MatooBlog

Pectus est quod disertos facit. ∼ Pédéblogueur depuis 2003 (178 av LLM).

Elephant

Après Ken Park, on essaie de voir dans Elephant une filiation quelconque ou bien un rapprochement quant aux thèmes abordés. En fait, Ken Park est un peu la version « cliché » et « concentrée » d’un Elephant, qui est le regard objectif et froid du documentaire. Ce film est une fiction plus qu’animée d’un souffle authentique, puisqu’il s’agit d’un épisode de la réalité. Elephant est le récit circonstancié à travers la narration de plusieurs protagonistes tout au long de cette fatale journée où la folie de Columbine a eu lieu.

La mise en scène nous donne à regarder le film comme un documentaire, comme l’émission « strip-tease », un simple exposé de séquences qui illustrent bout à bout une série d’événements. Mais là où Gus Van Sant va plus loin, c’est justement dans cette impression de récit froid d’une réalité objective qui est pourtant tout à fait réglé au cordeau pour livrer une telle impression globale. En effet, la manière dont les personnages ont été choisis et interprétés, le montage, la musique distillée tout au long du film et cette incursion dans l’intimité de l’école (un monde complexe de souffrance et d’initiation) sont gérés avec une minutie et une précision redoutables. Ainsi, le film déroule cette journée en empruntant le regard d’une poignée d’élèves (dont les deux tueurs), et nous dévoile les dessous de l’affaire en quelques regards, dialogues, plans, qui nous plongent dans un univers complexe. Car les tueurs ne sont pas deux êtres diaboliques et psychopathes par l’opération du saint-esprit, et tous les adolescents américains ne sont pas non plus les êtres névrosés et borderline de Ken Park ou Kids.

Les protagonistes ont l’air d’être un peu piochés au hasard, mais évidemment il n’en est rien. On suit les pérégrinations de chacun et on ressent les frustrations, les blocages, les humiliations et aussi leurs raisons de vivre et d’espérer, en définitive la démonstration même de la vie adolescente ici ou ailleurs. La différence résidant peut-être dans la manière dont l’éducation entre en jeux, aussi bien celle des parents que celle dispensée à l’école, ainsi que la façon dont on peut se procurer des armes – tout simplement. Certains moments sont filmés un peu à la manière de Jackie Brown, on suit les points de vue de différents personnages sur une même scène et dans un même intervalle de temps. Ce subtile effet met en abîme avec habileté les acteurs dans leur environnement, et souligne la tension qui grandit et un dénouement qu’on sent imminent.

La musique vient aussi souligner certaines scènes avec beaucoup de virtuosité et d’intensité. Le jeu de ces classiques de Beethoven rend certains instants surréalistes et créé une puissante émotion. La caméra glisse sur les personnages et ne tient pas à nous expliquer le fond des choses, simplement à montrer avec dextérité, la triste réalité. On sent que Gus Van Sant ne propose pas une explication complète et argumentée de cette journée, mais veut seulement faire partager les différentes hypothèses qu’on peut ébaucher à partir de ce film-témoin. Et surtout, comme on sait dès le début qu’on est dans une recopie d’un moment passé, on est encore plus sous le choc. Cette sobriété de traitement contribue d’ailleurs à renforcer cette impression de documentaire, et elle place parfois les spectateurs dans un état d’inertie et de prostration incroyable. A certains moments, on a le souffle coupé et dans la salle un même silence d’incompréhension et d’impéritie inonde littéralement l’atmosphère.

J’ai vraiment trouvé que c’était un excellent film, qui a déjà le mérite de raconter cette histoire avec et par les yeux des adolescents (qui sont excellents comédiens) à la fois victimes et bourreaux, proies et prédateurs. En outre, je me dis qu’une fiction qui relaterait ce genre d’événements aurait été considérée comme irréaliste et grossière, et certainement même censurée. Cela ne fait que plus entériner le malaise et faire réfléchir sur la manière dont on doit prendre en considération l’adolescence et ses souffrances, ainsi que la responsabilité de chacun face à ce genre d’actes qui échappent à toute raison humaine.

Elephant

Milk

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  • bof…
    moi çà m’a laissé froid. C’est peut-être normal pour un film qui finit au milieu des gigots congelés.
    Et puis, j’ai du mal avec le côté que tu appelles documentaire. Au fond, le réalisateur refuse de prendre parti au point qu’au début on se demande qui va buter qui.
    L’ennui c’est qu’on comprend assez vite qui est méchant, et qu’on se contrefout de ce qui va se passer. Enfin, j’exagère, on est quand même assez content de voir les trois grâces qui gerbent passer à la casserole…..

  • J’ai bien aimé ce film, très beau dans le rythme, les boucles narratives, une certaine douceur qui vous ramollit, etc
    GVS a choisi clairement de vider l’événement de sa substance les personnages n’ont aucune épaisseur pas de motivation, et on accepte facilement ce choix.
    Mais du coup ca donne plus un premier long métrage expérimental de jeune réalisateur qu’un film parceque ca ,ne raconte rien

  • Completement d’accord avec toi, Matoo!

    Ce film depasse la fiction en emotion et le documentaire en realisme; le resultat est sans precedent et merite amplement sa Palme d’Or.

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