Kiki de Montparnasse, est-ce que ce nom vous dit quelque chose ? Une fille née en 1901 et dont voilà un bref exposé biographique :
Durant les années folles, tous se retrouvaient autour d’expositions et de soirées folles : celles de la baronne d’Oettingen, du bal nègre avec Youki et surtout avec Kiki, reine de ces soirées.
Cette jolie brune volcanique, au sourire éclatant s’appelait en réalité Alice Prin. Sa beauté et sa gentillesse en firent la coqueluche des artistes désargentés. Elle avait débuté en chantant à la terrasse de la Rotonde et dans une boîte à la mode, le Jockey.De nombreux peintres la prirent comme modèle : Modigliani, Soutine, Picasso, Foujita, Derain….. Parmi tous ses amants, Man Ray, le photographe-cinéaste américain l’immortalisa sur pellicule dans un court métrage de 1928, appelé « l’étoile de mer » d’après un poème de Robert Desnos.
On venait de loin pour la voir et l’entendre, sa photo faisait la une des magazines, elle avait tout : argent, bijoux, fourrures, voitures. Quand survint la Seconde Guerre mondiale, Kiki de Montparnasse vit la fin de sa gloire, puis la tragédie de la décrépitude. Elle bascula dans la misère, allant d’un café à l’autre, de table en table, pour faire les lignes de la main. Alcoolique et droguée, elle mourut en 1953, emportant avec elle le souvenir d’une immense richesse et de la gloire passée de Montparnasse. Seul Foujita, assista à son enterrement au cimetière de Thiais.
[Source]
Imaginez que cette incroyable femme avait écrit, poussée par tous ses potes artistes, ses mémoires en 1929, et puis les avait complétées en 1938. Et pendant 65 ans le tapuscrit a été purement et simplement perdu ! On les a retrouvées parmi des cartons avec une étiquette où était mentionné : « Infiniment précieux ». Et voilà l’oeuvre que j’ai eu le plaisir aussi infini de découvrir.
Cette jeune femme, d’un milieu extrêmement modeste, a fait la rencontre de gens aussi paumés qu’elle dans le Montparnasse de l’entre-deux guerres. Elle a connu les artistes qui sont aujourd’hui de grands maîtres qu’on admire dans les expositions et les musées, et qui, à l’époque, échangeaient des tableaux contre « un bon repas chaud ». Mais cette fois, ce n’est même pas une histoire « que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître », et c’est bien ce qui m’a épaté. En effet, là il ne s’agit pas de l’époque de mes parents, ni même celle de mes grands-parents mais encore avant ! Du coup, il est logique que nous n’ayons aucun contact avec cette génération, à la fois trop lointaine pour nous avoir directement communiqué des choses, mais assez proche pour en ressentir encore certaines réminiscences familières.
Le livre est un objet superbe qui reprend donc ces mémoires en les agrémentant des illustrations de Kiki elle-même, mais aussi des photographies de Man Ray et d’autres artistes. Il s’agit d’un texte très court et très simple, pas de chichis (d’autant plus qu’elle ne devait pas avoir une énorme instruction), mais une femme qui écrit avec beaucoup de candeur et d’audace sur ce qu’a été sa flamboyante vie. Et comme dans une chanson réaliste de l’époque, on ressent avec une acuité inouïe ces vies d’une cruelle âpreté mais aussi traversée de morceaux de joie et de bonheur véritables.
Elle est l’enfant non désiré d’une relation adultérine, et elle a été élevée par sa grand-mère. Elle allait même à l’école avec une petite fille qui était l’enfant légitime de son père. Et elle avait déjà du caractère…
Nous ne pouvions évidemment pas nous rencontrer sans avoir envie de nous dévorer et, quand nous nous battions, elle disait :
« j’vas le dire à mon père.
– J’m’en fous, que j’y répondais, c’est le mien aussi. »
Vers 12 ans, elle débarque à Paris et loge avec sa mère et d’autres personnes dans un minuscule appartement. Elle est rapidement placée comme bonne, ce qui ne l’enchante guère. Mais avant, elle travaille aussi dans une imprimerie où on remarque déjà son côté mutin.
Après un ou deux mois de livraisons, on m’essaye à l’atelier de brochage ! Mon premier boulot m’a tout de suite emballée. C’est la reliure du Kama-sutra.
Il y avait là-dedans de quoi m’échauffer les oreilles et donner à mes entre-cuisses des mouvements d’ailes d’oiseau qui n’arrive pas à s’envoler !
J’avais l’impression d’avoir en permanence une chaufferie dégageant une douce chaleur qui part des cuisses, monte doucement et se répand à mon ventre !
Tout au long du livre, en filigrane, on ressent son manque d’affection qui remonte manifestement à sa relation (inexistante) avec sa mère.
Quand j’entendais dire : « maman chérie », il me semblait que mon coeur allait craquer : j’étais gêné, rougissante, j’avais l’air coupable et je n’osais pas regarder ma mère. Pourtant, parfois, je ne la sentais pas indifférente.
Peut-être aurais-je dû joindre le geste à la pensée, au désir que j’avais de monter sur ses genoux, de l’embrasser !
Mais je ne pouvais pas. Elle me glaçait tout de suite par une réflexion ironique, sans se douter que j’avais si mal et qu’un seul regard humain m’aurait fait exploser !
J’aurais tout laissé couler, ma peine et mon désir de pouvoir dire : « maman », puisque le mot « papa » ne m’a jamais été permis non plus.
Elle subit pendant quelques temps le métier de bonne, et puis décide d’arrêter ces boulots ingrats. Surtout, elle découvre qu’on peut gagner beaucoup plus d’argent en bien moins de temps et de fatigue en posant nue pour des artistes. Voilà donc ce qu’elle fait, tout en conservant sa virginité, ce qui parait être un sacré challenge pour l’époque ! Elle fait alors la connaissance des artistes sans le sou de Montparnasse, et s’impose rapidement comme un élément indispensable du décor. Les artistes la connaissent et l’utilisent comme modèle, les cafetiers et les restaurateurs lui offrent des verres, et apprécient sa bonne humeur ainsi que son entrain dans les fêtes de l’époque.
J’ai beaucoup aimé cette anecdote d’un soir où Kiki se retrouve sans toit par un froid glacial, et sans un sou. Elle rencontre le peintre Soutine…
« Soutine, je suis dehors avec une amie : tu ne peux pas nous coucher ? »
Sans s’arrêter il me répond :
« Venez jusque chez moi, si vous voulez ! »Ma copine est déjà sur mes talons et nous marchons l’une derrière l’autre. Soutine ne parle pas. Il a l’air lui aussi de ne pas avoir fait des excès de nourriture.
On rentre dans son atelier, d’un geste il nous montre son lit et comme nous grelottons de froid, toujours dans dire un mot, il commence avec une frénésie qui ne nous rassure guère à casser le peu de meubles qui lui restent.
Il fait un bon feu, mais nous ne le remercions pas ! Nous sentons que ça l’ennuierait.
On se contente de le regarder avec des yeux reconnaissants, car on comprend la beauté de ce geste.
Voilà, le livre est ponctué d’exemples comme cela, qui illustrent l’esprit qui régnait à l’époque avec son lot d’injustices et de cruautés, mais aussi son pendant avec des gens généreux et altruistes. Kiki rend hommage à certains patrons de café qui ont été des mécènes sans le savoir ou le vouloir, mais par simple générosité, amour de l’art et respect des artistes. Ce n’est certes pas de la grande littérature (ça se dévore en quelques heures), mais un témoignage qui m’a énormément charmé, et une personnalité qui mérite d’être mieux connue. Cette écriture respire la gouaille du Paris de l’époque, Kiki se met à danser et chanter, et on imagine terriblement bien l’ambiance.
Il y a matière à réaliser un beau film sur cette femme émancipée et affranchie. Une femme à la vie passionnée, aux amours tumultueuses, à l’existence qui a connu les sommets (coqueluche du tout Paris, célébrité, argent) et les gouffres (drogue, prostitution, misère), et qui représente tellement ce Paris des années folles.
PS : A quand les mémoires de Galia, retrouvées en 2065 dans un vieux disque dur, caché dans une malle sous des perruques, des chaussures compensées et des chuppa-chups !!!
PPS : Kiki c’est aussi le modèle de cette célébrissime photographie de Man Ray.
Mille mercis Matoo de m’avoir fait découvrir Kiki que je ne conaissais pas. Le monde change, les oeuvres des peintres qui avaient parfois faim et froid atteignent des valeurs records, dont le dizième seulement d’une toile leur aurait permis à l’époque de vivre (et fort bien vivre) des année durant. Quand à Kiki, son regard simple et sincère sur la vie est émouvant. J’ai moi-même découvert dans des archives un manuscrit d’un modeste écrivain un demi-siècle après sa mort. Je vais l’éditer avec un appareil biographique.
Quand à ton idée de faire un film, oui, il y a là matière. Tu pourrais davantage t’impliquer dans le milieu cinématographique au vu de tes critiques de films, et pourquoi pas, en écrire le scénario.
Un dernier détail. J’ai du mal à croire qu’elle soit restée vierge aussi longemps, tant par l’excellent guide du kama-sutra qu’elle reliait très jeune dans son imprimerie, que par les “chauds” artistes qu’elle fréquentait nue dans leurs ateliers …
Merci de m’avoir aiguillé sur ce livre. J’ai hâte de le lire.
Elle a aussi posé pour Sanyu https://blog.matoo.net/2004/08/31/sanyu-lecriture-du-corps/ d’ailleurs (et Juliette en parle dans sa chanson Rimes Féminines)
ça donne effectivement envie, j’aime ce genre d’histoire, bonne idée lecture…thanks:lol:
Vive la vie! bravo Kiki!
Dans mon enfance, mon arrière-grand-mère me racontait parfois des annecdotes sur Kiki et sa relation avec les hommes en particulier. Kiki a vécu chez elle pendant une période de la guerre et elle aimait évoquer ce “sacré personnage”! Elle les avait tous étonnée dans ce petit village de Touraine,tant elle n’avait pas froid aux yeux et surtout pas la langue dans sa poche. Merci M’dame d’être passée par là et d’avoir émoustillé et touché le monde de votre belle âme!
J’ai lu le livre. Très intéressant. Je n’en avais jamais entendu parler. Chacun sauve sa peau comme il peut, avec les moyens qu’il a. Son optimisme l’aura sauvée, et son amour “Man Ray” l’aura aimé et respectée plus que Kiki ne l’a pensé je pense. L’aura-t-elle seulement compris ?
Héritière du répertoire de Diane Dorel, qui, fut Directrice artistique du Jockey dans les années 70…
Je recherche des contacts l’ayant connue, des photos etc…
Merci de votre réponse, par avance.
Tina Andreati (Chanteuse).
oui j’ai connu Diane Dorel dans les Année 7O je m’appelais à l’époque MARIEF