Déjà la dernière fois, je m’étais dit que Philip K. Dick avait, sans le vouloir, écrit tous ses romans comme des excellents films de SF, et là encore ce n’est pas démenti. Si cet écrivain fabuleux était vivant il serait sans doute depuis des années la coqueluche d’Hollywood. Ce roman se lit encore comme de la manière dont on regarde un film. L’auteur distille son intrigue avec une stupéfiante efficacité, il mêle avec virtuosité et intelligence son récit futuriste avec ses ingrédients habituels : les faux-semblants, la manipulation à grande échelle, les décalages temporels, les affrontements est-ouest sans fin et des mutations liées à la radioactivité.
Nous sommes le 19 mai 2025, la Terre est un champ de ruine, car la guerre qui oppose l’Est à l’Ouest sévit depuis une quinzaine d’années. Les camps rivalisent de stratagèmes pour se détruire les uns, les autres… armes bactériologiques, robots guerriers (qu’on appelle « SolPlomb » comme Soldat de Plomb), bombes atomiques etc. Des villes des deux grandes puissances sont régulièrement détruites, et les hommes ont du se réfugier dans des abris souterrains pour survivre. Là l’effort de guerre est organisé, et les gens travaillent d’arrache-pied à la fabrication de Solplombs, tout en vivant confinés et de rationnements. Régulièrement ils ont des messages télévisés qui leur arrivent de la surface et les informent de la progression des combats. C’est le « Protecteur » en personne qui leur parle, et tente de leur faire garder espoir.
Voilà, ça c’est la version officielle. La vérité c’est que la guerre a en fait duré deux ans, et tant mieux sinon la Terre aurait vraiment été annihilée. En fait les vétérans des deux côtés se sont arrangés un jour. Ils ont cessé les affrontements, et ils se sont entendus sur un nouvel « ordre mondial ». Des citoyens appelés « Yancees » sont devenus des « Seigneurs » de territoires gigantesques qui sont d’énormes parcs naturels, tandis qu’ils utilisent les robots pour faire leurs travaux. Tout le monde est d’accord pour laisser la majorité de la population dans l’ignorance et les laisser ainsi produire les robots dans le sous-sol, tandis que les yancees jouissent de leurs petits loisirs. Ainsi ils fabriquent de fausses émissions de télévision pour faire croire aux gens que la guerre continue, que des germes virulents sont à la surface, et que la planète est irradiée.
Le responsable d’un de ces bunkers souterrains, Nicholas, doit se rendre à la surface pour tenter de sauver l’un des siens qui est gravement malade. Malgré le danger et les interdictions, il arrive à rejoindre ce « nouveau monde ». Là il découvre la vérité mais aussi ce qui se trame dans cet univers, où les choses ne sont pas aussi simples qu’il y paraît.
Il est très cocasse parfois de lire l’imagination de K. Dick dans un monde futur toujours divisé en deux, ou bien en extrapolant sur des technologies de son époque (le bouquin est écrit en 1964). Ainsi lorsqu’il évoque les robots ou les dispositifs du futur, il est à la fois très en avance (puisqu’il parle de machines extrêmement sophistiquées des années 1990), mais reste sur des bases technologiques déjà complètement désuètes à l’époque où il les situe. Eh bien malgré cela, il est bluffant, et avec très peu d’adaptation on pourrait obtenir un récit d’une crédibilité confondante.
Il est surtout d’une habileté incroyable dans sa narration, et la manière dont il nous entraîne dans son intrigue. On prend un plaisir jubilatoire à suivre l’histoire et à rentrer dans les personnages. On sait que chausse-trappes sur chausse-trappes nous attendent, et que les rebondissements finiront par nous offrir un mot de la fin qui éclairera le tout, ou bien le rendra encore un peu plus obscur ou souvent ironique. D’ailleurs à ce sujet, le titre est génial car il décrit finalement tout le bouquin, mais ne peut être pleinement compris que dans les dernières lignes du livre.
Ce n’est pas de la grande littérature, mais c’est d’une efficacité assez redoutable et il décline des facettes de la Science-fiction qui me touchent particulièrement. Philip K. Dick a encore fait mouche pour moi donc ! Merci du voyage !
Les autres critiques des bouquins de K. Dick dans mon blog :
L’oeil dans le ciel
Substance Mort
Coulez mes larmes, dit le policier
Paycheck
Souvenir
Mensonges & Cie
Le dieu venu du Centaure
Le maître du haut-château
Au bout du labyrinthe
Dick, c’est le Balzac américain… Un génie absolu, relativement peu connu dans son propre pays. Un autre très grand malheureusement peu connu dans notre pays), c’est Kurt Vonnegut. A lire: Abattoir 5 (romande science-fiction prenant pour base la propre expérience de l’auteur du bombardement de Dresde en 45) et Le breakfast des champions (qu’on pourrait ,décrire comme un romande sciences-fiction martien, décrivant un monde qui serait l’Amérique des années 70)
Substance mort… La version cinématographique sort ici : A scanner darkly. Un film d’animation fait à partir de vraies images filmées, avec Keanu Reeves. Impressionnant.
On a dit de PKD qu’il était un écrivain de SF “noir”. Un écrivain majeur dans un genre qui reste malheureusement mineur.
Mais il existe aussi un certain Jack Vance, à l’écriture si savoureuse…
panama > il n’est pas si inconnu, bien au contraire. Si à son époque il était surtout connu pour ses excès d’emphétamines, il a produit des livres parfois inspirés, parfois même trop.
La vérité avant-drenière recèle notamment un de ces mythes fondamentaux, celui de la grotte…
Toi qui parle de son écriture cinématographique, tu devrais jeter un oeil au scénario d’Ubik, dont j’ai parlé il y a quelque temps. Jugé irréalisable dans les années 70 par les commanditaires, on pourrait facilement imaginer une adaptation par Michel Gondry de nos jours. En tout cas, tout sauf les piteux blockbusters auxquels on a eu droit jusqu’à présent. Pas une seule adaptation de Dick digne de ce nom à ce jour. J’adore BLADE RUNNER, mais faut bien reconnaitre que ça n’a pas grand chose à voir avec le livre. Et j’attend beaucoup de A SCANNER DARKLY même si je n’avais pas beaucoup aimé le livre…
ca sonne très proutproutmatuvu, mais le bouquin que je préfère de P.K.D reste “Confessions d’un barjot” qui n’est pas un roman d’anticipation, et dont l’adaptation ciné est … iiirk. Juste un avis en passant.