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Pectus est quod disertos facit. ∼ Pédéblogueur depuis 2003 (178 av LLM).

Danseur

Dans ce Train qui court à Grande Vitesse dans la campagne, je viens de refermer ce livre de Colum McCann et je n’en reviens pas. Comment ce bouquin n’a-t-il pas gagné de prix ? Pourquoi ai-je du attendre sa sortie en poche pour le connaître ? Dire que je l’ai acheté complètement au hasard ! Rhalalalala ! Et à présent que me reviennent en écho les dernières impressions, ces dernières pages enfin tournées, je me dis : « quel putain de bon roman ! ».

Ce roman si prenant raconte l’histoire du danseur Rudolf Noureïev. Plutôt que de produire une biographie de plus avec son lot de lacunes, interprétations, longueurs et polémiques, Colum McCann a plutôt décidé d’écrire un roman, et il a bien fait. Il a ainsi bâti sur la passion qu’il avait de ce danseur d’exception un livre qui n’est pas forcément une peinture exacte de la réalité mais un mélange de fiction et de faits avérés. Il a pu ainsi véritablement mettre en scène Rudolf Noureïev comme il l’entendait ou l’imaginait. Sa famille, son éducation, ses amis, ses conquêtes et ses folies passent ainsi par la plume de ce brillant auteur qui nous fait vivre avec fougue l’existence d’un être aussi passionné qu’il est possible d’être.

Et à la base, la biographie de ce danseur est une trame idéale de roman. Un jeune prodige russe aux origines modestes qui enflamme le Kirov, puis s’enfuit à l’ouest lors d’une tournée. Un danseur qui vit ensuite une existence de star et de diva des opéras du monde entier. Il fréquente Warhol, Jagger et la clique new-yorkaise underground dans les années 60. Il rencontre les chefs de gouvernements de tous les pays du monde, il fraye avec la jet-set de New York, Paris et Londres, il copine avec des acteurs et des artistes renommés. Il gagne surtout un pognon fou qu’il claque en appartements, fringues, oeuvres d’art et autres extravagances. Il fait étalage de son caractère impossible, de ses caprices insupportables, de son obsession sexuelle et de son homosexualité en multipliant les amants, les virées en backrooms et les interdits de tout genre. Il meurt du sida dans les années 90, mais toujours aussi flamboyant et mythique.

Comme Colum McCann écrit un roman, il raconte ce qu’il veut, commence et finit comme il le désire, et cela donne un roman d’une force stupéfiante. En effet, on sait que la base est réelle et on est donc encore plus emporté par les éléments romanesques (véritables, inventés, fusionnés, altérés mais on s’en balance) qui viennent étayer les faits. Ainsi le roman débute par une description extraordinaire des conditions de vie des soldats russes pendant la seconde guerre mondiale, et celle de son père qui est un de ses vétérans. Il ne se termine pas par la mort du danseur…

Ce commencement est terrible. On vit avec un réalisme troublant les sensations de ces soldats qui sont amenés à une déchéance sans nom. Il pose ainsi le décor de l’enfance de Rudik qui dansait à 6 ans dans les hôpitaux pour les soldats qui rentraient du front. Il passe alors de la danse folklorique à la danse classique en rencontrant une ancienne danseuse étoile et son mari qui le prennent alors sous son aile. Ils remarquent déjà le talent, la passion et aussi les travers de ce tout jeune homme (son caractère monstrueux et aussi ses tendances inverties). Ce jeune homme qui se fait frapper tous les jours par son père qui veut en faire un homme, et qui n’accepte pas la passion de son entêté de fils. Ainsi toute la vie du danseur est marquée par cette attitude double de ses proches. Ils l’admirent et le détestent en même temps.

Toute cette partie du roman, celle de l’initiation en quelque sorte, fait penser au film « Billy Elliot ». On y retrouve la même innocente passion du gamin, ses difficultés avec sa famille et cet orgueil du danseur étoile qu’on voit déjà poindre. Chaque réussite de Rudik, chaque étape de cette lente évolution et maturation de danseur donne lieu à de superbes passages.

D’ailleurs ce qui ressort principalement de l’écriture du bouquin est la passion communicative avec laquelle l’auteur raconte son histoire. Le style et la violence des descriptions, la manière dont il virevolte avec ses phrases sont autant de facteurs qui contribuent à nous faire connaître mais aussi vivre et sentir les différents moments de la vie de Noureïev. Le tout avec une acuité que je ne soupçonnais même pas avant de l’expérimenter par moi-même.

L’auteur alterne pendant tout le roman entre une dizaine de narrateurs. Ils se succèdent sans repères précis (russe, français, américain…), parfois reviennent à plusieurs années d’écart, et ils sont simplement séparés d’un saut de ligne supplémentaire. Mais en quelques phrases et indications, on sait que c’est un autre protagoniste qui s’exprime. En effet, le style se modifie immédiatement et l’auteur instille subtilement les nouvelles relations entre les personnages, et nous fait comprendre qui est celui qui « parle ». Le procédé est terriblement efficace et, curieusement, je n’ai jamais perdu le fil.

J’ai adoré ce roman. Tout m’a plu. La vie de Noureïev que je ne connaissais que par bribe, et surtout racontée de cette manière m’a fasciné. Je me fous de savoir que tout n’est peut-être pas vrai, ce n’est vraiment pas très important. Et plus globalement, le talent de l’auteur m’a conquis, j’avais rarement lu un roman dont le style et la forme portaient et servaient autant le fond. Le roman est certes hagiographique, et je suppose qu’il a fallut que l’auteur ait une certaine passion pour Noureïev pour l’écrire, mais il n’est pas lèche-botte (ou encomiastique) ni complaisant. Il s’arrête exactement où il faut pour que la légende reste intacte, et que le danseur, même malade, en fin de course et blessé, s’arrête immortalisé dans un saut, au firmament.

Danseur - Colum McCann

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  • :ok:
    Ouaiiiissss !!!! J’ai bien fait de jeter un oeil sur mes flux avant d’aller chez mon libraire préféré :o) En “biographie romancée”, j’ai lu il y a 15 jours le livre de Marc Dugain sur John-Edgar Hoover. Très intéressant et subtil. Bon je file et j’ai rajouté Danseur dans ma liste.

  • Très bonne biographie romancée. Le livre et son auteur ont eu beaucoup de papier à la sortie du livre. Mais nous sommes noyer par le nombre de livres qui sortent. L’auteur et ce livre ont eu droit à l’émission à ne jamais manquer les dimanches matins sur France 5, Le Bateau Livre. J’écoute rarement le masque et la plume, mais je pense qu’il a du faire partie du casting. Libé en a parlé à sa sorti. C’est un livre qui n’est pas passé inaperçu à sa sortie. Mais on ne peut pas toujours être là au bon moment. Ce qui compte, c’est qu’il trouve malgré tout son public, même en poche non ?

  • je l’avais lu à sa sortie ce bouquin , je suis fan de danse … Noureïev… attention c’est vraiment un roman … L’auteur a pris de sérieuses distances avec le personnage qui était un tyran .. Ceci dit , c’est vrai c’est assez plaisant à lire … et tellement romanesque …. mais cette vie , quand même , elle me fait froid dans le dos !

  • bon, il va falloir que l’ogre lise ce bouquin…. il y a une horrible biographie ( brouillone et male écrite) sortie il y a quelques années, Noureîev Intime….si vous croisez ce bouquin…. brulez le.

  • Je me demandais moi aussi quel bouquin ça pouvait être. Et c’est effectivement bien meilleur de le Noureïev intime, sans contestation. Rien que le début sur les soldats, ça commence très fort ; et ça ne faiblit ensuite pas.

  • Merci de nous faire découvrir ce roman… en lisant ta description du roman je pensais en effet au film Billy Elliot (avant que j’arrive à la section ou tu le mentionnes…). J’espère ne pas avoir trop de difficulté à le trouver et j’ai bien hâte de le lire!:book:

  • Ne pas oublier que Colum McCann, Irlandais vivant à NY, est l’auteur
    de romans et de deux recueils de nouvelles : “La rivière de l’exil” et
    “Ailleurs, en ce pays”.

  • Il faut aussi lire du même auteur “Les saisons de la nuit”, petit chef d’oeuvre qui balaye un siècle d’histoire des Etats-Unis. Presque aussi bien que “Danseur”!

  • Eh bien, je vois que pas mal de monde l’a déjà lu en fait !! Ah lalala, j’ai de chouettes lecteurs ! ;-)

    elliot> Oui j’ai bien pris cela pour un roman, je trouve qu’on devine bien qu’il avait un vrai comportement de connard… d’artiste quoi ! :afro:

  • Comme ZeF. et Muxu munu, je te conseille également Les saisons de la nuit, un livre que j’ai lu d’une traite (et dont j’ai fait une critique sur mon blog le 10 janvier dernier (catégorie: mes notes de lecture), un véritable orgasme littéraire!

  • j’ai lu également ce bouquin cet été et je m’aperçois avec etonnement que je n’en avais pas parlé. Alors que j’ai adoré. Conscient bien sûr que c’est du roman. Mais un roman qui s’appuie sur la personnalité de Noureiev. Et ce va et vient constant entre le point de vue des personnage qui sont à l’est et ceux qui sont passés ou qui vivent à l’ouest. J’avais trouvé cette écriture et cette approche magistrales.
    :book:

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