Une radioscopie politique
sous la direction d’André Gattolin et François Miquet-Marty
J’ai passé mon 21 avril 2002 avec quelques amis en banlieue, nous nous étions réunis à quelques uns pour les résultats du premier tour de l’élection présidentielle. Ce fut un choc extrême pour nous comme pour beaucoup de français, et encore maintenant j’ai du mal à m’expliquer ce séisme. Bien sur a suivi le réveil démocratique qu’on connaît, des manifs et un vrai sursaut de conscience politique, puis finalement les fameux 82% pour le candidat du moins pire.
La lecture de ce bouquin a été un vrai plaisir pour moi. Il donne les clefs de la compréhension des tenants et aboutissants de cette élection. L’ouvrage est dirigé par deux personnes, l’une d’un institut de sondage et l’autre de Libé ce qui explique la description et le décryptage très à gauche des évènements sociaux, politiques et économiques. Aussi parfois, on a l’impression que les positions sont un peu trop orientées. Ce qui est génial c’est que ce n’est pas trop difficile à lire, car il s’agit plus d’une concaténation d’articles (qui pourraient être écrits pour la presse) avec pour assise divers sondages, qu’un essai de politique abscons (pour moi).
La première partie du bouquin décrit concrètement le choc de cette élection et tente de donner un éclairage concret des faits. Finalement cela donne un regard différent sur ce qui s’est passé. J’ai vraiment eu l’impression de relire des informations sous un nouveau jour et avec une acuité inédite. Et les sondages ont été assez bien utilisés non pour prévoir mais pour étayer des thèses ou bien pour expliquer des phénomènes avec une bien meilleure crédibilité.
Le livre développe aussi des opinions d’auteurs que j’ai trouvé particulièrement aiguisées et clairvoyantes. Notamment sur le fait que les électeurs n’ont pas été si floués que ça par ces élections et qu’au contraire ils étaient bien informés et ont agi avec pas mal de discernement. Je lisai sur les votes en dehors des partis traditionnels :
« Voter Besancenot, c’était exercer une pression sur Lionel Jospin pour qu’il s’engage à lutter plus vigoureusement contre le chômage et à défendre les retraites des salariés du public. On pensait alors que le candidat serait automatiquement présent au second tour. Voter Madelin, c’était tenter de convraincre Jacques Chirac d’aller plus loin encore dans la baisse des impôts. Ce vote d’influence s’appliquant aux enjeux économiques et sociaux, qui touche directement leurs conditions de vie, est une démarche de citoyen-consommateur.
Ce dernier ne choisit pas un candidat parce qu’il espère le voir élu. Il vote pour un candidat dont il pense que le message peut influencer l’action de celui qui a les chances d’être élu. Il pratique une forme assez inédite de consumérisme électoral. Il soupèse les programmes des candidats sur les sujets qui lui tiennent à coeur : la réforme des retraites pour les salariés du public, le chômage pour ceux du privé, les baisses d’impôts pour les cadres et professions libérales. Puis il tente, en accordant sa voix au petit candidat qui lui semble le mieux exprimer ses préoccupations, d’infléchir l’action future d’un autre candidat, celui qu’il souhaite réellement voir gagner.
A ce petit jeu, l’électorat de gauche s’est pris les pieds dans le tapis. Celui de droite l’a emporté. »
Ce que j’ai avant tout aimé dans le bouquin c’est la partie d’explication sociologique qui exploite plus la manière dont notre société (sa structure, et les interactions entre ses acteurs) a évolué et qui est peut-être moins adaptée à notre système démocratique. Je cite l’explication de la crise de la représentation sociologique de la société :
« Une des conséquences majeures de la défaite de Lionel Jospin au premier tour de la présidentielle aura été de mettre crûment en lumière le décalage considérable qui existe entre le discours idéologique des partis et la réalité sociologique de leur électorat. Le 21 avril 2002, le Premier ministre sortant recueille 24% des suffrages exprimés parmi la population des cadres et professions libérales contre 12% seulement du vote des ouvriers. »
Et finalement, un auteur explique que notre sens de la démocratie a évolué d’une quête idéologique vers une « démocratie de régulation » qui autorise les défections civiques.
« La démocratie de régulation compose un modèle politique où les mobilisations politiques personnelles sont de moins en moins prioritaires. En pratique aujourd’hui, 28% des Français estiment que le fait de voter ou de s’abstenir révèle plus du libre-arbitre de chaque citoyen et cette opinion est de plus en répandue parmi les populations les plus jeunes : 46% des 18-24 ans, 36% des 25-34 ans. Moins engagés dans une concurrence idéologique pour la construction d’un modèle futur de société que partie prenante d’un système politique chargé de résoudre les tensions éventuelles au sein d’un environnement idéologique pour l’essentiel accepté, les citoyens d’aujourd’hui sont encouragés à penser pour la participation politique comme un devoir en soi ou comme une nécessité d’intérêt, mais pas nécessairement comme un acte porteur d’avenir. Autrement dit la démocratie de régulation accueille avec bienveillance la participation politique mais ne l’érige pas en fondement de son devenir. »
La fin expose un bilan assez mitigé de cette expérience politique du 21 avril, mais surtout formule une conclusion assez pessimiste, même si réaliste. Est-ce parce que c’est un gouvernement de droite ? Serait-ce différent si c’était à la gauche qu’avaient profité ces bouleversements ? Je fais assez confiance (peut-être à tort) à Libé pour cela, mais bon je suis un peu trop à gauche pour juger.
« Les maux économiques et sociaux de la France s’aggrave, l’ankylose institutionnelle n’est pas soulagée par le fade sirop décentralisateur, la pommade sécuritaire calme mais ne guérit pas, le cancer du chômage flambe de ses nouvelles métastases. »
« Responsable du chef qu’il se donne, le peuple français doit aussi méditer “son 21” avril et l’année qui a suivi. Le plus grave serait d’empiler les mythes et d’aller d’illusion en illusion. A la première – croire que la France descendue dans la rue le 1er mai 2002 arrêta le fascisme – s’ajouterait la seconde : penser que la France, chantre de la paix a retrouvé puissance internationale et grandeur historique.
Une génération politique est sans doute née avec le 21 avril, une génération géopolitique est peut-être issue du combat contre la guerre en Irak. Mais ces deux réactions ne font ni un idéal politique ni un programme de gouvernement. »
Le bouquin est interessant mais appelle 2 remarques: 1) il est basé sur des sondages dont on sait ce qu’ils peuvent valoir, 2) Il ne developpe pas assez les causes profondes (et anciennes) qui expliquent le 21 avril (même si j’admets que c’est toujours plus facile de le dire après coup).
Je me permets d’ajouter 2 remarques aux extraits que tu cites et aux commentaires qu’ils t’inspirent.
1) Une election présidentielle se joue à 2 tours: au premier tour tu choisis selon ta sensibilité, au second tu élimines le camp auquel tu es opposé, c’est le principe de la démocratie représentative. Le 21 avril beaucoup se sont servis de leur vote comme d’un défouloir. Autre remarque: si on integre les extrèmes: il y avait autant de candidats de gauche que de droite.
2) De mon point de vue il y’a 2 raisons majeures au 21 avril:
a) La désaffection profonde des français face à la politique (sentiment d’inefficacité, confusion sur la réalité du pouvoir: les gens n’y comprennent plus rien entre les décisions prises à Paris, au niveau régional, à Bruxelles, à l’OMC etc…). Ainsi sur 41 Millions d’inscrits seuls 29,5M se sont déplacés voter, et parmi ces 29,5M presqu’ un million a voté blanc ou nul. Entre 1995 et 2002 le candidat Chirac a perdu 600.000 voix alors qu’il avait un adversaire de poids en 1995 (Balladur) et Jospin en a perdu 2,4M (éparpillement, insatisfaction face aux mesures prises…). Le Pen n’a gagné que 300.000 voix entre les 2 scrutins (mais il faudrait peut être y ajouter celles de B. Megret [600.000 voix] pour y voir une poussée fasciscante en Fance). En fait, c’est la contestation qui s’est exprimée le mieux le 21 avril sous toutes ses formes (abstention, vote extrème droite comme extrème gauche…)
b) une campagne opportuniste et qui a patiné sur le theme de l’insécurité (avis personnel) a permis d’occulter les vrais débats, les vrais enjeux. Yves Michaud avait pondu un papier interessant dans le Monde sur “Le fanfaron de la Corèze et (sa/la) bête du Gévaudant”… Ce qui m’inquiète le plus au final c’est l’évolution que je ne sens pas franchement positive. Amicalement.
Pour le coup des sondages, je suis d’accord, même si comme je l’ai dit, je trouve mieux d’utiliser les sondages à postériori (quand on ne trie pas les chiffres pour seulement avoir de quoi étayer ses dires).
Quant aux causes du 21 avril, elles sont exposées mais dans leur multiplicité… Aussi, on nous donne les pistes de recherches et les théories, rien de plus. Je ne crois qu’on ait assez de recul pour avoir une idée plus structurée et figée en fait.
Sinon tes points a et b sont tout à fait valides… Je les ai vu pas mal exprimés dans le bouquin je crois !
Merci de ces commentaires ! ;)
Le plaisir était pour moi. Bonnes vacances apaisantes… :)