Je l’avais déjà dit : ma vie est une sitcom. Mais aux vues de ce qu’il s’est passé la semaine dernière dans ma petite existence banale, si j’avais raconté par le menu tout cela, même dans un scénario de soap brésilien cela aurait fait faux et « too much ». Il m’arrive des trucs que j’essaie de mettre en scène pour reconstituer une anecdote comique, ou pour rendre mes émotions qu’elles soient de l’ordre du rire, des larmes ou de tout autre sentiment. Je ne cherche pas à en faire des tonnes, même si j’aime donner un peu de relief à certains faits banals en apparence.
Parfois, je pars dans mes délires intérieurs et parfois même je me demande si je ne suis pas perdu dans la matrice, ou si je ne suis pas le simple jouet d’une émission de téléréalité grandeur nature genre « Truman Show ». Il m’arrive un truc et je me dis « là ce serait le bon moment pour que je découvre que tout cela n’est qu’une partie d’un scripte et pas vraiment la réalité ». Eh bien, mercredi soir alors que je recevais quelques amis pour un chouette dîner, j’ai été frappé de plein fouet par le genre de révélation digne de la quatrième dimension. Mais ce n’est pas tout, car le lendemain matin, j’ai subi une autre salve, aussi différente qu’extravagante, qui a achevé de me convaincre que cela ferait un scénario qui manquerait peut-être totalement de crédibilité. Mais comme il s’agissait d’un épisode de ma vie, je ne pouvais pas zapper.
Mercredi soir, Séb, Vincent, Fabien, Mag, Julien chez moi. Apéro, gling-gling des verres qui s’entrechoquent sur fond de Britney ou Christina qui tentent de s’imposer entre deux échanges, deux tirades, deux éclats de rire. Rien que de très classique. Mais vers 21h30, le téléphone sonne. Je décroche. Maman au bout du fil des sanglots dans la voix et rapidement cette phrase qui tombe comme un couperet : « Ton père est séropositif. ».
Et derrière les verres qui continuent à glinguer, les potes à gouailler et les chanteuses pour midinettes à vocaliser. Bref, un parfait timing, une exacte combinaison de protagonistes, de lieu et de situation pour une rupture pareille dans le scénario de ma vie. Seulement, je ne suis pas un comédien. Je suis un freak certes, et comme d’habitude, je n’ai pas réagi. J’ai écouté, intégré, digéré et rationalisé. J’ai expliqué en quelques mots à ma môman que j’avais des amis chez moi, que nous allions dîner, et que je ne pouvais donc pas lui parler. J’ai demandé quelques explications, mais j’ai bien compris qu’elle avait elle-même subi un tel choc qu’elle ne pouvait m’en dire beaucoup plus, d’autant plus que je n’avais pas le principal intéressé au bout du fil.
J’ai simplement eu confirmation de ces faits surréalistes, et j’ai demandé à ma mère si elle était ok (premier réflexe). Mes parents n’ayant pas eu de rapports depuis des années, il n’y a donc aucun risque de ce côté-là. Je veux bien vivre une sitcom, mais je n’ai pas non plus dit une émission de téléréalité à la TrashTV (ou alors chez Bataille et Fontaine, et je laisse le rideau fermé arf arf). Mais cela doit arriver couramment que des maris infidèles transmettent ainsi leur maladie à leurs conjointes (et réciproquement). Et nous ne parlons pas du milieu pédé où les gens se surveillent pas mal, font régulièrement des tests et ont pleinement conscience lorsqu’ils prennent des risques (et là encore, on sait bien le « relâchement » ou relapse).
J’ai raccroché, j’ai regardé tout le monde. Je devais avoir une tête bizarre, car ils m’ont aussi tous regardé. Ils étaient assis, je me suis senti très grand, et puis presque flageolant, je me suis donc rapidement assis. Et puis j’ai craché ma valda : « Bah voilà, ma mère vient de me dire que mon père a appris qu’il était séropo. Bon, maintenant on va dîner. ». Oui, oui, c’est bien du Matoo tout crâché. Zen, franc et stoïque que certains adorent, autant que d’autres détestent, mais c’est ainsi.
Cela fait dix jours, il y eut aussi le second choc du lendemain que je n’évoquerais pas ici, et j’ai eu le temps de réfléchir, d’en parler à mes proches, et d’amortir le trop-plein d’affects et de stress que j’avais reçu en 24 heures. Il m’a fallu deux jours pour me décider à appeler mon père. Pas facile lorsqu’on est dans une relation d’autisme et de mutisme avec son père (comme 80% des cas j’ai l’impression), mais j’ai compris que j’étais tout de même le mieux placé pour ça. Justement je ne suis ni autiste, ni mutique, et je fais des bisous sur la bouche à mes potes séropos. Il fallait que mon père le sache. Qu’il sache que je n’ai pas honte de lui, que je l’aime toujours comme avant, qu’il ne nous a rien refilé, qu’il n’a pas besoin de se sentir coupable et que j’ai moi aussi pris des risques et que j’aurais pu me retrouver à sa place, que la vie continue, que ce n’est qu’une maladie à laquelle il faut faire face et qu’on serait là avec lui. Evidemment, il s’agit d’un moment singulier où les rapports s’inversent et que j’ai assumé du mieux que j’ai pu.
Ensuite, j’ai contacte Sida Info Service pour obtenir des coordonnées d’associations qui pouvaient fournir un suivi et soutient psychologique approprié, et jeudi dernier, j’ai accompagné mon pôpa là-bas. On a simplement déjeuné ensemble au Charbon, et puis je l’ai attendu dans la salle d’attente, mais j’ai fait cette démarche, et maintenant qu’il a pu se confier à quelqu’un, être un peu rassuré sur les prochaines étapes, nous avons pu restaurer notre rapport familial.
Mais ce n’est que la toute première étape, et je flippe un peu pour la suite.
Ouai je sais, c’est dingue, mais c’est comme ça, alors j’assume.
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