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Pectus est quod disertos facit. ∼ Pédéblogueur depuis 2003 (178 av LLM).

Le léopard des Batignolles

Ah ça les frangines, Claude Izner est une auteure bicéphale à quatre mains, elles ne pourront pas dire que je ne leur fais pas de pub. Je suis tombé dans les aventures de Victor Legris dès leur premier opus dès 2003 (mais j’avais vite enchaîné sur le second déjà sorti), et j’ai enquillé l’enquête annuelle avec la même régularité, la troisième puis la quatrième.

Les écrivains égrainent aussi les années, et nous sommes en 1893, dans une intrigue qui est largement marquée des stigmates de la guerre de 1870-71, de la Commune de Paris et sa répression sanglante. Cette surreprésentation historique est d’ailleurs un peu troublante car elle était relativement passée sous silence dans les autres romans, mais cela s’explique par une enquête dont les protagonistes sont particulièrement impliqués dans cette période trouble. Ce qui est aussi extraordinaire avec ces deux auteures talentueuses et érudites, c’est qu’on en apprend encore des tonnes sur l’histoire de France et parisienne de cette année là.

Le livre est l’occasion d’une peinture complète de la capitale de l’époque : ses moeurs, ses perturbations politiques, économiques et sociales, ses événements majeurs etc. On se rend compte que chaque année est d’une incroyable densité « factuelle », et qu’au final, à seulement une centaine d’années de là, on a quasiment tout effacé de notre mémoire collective (et de nos manuels scolaires), même si l’on en garde des repères (emprunts russes, scandale de la compagnie du canal de Panama, Arménie…). Les dernières pages, après la fin du roman, sont toujours consacrées à ces repères historiques qui sont brièvement évoqués pour donner un panorama plus complet de la situation économique, politique, sociale, artistique française (et mondiale par extension).

Les auteures ont créé des personnages attachants que l’on retrouve à chaque opus, ainsi Joseph l’employé de Victor Legris est sur le point d’épouser la demi-soeur de ce dernier. Victor obtient aussi de Tascha qu’elle l’épouse prochainement, et on retrouve petit à petit tous les héros qui ponctuent avec bonheur cette série policière. Mais un ami proche de Victor et Kenji meurt dans un curieux incendie, tandis que des morts violentes se succèdent et sont toutes signées d’un étrange « Léopard ». Une sombre histoire se dessine peu à peu où se mêlent les réminiscences de la Commune, des escroqueries à l’action véreuse, des vols et recels de manuscrits persans et comme d’habitude, Victor et Joseph qui font des rapprochements opportuns entre des faits isolés.

J’avais reproché dans les autres tomes quelques faiblesses dans le récit, et surtout dans les fins de romans qui étaient le plus souvent « racontées » (comme dans un épilogue) et peu « vécues ». Là j’ai été agréablement surpris de l’amélioration de l’action et d’un ficelage d’intrigue beaucoup plus alambiqué et habile. Il reste toujours des moments où je ne capte pas trop ce qu’il se passe, et beaucoup de mises au point assez verbeuses sous forme d’échanges entre les personnages, mais il y a une nette amélioration.

Ce qui reste le plus agréable est cette plongée dans ce Paris délicieusement obsolète et désuet, où la voiture, le téléphone et le vélo dont leur timide apparition, et où l’omnibus à chevaux vous mène d’un quartier à l’autre. Donc encore un épisode dévoré avec beaucoup de plaisir, vivement l’année prochaine !

PS :
J’avais été surpris de lire, ce que j’ai pensé au premier abord être un anachronisme, lorsque Joseph dit comme un sauvageon (hé hé hé) : « il avait trop besoin de thune ». Mais non, j’ai trouvé cela sur le net :

Thune – Thunard – Thunette. Unité de 5 francs – l’origine du mot remonte à 1628 où il signifiait aumône en jargon. Ce n’est qu’au début du 19e siècle qu’il prit le sens populaire de la pièce de cinq francs. Selon Albert Simonin (Nouveau dictionnaire de l’argot – Le petit Simonin illustré par l’exemple) les “hommes” ayant fait les Etats (Unis) gardent l’habitude de désigner entre eux le dollar sous ce nom. Ils diront cent thunes pour cent dollars. Le mot viendrait de Tunes, forme ancienne de Tunis, le chef des gueux s’appelait par dérision le roi de Tunes. [Source]

Du coup, je me demande par quel moyen nous avons recyclé cette expression pour parler d’argent, alors qu’il me semble que nous ne l’utilisions pas il y a dix ans ( ???).

Claude Izner - Le léopard des Batignolles

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  • j’utilisais déjà “thune” quand j’avais 12 ans … soit il y a 18 printemps ;)

    Je puis le certifier, car le Père Alain de mes années de Pensionnat m’avait vertement sermonné sur l’utilisation de ce mot qui ne sied pas à un jeune homme de bonne éducation. Heureusement qu’il n’avait pas entendu le reste de ma conversation qui impliquait la revente de photocopies de pages centrales du magazine au “petit Lapin” à un autre interne qui trouvait les nuits longues :shock:

  • Pareil pour maille (comme dans la chanson “j’aime ta maille”), qui est de l’argot médiéval des voleurs, et qui a refait surface dans les banlieues françaises il y a quelques années. Sans doute un prof de français est-il à l’origine de ça.

  • Ce que j’aime aussi dans ces livres c’est que je retrouve certaines expressions et certains mots d’argot que ma grand-mère maternelle employait.
    Mais il ne faut pas s’y tromper le niveau général de la langue française employée est élevé.
    Je crois que les intrigues ne sont que des prétextes pour l’ambiance de l’époque où déambulent les personnages principaux. D’ailleurs l’intrigue de ce dernier est assez linéaire.

  • Ca me fait penser à une (vieille) chanson qui dit comme ça :
    Mets deux thunes dans le bastringue
    Histoire d’ouvrir le bal
    Et si t’es pas sourdingue
    T’auras du carnaval
    Pour tes dix balles…
    (NB : ce qui confirme l’équivalence une thune = 5 francs)

Répondre à charles Liebert (brigant un second Hot d'Or ...) Annuler la réponse

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