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Pectus est quod disertos facit. ∼ Pédéblogueur depuis 2003 (178 av LLM).

Darshan – L’étreinte

Jan Kounen avait déjà montré son intérêt pour la spiritualité et une certaine quête de soi avec « Blueberry ». Il transforme l’essai avec ce film documentaire qui explore l’univers d’une femme gourou, une Sainte en Inde, Sri Mata aussi appelée « Amma » dont la particularité est d’étreindre et de serrer dans ses bras le maximum de gens. Elle donne son amour et sa compassion à tout le monde, sans condition, sans limite et par pur altruisme.

Il ne s’agit pas à proprement parler d’un documentaire parce qu’il n’y a aucune voix-off, seulement des témoignages, des images, de la musique et un habile montage. Je ne sais pas si Jan Kounen a voulu ainsi laisser le libre-arbitre à son spectateur, ou s’il a pensé orienter son opinion dans une direction ou une autre. J’ai eu l’impression qu’on pouvait sortir de la salle avec un avis très différent selon son vécu, son ressenti et ses préjugés.

Et cette femme est indéniablement une sainte femme, elle professe depuis gamine ses préceptes d’amour et de charité. Et aujourd’hui il s’agit d’une femme à l’aura et au charisme international, qui se déplace dans les pays du monde entier pour donner ses étreintes à tous et toutes. Elle a de nombreux adeptes qui ont été « libérés » à son contact, et elle a financé des hôpitaux, des orphelinats, des maisons, grâce aux dons qu’elle reçoit des gens. Elle nourrit aussi des milliers de gens à chacun de ses passages, et elle fait de longs périples en Inde et dans le monde pour donner son darshan à un maximum de gens (ce qui donne des millions de quidams !!). Pour son cinquantième anniversaire, elle a étreint 45 000 personnes en 21 heures. Et ce n’est pas de la gnognote, c’est vraiment très impressionnant de voir cette femme qui sincèrement prend ces gens dans ses bras et leur donne un bon « hug » des familles.

Ajoutez à cela des images de l’Inde d’une beauté stupéfiante, les actions maternelles troublantes de cette femme qui se dope à l’amour universel et une bande-son particulièrement inspirée et idoine.

Donc voilà pour le volet positif qui émane naturellement du film. Une bonne femme, littéralement, qui donne de l’amour à son prochain, sans contrepartie, qui fait le bien et prône le bien autour d’elle, et dans le monde. Ensuite, je pense que j’ai été choqué par tout un tas de petites choses qui je pense sont liées à mon éducation et mes principes. Certainement des choses qui illustrent une grande différence culturelle avec l’Inde, et mon rapport à la religion ou à la spiritualité.

Cette femme est une illuminée comme il en existe beaucoup, et elle est gourou ou Sainte comme il y en a aussi beaucoup en Inde. Du coup, elle endosse aussi son rôle de guide spirituel qui déborde forcément sur des domaines plus concrets. Et là, j’ai un peu tiqué lorsqu’elle a proposé pour une date précise que tous ses adeptes du monde entier prie ensemble à la même heure, par rapport à des actes terroristes qui viennent faire du mal à des enfants. Et là ce n’est pas très clair, mais elle baragouine un truc à propos des attentats du 11 septembre et des enfants pris en otage en Russie. Le monde est mauvais vilain pas beau et il faut prier pour que ça aille mieux. J’ai été assez choqué de l’incongruité de ce qu’elle a dit, et de l’ignorance manifeste qui se dégageait des faits cités. Un peu comme si elle basait sa connaissance des maux du monde en regardant le JT de TF1. A ce moment là, je me suis dit qu’elle devrait éviter de parler politique, et devrait rester au niveau métaphysique.

Ensuite ce qui me gêne, mais là c’est globalement un truc qui me dérange dans l’Hindouisme ou le Bouddhisme, c’est cette manière de prôner l’immobilité et l’acceptation de son sort. Surtout il ne faut pas se révolter, et ne pas se bouger le cul. Il faut accepter son destin et son karma. Voilà un état d’esprit qui n’est pas bien en adéquation avec mes propres valeurs.

Cette femme a commencé seule dans son coin, elle a été considérée comme un peu folle, avant de rencontrer cet énorme succès. Aujourd’hui elle est entourée de gens, et elle brasse des millions qui servent à ses projets caritatifs. Voilà encore un de mes préjugés, mais je l’assume : Je pense que le pouvoir et l’argent corrompent. On voit toujours un Iznogoud à côté d’elle, qui traduit en anglais et qui donne des ordres. Il négocie avec d’autres gars sur les voyages d’Amma, et sur les problèmes logistiques. Je ne peux m’empêcher de penser que dès qu’une telle organisation est en place, et n’est pas du ressort de l’état (et encore…), il y a forcément dérive et exploitation. Je crois en la sincérité du message et du bien-fondé des actions d’Amma, mais j’ai peur que la récupération et l’exploitation de cette manne soient déjà en place.

En plus, elle est crevée après être restée des heures et des heures assises à donner son darshan. Je ne peux m’empêcher d’y voir aussi (je suis cynique) une prestation sous forme de performance qui gâche le message de base. Je me demande aussi dans quelle mesure elle n’a pas de concurrents qui se mettent sur le même créneau. Il n’y a pas une autre femme qui a décidé de donner le darshan elle-même ? Y a-t-il un enseignement qui donne le droit à cela ? Seule Amma peut faire cela ?

Je me suis aussi un peu étonné de cette pratique en elle-même. Est-ce que les Indiens ont besoin d’affection et qu’on les prenne dans les bras ? Et les parisiens qui se rendent à son darshan dans la capitale aussi ? Peut-être qu’elle ferait alors aussi bien de conseiller aux gens de faire cela entre eux, et de se donner de l’amour, de se réconcilier avec l’étreinte plutôt que d’en faire son don unique (et forcément rare, et forcément cher, spéculation oblige). Je joue un peu les avocats du diable, puisque j’ai compris qu’elle avait un pouvoir spécial, mais je trouve que c’est un peu terrible cette quête d’affection et de compassion chez autrui. Pourquoi aime-t-on tant placer en une seule personne des pouvoirs et la rendre aussi maîtresse de nous ?

Ensuite, comment une femme qui voyage dans le monde entier, qui est considérée comme une Sainte par ses ouailles, dont on couvre le visage de pétales de rose, qui reçoit des témoignages d’affection et de révérence de millions de gens dans le monde, qui est seule et unique démiurge de son mouvement, peut-elle prôner l’humilité, la tempérance et la modération ? Comment demander aux gens de rester humbles et à leur place quand on fait une teuf avec des centaines de milliers de personnes pour son cinquantième anniversaire ?

J’ai toujours été dérangé par la starification mais encore plus lorsqu’elle a lieu dans le domaine religieux. C’est tellement orgueilleux et présomptueux de se mettre ainsi au dessus des autres et de se faire canoniser de son vivant, alors qu’on a pour principe de rester modeste. D’autant plus par une personne qui affirme depuis qu’elle est gamine qu’elle veut avoir son propre ashram. Du coup, je la soupçonne d’être un brin mégalo, et surtout d’avoir été complètement markétée (mais bon c’est aussi ce que je pense de la religion en général). Et pourtant, on la sent sincère dans son sacerdoce, et certains passages du darshan sont incroyablement beaux, émouvants et troublants.

Je me demande vraiment si Jan Kounen voulait montrer aussi tout cela, ou s’il n’a rien vu, ou n’a pas les mêmes enchaînements logiques que moi face à ces images, ou si au contraire il a délibérément instillé des moments « critiques » pour aussi provoquer quelques réactions de son audience. L’absence de parti pris est-elle une habileté de l’auteur ou bien un moyen de ne pas se mouiller ? Parce qu’en sortant de la salle, il y avait aussi des gens avec les larmes aux yeux qui voulaient se rendre au prochain Darshan et qui étaient presque à chanter Are Krishna. Alors prosélyte ou pas ?

L’avis des copines : Oli et Baptiste (pas vraiment mais c’est intéressant).

Darshan - L\'étreinte

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  • ce que j’ai du mal à comprendre, c’est comment cette femme peut concilier sincèrement l’appel à l’humilité et le don de tant d’amour par jour avec les pures grosses bouteilles de gnôle qu’elle se balance dans la trachée tous les soirs.

  • J’ai rencontré Amma (ça veut dire Mère je crois) en 2001 avec celle qui allait devenir ma femme. On est assez branché spiritualité orientale, eet une amie nous avait parlé de son expérience avec Amma, disant à quel point cette femme rayonnait. En effet, si étrange que ça puisse paraître aux rationalistes féroces, Amma rayonne beaucoup d’amour. Elle nous a étreint ensemble ma fiancée et moi, il paraît que c’est un mariage des âmes. Apparemment, ça fonctionne assez bien :-) Retrouver là-bas deux collègues n’avait pas été la moindre de mes surprises … Quant au fait qu’Amma tâte de la bouteille, et alors? CA rpuve qu’elle reste humaine, et au moins, elle ne se cache pas ni ne se la joue style “guru ascétique”.

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