MatooBlog

Pectus est quod disertos facit. ∼ Pédéblogueur depuis 2003 (178 av LLM).

Rencontre de laverie

Comme je suis rentré de vacances avec un max de linge sale (non que je me sois roulé dans la fange mais bon… ;-)), je me suis dit que le plus efficace était de passer deux heures à la laverie en bas de chez moi pour laver et sécher tout cela. Depuis que j’ai ma super machine à laver, je n’avais pas eu l’occasion d’y retourner, et c’est plutôt un soulagement. Je ne voulais pas perdre mon temps, donc j’ai pris mon ordinateur portable pour pouvoir écrire un petit peu.

Quand je suis arrivé à la laverie, l’endroit était vide. J’ai initié le délicat processus de lavage, et je me suis assis avec le laptop sur les genoux. Alors, un mec est arrivé pour aussi mettre son linge à laver, puis il s’est assis à côté de moi. C’était un reubeu de 27-30 ans je dirais, classique avec survêt et air pas commode. Evidemment, j’ai tout de suite pensé qu’il y avait une possibilité pour qu’il me fasse chier. Et dès que cela me vient à l’idée, il commence à me reluquer le portable avec un drôle d’air. Fuck. « Cette caillera ne va pas me faire chier à vouloir me bébar mon portable tout de même ? »

Il m’adresse la parole : « Super beau portable… J’y connais rien en fait… comment on fait pour savoir si c’est un bon ou pas ? ». Alors je lui réponds un peu méfiant, et aussi surpris par ce qu’il demande, je lui dis que le look ne compte pas évidemment, et je lui explique que c’est mon outil de travail, et qu’il doit être adapté à ce que je veux faire. Et il me demande poliment : « Je peux vous demander ce que vous faites dans la vie ? ».

Et là, j’ai compris que j’avais faux sur toute la ligne, et j’ai eu honte de moi. Honte de pavaner avec mon portable dans une laverie, honte de jouer les bobos d’opérette et surtout honte à mort d’avoir eu des préjugés de merde envers ce mec, qui manifestement ne le méritait pas. C’était marrant car il me vouvoyait, donc je lui ai déjà dit d’arrêter cela. Et puis, je lui ai dit ce que je faisais. Il m’a répondu : « J’aimerais bien bosser avec un ordinateur comme ça… » et il m’a humblement sourit.

– Mais toi, tu fais quoi ? lui ai-je demandé ?
– Oh, je suis chauffeur-livreur… Y’a pas de sous-métier à ce qu’on dit, même si je préfèrerais faire autre chose… a-t-il ajouté avec un rictus ironique.

Et puis nous avons discuté, de lui, de moi… des choix de vie en général, et des devoirs qui parfois annihilent le libre-arbitre pour certaines actions « vitales ». C’est ainsi que mon interlocuteur s’est révélé être un jeune garçon de 23 ans, qui est originaire de Saint-Brieuc mais qui est allé à Paris pour bosser. Il est algérien d’origine, et doit donner le maximum tous les mois à ses parents qui ne bossent pas, et qui doivent s’occuper de 13 frères et soeurs. Je sais que c’est un peu caricatural, mais je l’avais en face de moi à m’expliquer cela avec une dignité qui m’a vraiment scotchée. Et lui-même de me dire : « Tu sais ce n’est pas comme si je pouvais faire autrement, mes frères et soeurs sont comme mes enfants, je ne peux pas les laisser comme ça. Et je les pousse comme je peux pour qu’ils puissent continuer leurs études et ne pas être obligé à bosser comme un con comme moi. Pour moi, je crois que c’est trop tard… ».

J’ai essayé de lui dire que rien n’était foutu pour lui, et qu’il ne fallait pas qu’il perde espoir, surtout pas. Et qu’il ne fallait pas non plus qu’il se sacrifie en gâchant complètement sa vie. Nous avons discuté pendant deux heures de plein de choses. Il habite un minuscule studio avec cinq personnes et fait des livraisons pour un Franprix de Courbevoie. On a aussi évoqué ses déboires avec le racisme ordinaire des employeurs, propriétaires… il m’a raconté en rigolant la fois où il avait mis « Jean-Charles » comme prénom sur un CV pour décrocher un rendez-vous, ou bien la fois où on lui avait avoué que le « A » sur son CV ne voulait pas dire qu’il était un bon candidat, mais simplement « Arabe ». Il cherche un appartement en ce moment pour s’échapper de son clapier, et c’est quasiment impossible avec son salaire et sans garantie. Je n’ai pas cherché à compatir avec et je crois qu’il a apprécié cela, on a vraiment échangé, chacun avec nos expériences, et certes lui avec un peu plus d’amertume que moi. Mais c’est un mec avec une certaine foi en lui, et je pense que cela le portera.

Il a halluciné d’apprendre que j’étais algérien d’origine moi aussi, un peu plus dilué certes, mais bon… :mrgreen: Et je lui ai exposé ma triste théorie des « ouvriers engendrent des ouvriers » et des « cadres engendrent des cadres » qui expliquent que nous ne sortons pas de nos milieux respectifs et que contrairement à ce que l’on croit, on en a vraiment pas fini avec la lutte des classes (je suis justement une exception dans ma famille confirmant la règle). J’ai essayé de positiver le plus possible car il avait l’air bien down. Je ne voulais pas avoir l’air condescendant, même si la conclusion était que j’avais bien plus de chance que lui dans la vie.

Et puis, il a terminé de laver son linge, et il m’a tendu la main : « Au revoir Mathieu, et merci pour la conversation, ça m’a fait vachement de bien de parler comme ça. De temps en temps, c’est cool de vider son sac et j’y arrive pas souvent. ». Et j’ai rétorqué : « J’ai été aussi super content d’avoir bavardé avec toi. J’espère que tout va bien se passer pour toi. ».

23 ans, il en paraissait plus, et avec une vie pareille, mais avec tellement d’aplomb et la tête sur les épaules. Il s’appelle Lyes, c’est drôlement joli comme prénom reubeu.

Le genre de rencontre inopinée, le genre de truc qui n’arrive qu’à la Laverie Goncourt et qui remet un peu les idées en place et les soucis à leur juste échelle. Avec une bonne dose d’humilité et une garde-robe immaculée, je suis rentré à mes pénates.

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  • Ta théorie, ta théorie… T’en foutrais, oui !! ;-)
    Et Pierre Bourdieu (“Les héritiers”, “La reproduction”, etc.), c’est du poulet ? :mrgreen:

  • T’as qu’à l’inviter à laver son linge dans ta SPLENNNDIIIIDEUH machine :) Il te fera du thé et tu le suçeras en même temps. (bon ok je me tais :mur:)

  • Bou n’a pas tort en parlant de Bourdieu.
    Y’a bon qu’il reste encore des personnes (comme toi) qui savent parler avec les autres, écouter et ce, comme tu dis, en toute humilité. :love:

  • ouais Mat… dis donc… ta théorie là c’est un truc pour draguer non?
    parce que rien qu’à vue de nez j’ai 4 contre-exemples (qui confirment la règle?), même s’il est vrai que ce sont 4 exemples d’ascension sociale.

  • Encore une leçon de vie édifiante !
    Tu serais pas le nouveau Candide, des fois ? :gne:

    (Avec ces histoires dignes d’Emile Z., ou d’Eugène S., comment réussir son coup ? J’voulais pas dire à tirer… :langue:)

  • Quoi mettre comme commentaire à un tel post, une telle scène si pleine d’humanité ???

    Je ne sais pas si Lyes (beau prénom, en effet) aura un jour la possibilité de se payer un ordinateur avec lequel il pourrait lire ceci : que je souhaite que cette foi qu’il a en lui, le portera loin, aussi loin que ses rêves…

  • Pareil que Jeff, je connais pas mal de cas d’ascension sociale…mais blanc européen, ce qui change – malheureusement – la donne.

    Sinon, Mickey 3D ont chanté “Mimoun, fils de harki”… parce que personne n’est fort tout les jours…

    ——————————————————————————–

    Mimoun, il fait des trous dans des cartons
    Tous les matins il va pointer
    Dans l’usine où ça sent pas bon
    Où tout le monde fait que d’tousser
    Il sait pas très bien d’où il vient
    Tout ce qu’il sait c’est qu’il est pas français
    Il aurait bien aimé pourtant
    Mais les gens font que d’l’éviter
    Alors il reste planté là
    Raconte des trucs à la fraiseuse
    Qui lui dit “mon gars t’arrête pas”

    Mimoun il a bientôt 40 ans
    Mais il est toujours chez sa mère
    C’est parce qu’elle est un peu malade
    Depuis qu’elle a perdu son père
    Et comme c’était lui le plus grand des fils
    Il est parti bosser
    A l’école, il s’débrouillait bien
    L’aurait bien voulu continuer
    Comme si la vie s’était posée sur lui
    En lui disant “toi tu bouges pas
    Les trucs jolis c’est pas pour toi”

    Mimoun il imagine qu’il est déjà mort
    C’est sa façon de s’évader
    Et comme il y croit plus très fort
    Il dit qu’un jour il va s’tailler les veines
    Plutôt que de s’en aller
    Pour être ailleurs un étranger
    Qui fait peur à la ménagère
    Et qui occupe les policiers
    Alors il reste planté là
    Raconte des trucs à la fraiseuse
    Qui lui dit “mon gars t’arrête pas”
    Comme si la vie s’était posée sur lui
    En lui disant “toi tu bouges pas
    Les trucs jolis c’est pas pour toi”

  • Très très beau comme histoire, en effet. Belle leçon d’humanité et d’humilité, presque les larmes aux yeux. Esperons que l’avenir sera positif pour Lyes…..

  • oui joli message même si je suis assez d’accord avec ta théorie. Quand tu entends parler certains instits de maternelle ça fait froid dans le dos : lui bah on connait ses frères, ou alors il habite à tel endroit, on sait qu’il n’arrivera à rien… difficile de résister à l’effet Pygmalion…

    Ce que j’apprécie surtout, c’est que tu reconnais céder toi aussi aux amalgames rapides, aux a priori fondés sur le facies. Mais tu sais les surmonter. C’est sans doute ça l’humanité.

  • Coucou je voulais avoir des informations sur la création d’entreprises!
    Car on a été inscrit a un concours “graines de challenger”!
    Serait-il possible d’avoir ces renseignements à l’adress e- mail donnée!
    Particulièrement sur les cvonsignes de sécurité!
    Je vous remercie d’avance!
    Collège louis durand (creuse):help:
    :salut:

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