L’idée est de rassembler ce qui fait le meilleur de l’art contemporain en Afrique, ou du moins par des artistes africains qui parfois travaillent à l’étranger (et la plupart à New York il m’a semblé). Or on n’est pas vraiment habitué à voir ce visage de l’Afrique, et il est passionnant de découvrir, à travers les 200 oeuvres de 87 artistes, ce que ce continent révèle de son rapport avec l’art.
L’espace immense de l’exposition n’est pas vraiment segmenté mais plutôt très ouvert et très aéré. Cela permet de visiter très librement et sans circulation obligatoire des installations, des vidéos, des sculptures, des peintures utilisant toutes les techniques et tous les supports, des photographies, des objets hybrides fait de récupération etc. Je n’ai jamais vu une expo qui rassemblait autant de supports différents d’expression. La démonstration de l’excellence de l’art contemporain en Afrique est à ce niveau tout à fait probante. On trouve aussi des oeuvres très abstraites et d’autres très figuratives, on y verra aussi bien des oeuvres hyper alambiquées et intellos que des témoignages désincarnés et qui touchent directement le visiteur.
Les explications font parfois défaut et j’ai trouvé dommage que certaines oeuvres ne soient pas assez expliquées. Parfois, j’ai mesuré que c’était autant « avant-gardiste et abscons » que ce que les occidentaux peuvent pondre (notamment la toute première installation de l’exposition avec les sauts de haies), et là les explications n’ont fait que renforcer cette impression « soooo arty darling ! ». Du coup, je me suis demandé si le fait de laisser les oeuvres ainsi à la pure appréciation du public était un geste délibéré ou une simple carence.
Les oeuvres sont vaguement classées selon leur thème de prédilection et leur « genre ». Trois thèmes majeurs sont présentés : « Identité et histoire », « Ville et terre » et « Corps et esprit ».
Le premier thème est très fort, puisque lorsqu’on pense à l’Afrique, on pense immédiatement à la colonisation, la décolonisation, le néocolonialisme etc. Et les artistes font de ce thème un vecteur fort de leur création. La notion d’identité est extrêmement fouillée à la fois dans des oeuvres qui glorifient les cultures ancestrales africaines, mais aussi dans le rappel de la culture du colonisateur, et parfois dans un syncrétisme encore plus singulier (un salon victorien avec des tissus africain par exemple !). La France évidemment en prend pour son grade et c’est assez évident. J’ai été très touché par des oeuvres qui évoquent le génocide rwandais par exemple et la position de la France, ou bien celle avec un grand drapeau français et au centre une danseuse du ventre qui scande la marseillaise avec les cliquetis de ses chaînes et bijoux. Il y a aussi cette artiste, Zineb Sedira, qui a filmé de manière très touchante son père et sa mère qui lui racontent la raison et les circonstances de leur émigration en France. Pour elle qui est née en France, ce témoignage prend valeur d’une quête d’identité pas anodine.
Le thème « Ville et terre » expose plutôt des oeuvres qui (s’)interrogent sur le lien entre nature et urbanisme en Afrique. Il y a quelques installations qui valent vraiment le déplacement, notamment à base de terre et évoquant le sang nourricier… Très fort ! On trouve aussi quelques séries de photographies qui m’ont beaucoup plu.
Le dernier thème « Corps et esprit » fait la part belle à des oeuvres beaucoup plus abstraites et spirituelles, et aussi à des démarches qui tentent de figurer le nouveau visage de l’Afrique. J’ai bien aimé cette installation « pédiluve » où l’on marche sur des pierres rondes pour aller voir des visages (en vidéos) tandis que le sol est recouvert d’eau.
Bon, je dois avouer que je n’ai pas tout compris, mais ce n’est pas bien grave. Ce qui est génial, c’est de ne pas savoir où poser son regard, tellement il y a à voir et à expérimenter, et surtout la diversité incroyable de ces oeuvres. Et malgré certaines thématiques qui sont très dures comme la guerre, la pauvreté ou le déracinement, on retrouve toujours ces couleurs et ces musicalités chères à l’Afrique, qui animent, donnent de la vie et de l’espoir.
J’ai vraiment retenu deux artistes en fait. L’un est marocain, il s’appelle Hicham Benohoud. Sa série de photographie de « salle de classe » est excellente. Ce sont des photographies en noir et blanc assez belles de ses élèves dans des attitudes classiques, mais avec un détail incongru qui fausse le réalité (comme un élève debout en plein milieu avec un masque, et que les autres font semblant de ne pas remarquer). Il y a aussi Gonçalo Mabunda, un artiste du Mozambique, qui crée des oeuvres superbes avec des bouts d’armes en métal de toutes sortes. On reconnaît ainsi dans la structure métallique d’un fauteuil monumental les goupilles, gâchettes, chiens, canons, grenades qui ont servi à façonner l’oeuvre. Mais en fait, il y en a beaucoup d’autres à citer… ralalalala.
Toutes les photos de toutes les oeuvres sont disponibles ici, avec un « tour » en ligne de l’expo.
Petite question: si moi Patrick je dessine quelque chose et que je l’expose, est-ce que ce sera considéré comme de l’art africain contemporain parce que je suis noir et que je suis né en Afrique alors que toute mon éducation s’est faite ailleurs qu’en Afrique? je trouve surprenante ce concept d’art africain pour une exposition rassemblant justement des gens qui ne vivent pas pour la plupart en Afrique. Un ami m’avait proposé d’aller avec lui au vernissage de cette expo, et j’avais refusé parce que justement je pensais que cette vision de l’art africain donné en pâture aux étrangers n’avait pas grand chose à voir avec l’art africain qu’on peut renconter en allant en Afrique. C’est ce que j’appelle de “l’art noir pour blancs”, un art à destination uniquement commerciale, ce qui pour moi fausse le processus de création…. et bla bla bla
à Patrick : Je pense que l’art pour l’art est bel et bien fini, et que toute production artistique (à l’exception du peintre du dimanche, et encore…) s’inscrit indéniablement dans un champ commercial (peut-être outrancièrement capitaliste d’ailleurs) qu’est celui du marché de l’art.
Montrer de l’art contemporain non-occidental pose systématiquement le problème d’une forme de néo-colonialisme. Et ce tout simplement car les schémas dominants actuels de l’art – tant esthétiques que “fonctionnels”, i.e par rapport au marché – sont dictés par un mode de pensée occidental ou occidentalisé.
Tout comme la dernière Documenta, voire “Les Magiciens de la terre” en 1986, les intentions sont bonnes et le discours se veut constructif. Cependant, la réunion de ces oeuvres au sein de la forme exposition – parce que la forme exposition est une forme occidentale par excellence – n’est peut-être pas la mieux adaptée pour matérialiser ce genre de problématique et de théories post-coloniales.
Par ailleurs, et c’est le cas pour la majorité des expositions thématiques, une expo sur l’Afrique contemporaine (je serais tenté de dire les Afriques contemporaines d’ailleurs car le Maghreb, culturellement, n’a rien à voir avec l’Afrique du Sud ou l’Afrique noire) ne peut que opérer que sur le mode du sampling : on vous montre un petit morceau du travail de tel artiste, etc. Ce qui dessert les oeuvres qui, à mon avis, s’inscrivent avant tout dans un contexte culturel bien déterminé. Finalement, c’est comme visiter une biennale ou une foire d’art : des stands où les interrelations entre les oeuvres sont quasi-nulles et ne permettent pas la pleine compréhension d’une pratique artistique.
Bon je parle, je parle… je ferais mieux de m’arrêter.:blah:
Désolé, c’est encore le ragondin de service…
L’expo reste quand même le moyen de voir des oeuvres très belles comme le souligne Matoo (mon petit faible pour Jane Alexander).
Et puis l’expo Isaac Julien – même s’il est un artiste on ne peut plus occidentalisé – mérite également le détour et traite “poétiquement” de ces questions post-coloniales et de déplacement (en moins bien que Trinh-T Minh-ha peut-être…?):book: