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Pectus est quod disertos facit. ∼ Pédéblogueur depuis 2003 (178 av LLM).

Le complot contre l’Amérique

Je ne connaissais que « la tache » (Prix Médicis Etranger) de Philip Roth qui m’avait beaucoup plu à l’époque. Ce roman a beaucoup fait couler d’encre et comme on me l’a aussi personnellement conseillé, je me suis attelé à sa lecture la semaine dernière. Il s’agit d’un roman mais d’une facture bien particulière puisque c’est un récit uchronique. Philip Roth imagine les Etats-Unis et sa propre histoire familiale dans le contexte de la seconde guerre mondiale, à cela près que le président n’est pas Roosevelt mais Charles Lindbergh, le célèbre aviateur et tout aussi renommé antisémite.

L’auteur se met donc en scène avec sa famille à Newark, une ville portuaire proche de Manhattan dans le New Jersey, dans laquelle il habite au sein d’une communauté juive assez concentrée et unie. Le petit Philip Roth a 7 ans (en 1940), et l’auteur narre avec une stupéfiante précision chronologique et historique les mouvements politiques américains de l’époque. Il montre bien l’émergence des mouvements antisémites et des partis comme « America First » (un peu comme notre bon vieux FN fascisant) qui fondent leur stratégie sur l’isolationnisme et la neutralité des US dans la guerre mondiale. La différence avec notre réalité est dans l’élection de Charles Lindbergh à la pace de Roosevelt, et toutes les implications qui en découlent.

On suit ces bouleversements historiques à travers la famille Roth, avec le père qui refuse de céder à la panique, et qui tient tête aux politiques d’assimilation (intégration dirait-t-on aujourd’hui…) du nouveau gouvernement, et qui se révolte de plus en plus aux propos ouvertement antisémites du président. On sent donc s’insinuer la peur dans la communauté, avec la mère de Philip aussi qui s’inquiète tout en essayant de tenir le coup. Et diamétralement opposé, sa soeur Evelyne épouse un rabbin pro-Lindbergh qui collabore à un Bureau d’Assimilation qui a pour but d’éradiquer le sentiment communautaire, et de fragiliser l’unité juive. Le frère de Philip part même plusieurs semaines dans une famille qui cultive du tabac, et il en revient plus déraciné que jamais, et en rébellion avec les idées de ses parents (objectif même de l’éloignement…) et des valeurs de sa communauté.

La fibre romanesque est très dense, et la trame historique fournit les éléments pour ancrer le tout dans une angoissante « possible » réalité. Donc c’est là un excellent roman qui mixe avec bonheur une narration haletante avec son intrigue familiale, mais aussi une intrigue historique à la fois familière et à l’issue finalement incertaine. On se surprend à croire en une Amérique qui aurait pu céder assez facilement et rapidement au fascisme, alors qu’on la considère (dans cette époque) souvent comme le parangon de la justice, la liberté et l’anti-hitlérisme.

Le livre est donc agréable à lire et très intéressant, mais malheureusement cela m’a fait l’effet d’un pétard mouillé sur la fin. Je trouve que le roman se termine sans saveur, et sans panache. Comme si une fois le fait historique rapidement expédié (même ça, je n’ai pas été convaincu…), l’intrigue familiale avait aussi perdu de son intérêt pour l’auteur. Cette fin est vraiment décevante alors que j’avais lu le reste avec tant de stupeur et de plaisir. Mais je demeure malgré tout admiratif de l’idée de départ et de ce mélange entre faits réels, personnages réels et un petit changement dans le « scénario » dont les conséquences sont énormes. En outre, le livre donne aussi sous couvert de fiction une bonne leçon de morale à l’Amérique libératrice du monde…

L’avis des copines : Népomucène.

Le complot contre l'Amérique - Philip Roth

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  • C’est vrai que Charles Lindbergh était ouvertement antisémite, et qu’il était allé visiter l’Allemagne nazie en compagnie de sa femme. Comme un certain Duc de Windsor d’ailleurs…
    Il y a je crois un livre de Philipp K. DICk qui raconte que la deuxième guerre mondiale a été gagnée par les allemands et les japonais, qui se partagent l’amérique en deux.

    Mais enfin, je ne pense pas hélas que nous ayons des leçons à donner aux américains sur l’antisémitisme.

  • mmmm… uchronique?absent du dictionnaire de l’academie et d’autres dictionnaires en ligne… bon OK je chipote :boulet:Merci pour tes posts toujours aussi personnels. N.

  • Uchronie..grâce à toi et à Wikipédia, je viens de découvrir encore une fois un nouveau mot. Si Cléopâtre avait eu un petit nez, la face du monde en eut été changée. Et, rien à voir, mais si mon père n’avait pas eu un frisson lubrique dans les reins il y a..pas mal de temps, je ne fêterais pas mes…50 ans juste aujourd’hui!

  • Vous chipotez en vain.

    Trésor de la langue Fraçaise informatisé (http://atilf.atilf.fr/tlf.htm) :

    Uchronique, adj. Qui est relatif à l’uchronie, qui relève de l’uchronie. “On verra là le point de vue (…) d’un historicisme uchronique et éperdu qui s’adresse à un Poincaré et à un Jaurès du même fonds qu’à Démosthène et Isocrate, l’un à son centre athénien, l’autre à son centre panhellénique” (THIBAUDET, Princes lorr., 1924, p. 203). “La liberté, si elle n’est pas possibilité rétrospective ou uchronique, ne serait-elle rien de plus que possibilité anticipée et vide disponibilité?” (JANKÉL., Je-ne-sais-quoi, 1957, p. 203).

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