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Pectus est quod disertos facit. ∼ Pédéblogueur depuis 2003 (178 av LLM).

Le pire est avenir

Maïa Mazaurette n’est plus à présenter en tant que (célébrissime) blogueuse, mais c’est aussi un écrivain talentueux qui vient de sortir son second bouquin. Un bouquin que j’ai lu avec un plaisir énorme, tant il est bien écrit mais surtout dont l’histoire m’a happée dès les premières pages.

Pour poser simplement le décor, disons qu’il y a eu une révolution, mais non pas basée sur des critères ethniques ou politiques (quoique), une révolution des jeunes contre les vieux. Et pas une simple manif ou une révolte à la mai 68, non non, les jeunes se sont mis à tuer, assassiner, rigoureusement exécuter les plus de 25 ans. Nous voilà donc dans une ville en proie à la panique et à l’horreur où des bandes de jeunes et de vieux combattent et se massacrent (avec le sang qui gicle et tout) à tire-larigot pour conquérir des territoires et aller jusqu’au bout de leur plan d’élimination.

Dans ce no man’s land aux allures de charnier post-nucléaire, l’attention est placée sur deux personnages, deux jeunes à la fonction bien particulière. Ce sont des snipers, des francs-tireurs, des tueurs d’élite qui se postent en solitaire sur des immeubles et dégomment tout ce qui bouge… et est vieux. Ils sont célèbres car ils sont très bons comme « l’Immortel » voire mythique car nimbé du mystère le plus opaque comme « Silence », dont on ignore même le sexe. L’Immortel cherche Silence et cristallise complètement sur ce dernier au point d’en presque perdre la raison. D’ailleurs il dit bien que si c’est une femme, il en tombera amoureux immédiatement, et si c’est un homme, il deviendra pédé. Le livre est basé sur l’alternance de chapitre qui donne la parole à ces deux personnages centraux, et en plus intercalé à une grand-mère qui tente de survivre dans une zone de vieux, et qui envoie des lettres à un de ses petits-enfants. Chaque chapitre égraine un nombre de jours qui correspond à une sorte d’ultimatum avant une grande attaque des vieux, une sorte de jour du jugement dernier où l’on comprend que des armements seront utilisés pour stopper net la guerre.

On comprend peu à peu ce qui s’est passé pour en arriver là, et Maïa a élaboré un scénario des plus inquiétants… de par son funeste déroulement mais aussi par sa clairvoyance. Par chacun des protagonistes, on rentre dans cette société, qui est la notre, et où les limites de tolérance ont été atteintes en terme de conflits intergénérationnels. Alors on comprend avec effroi les aspirations idéologiques et politiques des deux groupes, avec cette suite logique qu’est le massacre systématique d’autrui. Bien sûr, tout cela est rendu possible par un contexte actuel qui aide : l’ignorance des vieux (et de leurs décès) pendant la canicule, le syndrome de Peter Pan, la traîtrise et le mensonge des soixante-huitards… et puis aussi la simple et impulsive peur de mourir, comme de pourrir vivant, pour un jeune. Tout cela est écrit avec une impressionnante maîtrise du verbe et du monologue, et on rentre dans les esprits des personnages avec une facilité déconcertante.

La première partie du bouquin décrit l’environnement et pose les bases de l’intrigue entre les deux snipers. On y lit donc beaucoup de descriptions de groupes de gens. Les bandes de jeunes qui se forment ressemblent beaucoup aux mêmes groupuscules que l’on trouvait dans « Le voyage d’Anna Blume ». Et j’y aussi beaucoup pensé dans la description des lieux et la psychologie de groupe qui règnent dans ces rassemblements thématiques parfois très ésotériques. Ces jeunes se basent sur certains symboles et l’instinct grégaire fait le reste. On trouve alors les « Narcisses » qui sont d’anciens top-modèles ou bien les « Amazones » qui sont des femmes guerrières, ou bien même d’autres qui sont des suicidaires.

Pendant ce temps là, Immortel cherche Silence, et ce dernier l’en dissuade et fuit, même si inexorablement, ils sont amenés l’un vers l’autre. Une seconde partie du livre décrit plus l’évolution de l’organisation des jeunes, en même temps que l’on sent la rencontre entre les deux snipers irrémédiable. Un groupe, l’Armée, rassemble les autres, et surtout, se structure et se hiérarchise alors que de telles notions, considérées comme « vieilles », étaient caduques dans cette société nouvelle. Ainsi l’Armée intègre peu à peu de gré ou de force les jeunes, et met en place des règlements et une autorité. En fait, c’est du fascisme pur avec des condamnations à mort expéditives pour qui contrevient aux lois, ou simplement de bon vouloir des chefs. Quelques jeunes prennent le pouvoir, et hop, on reprend les habitudes des adultes. Comme dans la « Ferme des animaux » de Georges Orwell, où on vire les fermiers pour installer une société des Animaux parfaite et utopique, les cochons finissent par inventer un système totalitaire encore plus inégal. Et les opprimés deviennent oppresseurs en quelques semaines.

La dernière partie (j’évoque des parties mais le roman n’est pas découpé ainsi) se penche plus sur la relation entre Silence et l’Immortel. D’ailleurs, à tel point que je me suis cogné contre la vitre de l’abri du tramway à Suresnes, et un mur de la station Goncourt (quand je suis dans un bouquin, j’ai du mal à le fermer…).

Ce bouquin est passionnant, vraiment haletant et très bien écrit. L’histoire et la narration tiennent en haleine du début à la fin du roman (ouf, ce n’est qu’un roman, c’est que je suis vieux moi !!). Ce n’est pas un livre qui laisse indifférent, au contraire il permet de réfléchir à ce conflit et cette évolution des générations avec un regard d’anticipation incroyablement osé et gonflé. Cela fait un bien fou !

Le pire est avenir - Maïa Mazaurette

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