J’ai lu récemment dans un magazine scientifique l’histoire incroyable de cet homme : Mathieu de la Drôme (1808 – 1865). Il s’agit d’un républicain pur et dur (surnommé « de la Drôme » pour le différencier d’homonymes), qu’on qualifie même d’extrême gauche, qui est député lors de la Seconde République en 1848. En 1851, le Second Empire le chasse de France, il y revient pourtant un an après, mais ne peut plus faire de politique.
Comme il ne peut pas l’ouvrir en politique, il joue un peu au démiurge scientifique et garde toujours cette optique de servir le peuple. Dans cet environnement rationaliste et où l’on pense que la science permettrait de tout calculer et prévoir mathématiquement, il soumet à l’académie le fruit de ses recherches en météorologie. C’est diablement logique et implacable, il annonce que : « On peut prédire le temps comme on prédit le lever ou le coucher des astres, dix ans, vingt ans à l’avance. ». Et vlan !
Il se base alors sur les marées, les phases de la lune, des statistiques de relevés pluviométriques et il fonde un système de prédiction complètement délirant, mais avec une précision d’horloger. Il n’est évidemment pas pris au sérieux par les scientifiques de l’époque, et même largement fustigé par Urbain Le Verrier, mais ses thèses sont aussi prises au sérieux ou du moins considérées par d’autres. Or Mathieu de la Drôme se dresse aussi indirectement contre le pouvoir, et veut militer pour ce progrès scientifique qui rime aussi pour lui avec un réel progrès social (puisque la prévision du temps influence positivement les récoltes). Et voilà qu’en 1863, il publie un almanach qui prédit le temps pour toute l’année à venir. Le succès est énorme et tel qu’il fait des émules. D’ailleurs on publiera l’almanach tous les ans, jusqu’en 1926 (la famille de Mathieu de la Drôme prenant la suite) !!!
Urbain Le Verrier avait d’ailleurs répondu dès 1863 en instaurant un système de prévision météorologique avec des affichages dans toutes les villes de France et de Navarre, mais des prédictions à seulement 24 heures.
Ce n’est pas dingue qu’on ait pu vendre un truc pareil jusqu’en 1926 ? On pourrait comparer cela à de l’astrologie, sauf que là c’est censé reposer sur des études purement scientifiques et rationnelles. Je suis toujours étonné de la crédulité des gens, mais il est vrai que certaines croyances sont tenaces, et que nous sommes nous aussi souvent le jouet de credo complètement faux et ineptes dans beaucoup de domaines.
Lisez le bout d’Almanach, ça donne bien le ton du truc. Et voilà quelques exemples de prévision annuelle en terme de récolte, le genre qui veut tout et rien dire.
Maïs : Bonne récolte en Lombardie. Excellente au Maroc. Satisfaisante en Bresse et en Franche-Comté. Médiocre dans les états du Danube.
Sarrasin : Récolte au-dessus de la moyenne en Bretagne. Bonne dans le Limousin ; fort ordinaire en Auvergne.
Avoine : Récolte satisfaisante.
[Source : « Les Génies de la Sciences N°24 – Août – Novembre 2005 »]
:book: Tu me rappelles ce que je lisais dans un livre sur Képler, astronome ET astrologue (à son époque on était les deux) de la cour.
Dans les attributions d’un tel poste il y avait l’écriture des prévisions pour l’année, comme aujourd’hui mesdames Tessier et Soleil. Bien que ces dernières ne sont tenues à rien, contrairement à Képler.
Il se coltine les récoltes, lui aussi. En termes d’ailleurs assez similaires à ceux de la Drôme, c’est-à dire flous. Mais pouvait-il être plus précis ? Comme le remarque de manière fort intéressante l’auteur du livre, les récoltes sont traitées dans la partie “physique” des prévisions. Képler ne fait nullement intervenir le courroux de Jupiter ou les conjonctions de Mars et Saturne dans la maison du Cancer. Certes ses arguments physiques sonnent farfelus aujourd’hui, où personne ne croit plus que la Lune, de par sa nature d’astre humide, provoque un temps froid lors de ses passages au plus prôche de la Terre (calculs +/- maîtrisés à l’époque) par exemple. Mais on voit un esprit rigoureux s’attaquer aux récoltes avec les outils dont il dispose.
Et quand il quitte ses prévisions “physiques”, il reste prudent, et ne s’aventure pas à des pronostics aussi nets qu’une chute de station spatiale, par exemple. :help:
Ses contemporains ne prenaient pas autant de gants : Képler, en voilà un qui essaye de ne pas se moquer du monde.
Tout-à fait comme ton Matoo de la Drôme, quoiqu’on vient de voir qu’on faisait aussi bien que celui-ci trois siècles avant quand même… :mrgreen:
Lagrou, je ne suis pas sûr qu’on puisse comparer une situation du XIXe siècle avec celles des siècles précédents. Certes, il y a eu des Lavoisier pour expliquer que la chimie n’est pas alchimie, mais il y a aussi eu de fameux exemples de vrais sommités qui faisaient de la science avec les mains (et pourtant ça marchait) alors que leurs idées étaient fausses voire débiles. Descartes et Newton sont de bons exemples :)
Mais aussi étonnant que ça puisse paraître, il y avait derrière la confusion astronomie/astrologie un sens bien plus grand que celui des bonnimenteurs actuels. Ils pensaient vraiment que la mécanique céleste était une représentation du destin comme la vie des hommes. Et que ce destin pouvait être percé par les outils dont ils disposaient, certains scientifiques (lunettes, modèles) d’autre ésothériques…
Sinon, comme Matoo pourra le confirmer on apprend assez souvent des choses drôles à ces sujets en philosophie & histoire des sciences (version “petite histoire” plutôt qu’epistémologie) ; surtout si soi-même on n’est pas complètement ignare. Ni buté.
Cari amici di Francia, leggetevi il discorso che Mathieu fa alla Camera in difesa della Repubblica Romana nel 1849 e scoprirete un notevole uomo politico la cui dialettica è pari a quella di Victor Hugo, che parlerà nella stessa occasione.
Saluti
<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<ldm, <ferrara Italie