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Pectus est quod disertos facit. ∼ Pédéblogueur depuis 2003 (178 av LLM).

Rue des Maléfices

Jamais je n’aurais pensé avoir autant de plaisir à lire un bouquin de ce genre. D’abord parce que c’est un livre français des années 50, un période où les romans ne me font pas généralement saliver, et ensuite parce qu’il raconte des histoires sur Paris, et qu’en en lisant simplement le résumé, ça ne m’emballait pas vraiment. Heureusement que je suis du genre à passer outre mes propres préjugés (et une généreuse bienfaitrice y participe fréquemment).

En effet, ce livre de Jacques Yonnet est un véritable bijou que j’ai dévoré avec une rare avidité. Je peux déjà professer que cet auteur a une indéniable plume, ce qui donne au livre une saveur très agréable, et fait regretter que ce soit son seul ouvrage. Mais j’ai aimé surtout la teneur de ces récits, et la manière dont le tout est agencé ! Moi qui suis un grand fan de Paris, de son histoire, de ses rues pittoresques et ses recoins mystérieux. Moi qui traîne la nuit dans ses boulevards, et qui aime flâner le long de la Seine, ou m’interroge sur le nom des rues. Ce bouquin était résolument pour moi !

Jacques Yonnet prête ses talents d’historiographe et son intarissable curiosité pour nous découvrir les mystères de Paris et sa rive gauche. Il raconte ses anecdotes de manière chronologique, et tout au long des années et de ses pérégrinations parigotes, il nous renseigne à la fois sur son parcours et celui de sa ville adorée, l’immortelle et sombre Paris des années 1941-1954. Paris et ses clodos, ses putes, ses malandrins en tout genre, mais aussi ses étrangers, ses bohémiens, griots ou marginaux, tous passent à la plume alerte et vive de Jacques Yonnet. Ce dernier a un ineffable talent de conteur et fabuliste, et on ne sait plus trop où commence le mythe et où s’arrête la réalité. Mais vraiment c’est le cadet de mes soucis, car le romancier est fort talentueux et son érudition transpire à chaque ligne.

L’intérêt vient donc de ces récits qui sont comme des petites anecdotes sur une maison, une rue, ou bien un personnage en particulier. L’auteur raconte ses rencontres et ses péripéties, tente aussi d’éclairer certains mystères grâce à des informations historiques sur la ville de Paris. C’est ainsi qu’il digresse couramment sur des légendes ou des faits avérés du Moyen-âge, qu’il rapproche de la période actuelle. Outre cela, l’attention est redoublée par l’époque même où se situe la quasi intégralité de ses témoignages : le Paris occupé de 1941 à 1944.

On imagine alors avec une palpitante acuité l’ambiance trouble de ce Paris dans l’occupation, une ville brimée et meurtrie, mais qui garde aussi ses codes et ses secrets. Et notamment dans ce que Paris revêtait de plus insidieux et indéchiffrable pour des étrangers, la petite pègre et la contrebande continuent donc à « agir ». La résistance aussi s’organise et les rues prennent un air encore plus sombre et énigmatique. Jacques Yonnet a pris le maquis dès 1941 dans ce quartier de la rue Mouffetard, de la Bièvre et de ce coin de la rive gauche.

Il nous fait donc le récit circonstancié de ses rencontres avec les habitants du cru, que ce soit des cloches, des voyous plus ou moins dangereux, des cafetiers ou des rebouteux. Et on retrouve une langue savoureuse et des expressions délicieusement surannées. L’auteur a une manière extraordinaire de rendre les accents et l’argot de l’époque, qui commence déjà à nous échapper d’ailleurs (j’ai vérifié avec mes parents certaines expressions, inconnues de mon répertoire), et cela donne un charme fou (presque exotique) à sa narration. Il s’agit donc d’un récit du Paris populaire, et d’une mixité (antillais, maghrébins, bohémiens, gitans, africains etc.) qui donne le vertige. On y trouve même des histoires avec des lesbiennes et des homos !

Yonnet explique aussi certaines énigmes en ayant recours à des explications surnaturelles ou des possessions liées à l’histoire sanglante d’une rue, d’un bâtiment ou d’un mauvais sort. Là on peut suivre ou pas, mais l’écrivain ne se veut pas prosélyte, il ne fait que rapprocher d’étonnantes similitudes ou des paroles de tiers. Reste que tous les textes sont très bien écrits, et possèdent un souffle épique qui nous entraîne, d’une page à l’autre, avec un plaisir non dissimulé dans les ruelles sombres de 1940 ou du XIIIe siècle.

Rue des Maléfices - Jacques Yonnet

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