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Pectus est quod disertos facit. ∼ Pédéblogueur depuis 2003 (178 av LLM).

Le mystère Victoria Melita à Saint-Briac

Tout a commencé en me balladant avec M. dans les rue de Saint-Briac. Au détour d’une rue vers la croix des marins, nous croisons une sorte de stèle ou monument en granit surplombé d’un médaillon métallique représentant une femme, avec pour seule inscription un nom : Victoria Melita, une ville : Saint-Briac et deux années : 1921-1936.

le Monument à la mémoire de Victoria Melita Inscription sur le monument à la mémoire de V. Melita

Medaillon Victoria Melita

Le nom ne me disait vraiment rien, excepté une marque de filtre à café en papier. Le filtre à café, une invention briacine ? Arf arf. Mais trêve de balivernes, j’ai simplement fait des investigations sur google en rentrant et j’ai trouvé la clé du mystère.

L’histoire de cette dame est aussi simple qu’extravagante. Il s’agit de ce qu’on appela les « Russes Blancs ». Ce sont des immigrés souvent issus de la noblesse de l’ex Russie tsariste qui se sont réfugiés dans des pays européens car chassés ou menacés par la révolution bolchevique. Parmi ces gens, certains avaient vu leur famille tuée sous leurs yeux, comme c’est arrivé pour une partie de la noblesse tsariste lors de cette révolution. Beaucoup étaient presque ruinés et ont acheté des maisons de banlieue et des terrains en arrivant en France (ayant des bijoux et quelques possessions sur eux). La plupart avait des titres parfois ronflant et un arbre généalogique à faire pâlir Stéphane Berne, mais se sont retrouvés à devoir travailler et s’intégrer dans des pays étrangers sans ressources ni repères. Ma maman me disait qu’elle était à l’école avec des russes blancs sans le sou de ce type, les gamins n’étaient pas plus traumatisés que ça bien sûr, mais c’est pour les parents que c’était le plus dur d’assumer cette rude transition.

Victoria Melita (1876-1936) ou la Grande Duchesse Victoria Feodorovna était aussi surnommée « Ducky ». Elle était issue d’une lignée assez extraordinaire puisqu’elle était à la fois petite-fille de la reine Victoria et aussi du Tzar Alexandre de Russie. Sa soeur était la reine Marie de Roumanie, elle était aussi cousine du Roi Georges V, du Kaiser Guillaume et du Tsar Nicolas. Elle était mariée à Ernst Ludwig, Grand Duc d’Hesse et du Rhin. Elle divorça de lui pour de sombres raisons qui la plongèrent dans un grand désarroi et une grande tristesse. En fait, j’ai lu dans un autre site que son mari était manifestement homosexuel, c’est pourquoi elle divorça de lui. Chose assez extraordinaire pour l’époque, elle divorça donc, et se remaria de surcroît avec un cousin du tsar, Kiril Vladimirovitch (une sorte de cousin à elle donc). Ce mariage choqua tout le gotha mondial de la noblesse, par la suite ils furent démis de leurs biens et bannis de Russie.

Quand ils furent autorisés à revenir, ils furent pris dans le magma de la révolution de 1917 et durent quitter la Russie échappant de peu aux massacres des familles nobles. Après plusieurs étapes en Europe, ils finirent par s’installer à Saint-Briac dans une grande maison près de la mer, et Kiril se déclara prétendant au trône de Russie. Il rédigea alors un manifeste qui le déclarait « gardien du trône ». Un mois plus tard, il en pondit un autre qui le proclamait « empereur de toutes les Russies », et son fils comme héritier du trône avec le titre de Grand Duc. Ducky le soutenait dans ses velléités de reconquête monarchique et assumait son rôle d’impératrice d’opérette. Ce serait un peu long de le raconter ici, mais ils ont fait des pieds et des mains pour se faire reconnaître tzar et tzarine en tant que tels, et se sont mis à dos la monarchie russe en exil (dont le grand Duc Nicolas qui se disait aussi l’héritier du trône).

Mais ils ne se sont pas découragés et en 1926, ils ont décidé de s’installer à Saint-Briac de manière permanente. Ils achetèrent une maison et la nommèrent « Ker Agonid » (Villa Victoria). Kiril passait son temps à jouer au golf et à agir pour faire reconnaître son droit à l’accession au trône. Il avait beaucoup de détracteurs qui le considéraient comme un fou, mais aussi des gens qui le soutenaient dans ses appétences et lui envoyaient des missives pour demander son « impérial » conseil. Apparemment, il passait plusieurs heures par jour à répondre à ces lettres. En 1933, Ducky découvrit une chose terrible concernant son mari, elle en fut extrêmement touchée et blessée. Seule sa soeur fut au courant mais ne divulgua jamais le secret. Ce du être plus important qu’une simple infidélité car jamais plus elle n’eut de relation intime avec Kiril.

Au printemps 1935, Ducky rendit visite à sa soeur à Vienne. Cette dernière en dit : « Sa misère, à la fois physique, mentale et financière est si importante qu’elle a brisé sa volonté… Ses forces l’ont quittées. Une sorte de désespoir gris a pris la place, un sentiment que seule la mort pourrait la libérer de ce fardeau intolérable, écrasant et insurmontable… A travers l’horreur qu’elle a vécu durant sa vie d’épouse, elle a appris à douter de tous les hommes ». Elle vint en Allemagne pour passer les fêtes de Noël avec sa fille, tandis que Kiril restait à Saint-Briac. Sa fille attendait un enfant qu’elle eut le 2 janvier 1936, Ducky fut atteinte d’une attaque lors du baptême. Elle mourut finalement le 1er mars 1936. Kiril mourut deux ans et demi plus tard d’une gangrène.

Vladimir, le fils de Kiril et Ducky, revendiqua aussi le trône de Russie mais ne s’autoproclama pas comme son père. Il étudia à la London School of Economics et épousa une descendante de la famille royale de Georgie. Ils eurent un enfant, la grande Duchesse Marie, et vécurent à Madrid, tout en passant leurs vacances à « Ker Agonid ». Pendant 74 ans, Vladimir ne mit pas un pied en Russie, mais en 1991, quand le gouvernement a changé, il fut invité au 74ème anniversaire de la révolution bolchévique. Il mourut en 1992 et fut enterré comme un Romanov à la forteresse de Saint Pierre et Saint Paul. Aujourd’hui sa fille, Marie, petite-fille de Kiril et Ducky, est reconnue comme héritière du trône de Russie.

[source : http://hallbiographies.com/royalty/82.shtml
http://www.geocities.com/jesusib/Melita-3.html]

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  • Amusant, l’Histoire au coin de la rue :-)
    Et 1921 correspond à quoi, dans ce cas?
    (le MatooBlog est tellement lu que le second lien donné en fin de texte donne un message d’erreur, pour dépassement de capacités d’accueil :-D )

  • Laurent, c’est parce que j’ai acheté Voici pour mes vacances !! Ca m’a amusé de relater cette histoire de cette manière. Je n’ai pas voulu par contre dire que c’était une “pauvre” femme et que vraiment je la plaignais d’une existence si difficile, parce que je sais que ce n’est pas vraiment le cas en comparaison d’autres russes blancs. Mais surtout, je connais aussi les tenants et aboutissants du régime tsariste, qui était une abomination anachronique complète en matière de monarchie absolue.

    J’ai passé aussi sous couvert le passage du couple en allemagne, où Ducky avait grave flashé sur Hitler et sur ses thèses qu’elle trouvait tout à fait à son idée, ainsi que sur tous les stratagèmes et léchages de derrière internationaux pour retrouver leurs trônes et privilèges.

    Mais le côté anecdotique de l’histoire, et malgré tout le décalage entre ces personnages et ce petit village perdu d’armorique, ça m’a bien fait sourire. Dire qu’ils avaient établi leur cour à St Briac !!!!

  • Pour plus d’infos, vous pouvez vous referer au super bouquin de F.Mitterand “memoires d’exil”. R Grosse classe les Russes Blancs. L’arriere petit fils de Victoria-Melita vient toujours passer ses vacances à St-Briac, il est meme question qu’il soit reconnu officiellement
    par les nouvelles authorités russes.

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