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Pectus est quod disertos facit. ∼ Pédéblogueur depuis 2003 (178 av LLM).

L’auteur ! L’auteur !

David Lodge est un romancier génial, et j’ai dévoré une grande partie de ses livres. Ils se passent souvent dans le milieu universitaire dont il fait partie et dont il sait dépeindre avec beaucoup de talent et de dérision les petits défauts. Le tout est écrit d’une plume élégante, drôle et nimbé de ce flegme britannique si irrésistible. Or, ce nouveau bouquin est complètement différent des autres !

« L’auteur ! L’auteur ! » est l’expression que scandent les spectateurs à la fin d’une pièce de théâtre à succès afin que l’auteur monte sur scène et soit congratulé. Le livre de Lodge est un roman biographique sur la vie du gigantesque écrivain Henry James, et le titre en est d’autant plus ironique qu’Henry James n’a jamais réussi à percer en tant qu’auteur de théâtre de son vivant.

Je n’ai jamais rien lu d’Henry James, cela fait parti des auteurs anglais classiques du 19ème que j’ai complètement omis. Je suppose que c’est lié à un programme scolaire, et une simple lacune qui m’a plus porté à découvrir les auteurs classiques français. Mais je connais l’auteur, et je sais que c’est un écrivain phare de l’époque. David Lodge met rapidement le lecteur dans l’ambiance, il s’agit d’un roman donc il s’est documenté au maximum sur les faits, mais parfois il a inventé des choses ou plutôt subodoré des petites anecdotes qui mettent en valeur la personnalité de l’écrivain, et surtout il a eu pour vocation d’éviter le cadre académique et littéraire, et de parler de l’homme derrière le personnage et l’artiste.

On connaît Henry James comme un auteur britannique victorien plutôt austère et très « renfermé à l’anglaise », et là Lodge nous présente un bonhomme avec beaucoup plus de failles et de facettes. Il s’agit déjà d’un citoyen américain qui n’optera pour la nationalité anglaise qu’à la fin de sa vie. On découvre un écrivain soucieux, qui a besoin de travailler et d’écrire pour gagner de l’argent et le succès, un homme à la sexualité ambiguë qui a décidé de ne jamais se décider ni avec les femmes, ni avec les hommes, et surtout un incroyable épistolier. D’ailleurs, le roman met bien en exergue l’extraordinaire outil de communication qu’est le courier. Et c’est vrai que lorsqu’on imagine cette époque sans télévision, et avec téléphone et radio qui balbutient à peine, la poste est alors l’unique moyen pour les gens de communiquer entre eux, et les lettres sont les traces immuables qui témoignent des relations entre les personnes.

Sur cette base documentaire complexe et déjà des milliers de fois étudiée, David Lodge construit un vrai roman aux intrigues et développements passionnants. Et là on retrouve la patte de cet écrivain fantastique avec Henry James en personnage principal et une pléiade de rôles secondaires de la vie de l’écrivain qui sont loin d’être des inconnus : Georges Du Maurier (même si on connaît mieux Daphné, sa petite-fille, et sa fille Sylvia est la maman des enfants qui inspireront la pièce de Peter Pan à Barrie), Oscar Wilde (qui aura le succès que James lui enviera), HG Wells, George Bernard Shaw, Edith Wharton ou des français (HJ est passionné de Paris, francophile convaincu et parle couramment français) comme Alphonse Daudet ou Maupassant.

J’ai lu le roman de bout en bout sans jamais me lasser ou m’essouffler, tant c’est bien écrit et agréable à lire. Le livre est divisé en plusieurs parties qui de manière asynchrone et curieuse racontent la vie de l’auteur. David Lodge le dit lui-même en préface : « Ce livre est donc un roman, et construit comme un roman. Il commence à la fin de l’histoire, ou près de la fin, puis remonte au début pour faire son chemin vers le milieu et ensuite rejoindre la fin, autrement dit le moment où il commence… ». Ce découpage évite justement l’approche biographique typique et rend la structure de l’ensemble beaucoup plus intéressante, car chacune des parties possède un souffle particulier qui s’exprime au bon moment pour doter le bouquin d’une vraie intrigue.

On en apprend donc des tonnes sur Henry James, sur ses amis et les correspondances qu’il a entretenu avec un nombre incroyable de personnes, et surtout sur ses aspirations profondes, ses succès, ses échecs, ses déprimes et ses espoirs. L’une des plus grandes frustrations de son existence réside irrémédiablement dans son relatif échec en tant qu’auteur de théâtre. Il a alors vécu quelques années terribles flirtant entre humiliations personnelles et réussites flagrantes de certains de ses amis. L’ironie du sort étant qu’Henry James a aujourd’hui une célébrité beaucoup plus affichée et reconnue que la plupart des stars de l’époque. Lodge scrute avec beaucoup de finesse l’univers de la création littéraire, et décrit les affres et les turpitudes de la carrière d’auteur de théâtre.

Ce fut un délice de plonger dans ce monde littéraire et artistique de l’entre-deux siècles et dans cette Angleterre désuète et bourrée de charme avec ses gentlemen, ses cottages à la campagne, ses règles de bienséance, ses préjugés sur les français dévoyés et un Henry James qui tente de percer dans le théâtre, comme il avait pu le faire avant dans la littérature. Ce livre confirme tout le bien que je pense de David Lodge, et maintenant il faudrait au moins que je lise un bouquin de James…

L\'auteur ! L\'auteur ! - David Lodge

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  • Juste une petite pinaillerie sans importance. Henry James est un auteur américain, même s’il a prit la nationalité anglaise un an avant sa mort . Mais comme il a passé la majeure partie de sa vie à Londres, ça fait peut-être de lui aussi un auteur britannique.
    Pour ce qui est de son étude en France, le lycée a pour mission de faire des bacheliers français. Par conséquent, le bac français ne propose que d’étudier des auteurs français. Après libre au prof d’anglais de faire découvrir la littérature américaine ou anglaise. Voilà je crois que me viens de m’auto-élire :boulet:
    Il faut le lire comme il convient de lire aussi l’excellent David Lodge.

  • David Lodge :
    Un tout petit monde
    La chute du British Museum
    Jeu de mots
    sont super.
    Je n’ai pas lu L’auteur! L’auteur
    mais suis d’accord avec Matoo sur Lodge

  • Des lecteurs qui ne connaissent pas James ! Comme je les envie ! C’est, par l’immensité de son oeuvre, une sorte de Proust (à l’instar du cher petit Marcel, il ne faut pas le lire, il faut le relire)… brittanique : Oui, états-unien de naissance, mais peut-être presque autant “loyaliste” que Lovecraft. La comparaison n’est pas absurde, dans la mesure où James est, à mon sens, un porteur du “fantastique rationaliste” : “Les ailes de la colombe”, “Le tour d’écrou”, ses histoires de spectre…
    Pour celles et ceux qui souhaitent s’informer, l’article de Diane de Margerie (critique et traductrice exceptionnelle) dans l’Encyclopaedia Universalis. Fuir à toutes jambes les films “inspirés” de ses romans : ce sont des abominations !
    Bravo, mille fois bravo, de parler de James ! Je cours commander le Lodge.

  • Grey> Oui tu as raison de le préciser, en outre j’ai lu tout le bouquin qu’il était amerloque et pas rosbeef !!! Hu hu hu. Il fait tellement anglais c’est dingue !! Je vais rajouter ça quelque part ! ;-)

  • Vieillard insomniaque> Lovecraft vraiment ! Certes le Tour d’écrou, mais il me semble que Lovecraft va plus loin dans l’horreur, qu’il est plus rentre dedans, moins subtil de Henry James. Enfin, c’est comme cela que je le ressent. En même temps, je n’ai pas lu Lovecraft depuis mon adolescence.

    Matoo> C’était juste une remarque pour ne pas froisser nos amis américains. :-)

  • très bon livre de Lodge, en effet ; j’ai été un peu surpris par un paragraphe parlant des commentaires de queer studies sur James et des pratiques sexuelles hard, tout à la fin du livre, sans que Lodge élabore, et je n’ai pas réussi à lire entre les lignes.
    si tu ne sais pas quoi lire, tiens, précipite toi sur un monument brésilien du XIXème Machado de Assis.

  • Grey> Hop là, j’ai rajouté une ch’tite phrase pour expliquer qu’il était bien un auteur américain !!!
    Vieillard insomniaque> Arrête, j’ai super honte de mes lacunes en classiques notamment… Heu… je le dis maintenant que je n’ai jamais lu Proust ??? :petard: Bon mais je vous jure (madame), que je vais me rattraper !! (Ne jurez pas Marie Thérèse !!!!)

  • Matoo> Des lacunes ? Ô bonheur ! Sur mon propre atlas, on ne voit point de terrae incognitae à découvrir, mais des steppes affreuses, des déserts infranchissables… Le pire est que je n’en éprouve aucune honte.

    Grey Mondain> James écrivain plus subtil que Lovecraft, j’en conviens. Allant moins loin dans l’horreur ? Pas sûr. Il s’agit dans l’un et l’autre cas de personnalités éminemment victoriennes. La plus inhibée (du moins dans son écriture) est paradoxalement Lovecraft, chez qui le désir est soigneusement enterré (sauf dans “Le tertre” où il se lâche un peu : mais il s’agit d’un travail de “nègre littéraire”). Chez James, le désir parle et se défile, comme chez Proust. L’horreur, je ne l’apprendrai à personne, ne se pèse pas au litre d’entrailles et de sang répandus, mais à la cruauté du narrateur. Dans “Le tour d’écrou”, mais aussi “Le coin plaisant” ou “Les amis des amis” ou encore “Les ailes de la colombe”, cette cruauté me paraît évidente. L’horreur, ce serait l’exercice minutieux de la cruauté. De ce point de vue, j’estime James plus “horrifique”, d’être moins bridé, plus patient, plus âgé aussi.
    Mais je ne suis pas infaillible.
    Bon sang, quel pilpoul ! Toutes mes excuses !

  • J’ai hate de voir ce que Lodge va faire de l’épisode incendie/castration de James.:book:
    Encor emerci pour ce conseil de lecture! Perso, je trouve que james aurait sa place dans les librairies à thématique gay même si j’aurai un peu d emal à expliquer pourquoi.

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