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Pectus est quod disertos facit. ∼ Pédéblogueur depuis 2003 (178 av LLM).

Six feet under

C’est en lisant Germinal de Zola en 3ème au collège que j’ai compris à quel point ma famille avait des accointances avec les Rougon-Macquarts. On y trouve de tout : de la misère, de l’opulence, de la bêtise, de l’instruction, des viols, des incestes, des artistes, des ouvriers, des parvenus… Mais à vrai dire, je sais que je ne suis pas le seul dans ce cas. Je vais simplement faire un bref rappel pour se mettre dans le contexte avant de rentrer dans le coeur de ce post (largement illustré par son titre évocateur).

Mon père est l’avant-dernier d’une famille de 8 enfants, il a 6 soeurs et 1 frère. Ils ont beaucoup souffert de leur enfance qui fut parfois douloureuse, même si entrecoupée de phases plus optimistes. L’alcoolisme est depuis des générations comme le marqueur radioactif qu’on suit à la trace et qui fait quasiment partie de l’hérédité. On trouve parmi mon ascendance paternelle un monceau de névroses de tous genres, de la dépression à la schizophrénie (diagnostiqué comme tel), mais qui ont été niées, ce qui ne rend pas la tâche aisée aux enfants…

La génération de mes parents est vraiment celle de l’émancipation sociale, notamment grâce aux années glorieuses du travail pour tous et d’une réelle promotion ouvrière. Mon père et ses soeurs ont réussi à illusoirement mettre leur enfance à l’index pour se consacrer à leurs existences, mais ils ont enterré et refoulé ces cauchemars si profondément qu’ils sont tous marqués. Et on voit à quel point les générations suivantes sont imprégnées et grêlées de ces blessures mal cicatrisées.

Mon père a une soeur ainée qui s’appelle L. et qui a quelques années de plus que lui. L. a toujours été une originale et une rêveuse [sic]. En fait, une tante m’a raconté que lorsqu’ils se faisaient tous roués de coups par leurs parents ivres, L. était la seule à ne pas paniquer, ni même sembler en souffrir, elle était pensive et elle attendait de se faire délivrer par son prince charmant. Elle s’est réfugiée dans un monde où elle n’était plus atteinte par ces injustices de l’enfance. Evidemment, L., une femme faible et fragile, a épousé un homme, G., aussi vulnérable qu’elle et avec un méchant penchant pour l’alcool. Ce penchant est devenu assuétude réelle au fur et à mesure des années, et a contribué à boucler la boucle. G. et L. ont eu deux enfants, d’abord mon cousin O. puis ma cousine C. L’influence réciproque des parents était tout juste compensée par une famille « béquille » parfois un peu dépassée par les événements. Ma mère me racontait comment ma tante L. préparait des biberons avec du lait caillé, avait oublié O. dans la neige au pied d’une station de ski ou bien C. en plein milieu d’une plage en plein soleil. J’ai toujours entendu dire en plaisantant que s’ils avaient survécu à leur enfance, mes cousins étaient des exemples de sélection naturelle dont Darwin aurait pu se prévaloir. Ma tante L. a tout de même officiellement témoigné auprès de l’Eglise Catholique de sa rencontre avec La Vierge Marie un soir de débauche alcoolisée. Toutefois, ils adorent leurs parents et ont toujours eu un sacro-saint respect pour eux (comme mon père et ses soeurs adoraient leurs propres parents/bourreaux).

Ma cousine C. a fini par fuir cette famille et cet environnement délétère. Elle a rencontré un mec bien, a trouvé un boulot, a eu un enfant et a déménagé à Toulouse. Néanmoins, elle ne s’est pas débarrassée de son histoire et je sais qu’elle aussi aura à assumer ces réminiscences. Son frère O. a subit de plein fouet le joug de la fortune familiale. Il était un enfant, aux dires de mes tantes, adorables et gentils, très fragiles et influençables, un peu sur la lune. Adolescent, il avait quelques problèmes à l’école, il commençait à faire quelques conneries (genre sniffer de la colle et jouer au voyou) mais mon père était un pilier et un repère qui lui donnait à la fois confiance en lui, et lui faisait espérer un avenir positif. Son destin fut finalement scellé par son passage à l’armée. Là-bas, pendant une funeste année, il a appris à boire, et il en est revenu alcoolique. Alors a commencé une ère glauque où il a perdu emploi sur emploi, a eu des accidents de la route ivre, à jouer les ivrognes auprès de toute la famille (il m’a fait peur certains soirs où il débarquait assez agressif chez nous). Certaines périodes de rémission nous donnaient espoir, mais c’était pour mieux être gâchées par des crises qui détruisaient tout. O. a 34 ans, il doit être puceau, n’a pas de travail, vit chez sa mère (son père est mort d’alcoolisme) dans un véritable taudis, mais il a repris le sport, peut-être le début d’un espoir. Il a récemment eu de fortes douleurs dans la poitrine, mais n’a pas voulu consulter quiconque.

Ensuite, ce que j’ai à raconter s’apparentent plus au prologue d’un épisode de Six feet under. Ma tante L. est à Toulouse, elle reste un mois chez sa fille C. pour voir son petit-fils. Elle essaye depuis quelques jours d’appeler O., mais il ne répond pas. Inquiète, elle finit tout de même par téléphoner à une voisine, en lui demandant de passer pour s’assurer qu’O. va bien. La voisine le découvre mort depuis une semaine dans une chaleur torride. Il est mort d’une crise cardiaque. Apparemment, il a eu un malaise, a tenté d’appeler (l’annuaire était dérangé), mais n’en ayant eu la force, il s’est allongé sur le fauteuil le plus proche, il a pris la photo de son neveu dans ses mains croisées sur sa poitrine et il est mort. Ma tante a voulu voir le corp, la morgue de l’hôpital lui a dit que vraiment, il ne fallait pas qu’elle le voit dans cet état.

Je suis allé à l’enterrement de mon cousin lundi après-midi. J’étais là au milieu de tous mes congénères à me demander si vraiment personne ne comprenait rien, ou si c’est moi qui suis le plus cinglé de tous.

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