait fini par n’être plus qu’un dégénéré. Avoir pour fils un dégénéré ! Mais c’était un fait. Rodney avait l’air d’un Français.

C’est un père qui parle de son fils, dont on sent qu’il est un fils “indigne”. Et du coup je demande si “dégénéré” et “Français” signifiaient homo pour l’époque ? (Sans doute, hé hé hé.)

Je doute que ce roman soit lu par une kyrielle de gens aujourd’hui, mais je pense qu’il mériterait à être redécouvert, et surtout lu avec notre prisme actuel. J’ai vraiment adoré ça, et je suis resté troublé par certains passages et des scènes complètement dingues dont je ne peux imaginer l’impact à l’époque où c’est sorti.

Les Sables de la mer (John Cowper Powys)

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    • Oooh bad boy, tu ne lis donc pas les articles. :negative:

      J’ai donné à la 6ème ligne le lien vers le bouquin gratuit en livre numérique (je lis de plus en plus sur une liseuse/e-book). Si tu cherches un peu tu le trouves aussi en pdf et dans plein d’autres formats, mais pour le format papier c’est uniquement en occasion. :rose:

  • Ouin… Je me fais traiter de vilain garçon… J’avais bien lu, Matoo, mais je n’arrive pas à passer au numérique pour la lecture : j’ai besoin de l’objet papier moi… oui, je sais, c’est mon côté réac (et pourtant je suis technophile). Et puis tu nous l’avais caché que tu es passé au format électronique (tu vois, je te donne une idée pour un nouveau post) !!

  • Voilà un billet qui donne très envie de lire ce livre que je ne connais pas en revanche l’auteur est très célèbre, je suis surpris que vous n’en ayez jamais entendu parler, comme quoi même les grands lecteurs ont toujours des découvertes à faire. Je vous conseille de passer par Weymouth qui est ne plage qui vaut le détour comme toute la cote sud de l’Angleterre même si cette ville est un peu décatie aujourd’hui

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