Encore un bouquin acheté par curiosité après avoir lu un article de Zvezdo, où ce dernier racontait sa rencontre avec l’auteur, Bernard Lévi. Une très bonne idée et suggestion car j’ai littéralement dévoré le livre du début à la fin.
Depuis quelques années, je m’intéresse pas mal à cette période et en particulier à la manière dont on a pu arriver à de telles exactions, injustices et massacres organisés. Autant je me souviens avoir été saoulé par mon père quand j’étais gamin sur ce sempiternel sujet de la seconde guerre mondiale, autant aujourd’hui je suis très sensible à cette partie là de la guerre. L’antisémitisme et la Shoah sont des notions qui semblent de plus en plus difficile à comprendre et à appréhender à mesure qu’elles s’éloignent temporellement de nous. Je pense que c’est d’ailleurs ce qui explique que notre histoire soit tellement cyclique, et qu’on puisse aujourd’hui sentir les « prémices » d’un retour à la barbarie.
J’avais déjà évoqué dans mon blog une exposition liée au « Paragraphe 175 » ou même une exposition autrichienne qui évoquent la discrimination et l’extermination des homosexuels pendant la seconde guerre mondiale. De même, les lettres des fusillés m’avaient bouleversé dans cette manifestation ultime, ce dernier geste de vie. Elles exprimaient aussi avec une force inouïe ce qu’était la résistance. Le roman de Pierre Assouline, « Lutetia », était un incroyable témoignage sur l’ambiance parisienne pendant l’occupation. Et concrètement sur la shoah, l’exposition de la ville de Paris « Du refuge au piège : les juifs dans le quartier du Marais », ainsi que le film « Nowhere in Africa » et surtout le livre « Au fond des ténèbres » et le documentaire sur le procès d’Adolf Eichmann m’ont marqué comme autant de « rappel à la réalité » de ces événements qui s’éloignent de nous. (Une sélection qui apparaît littéralement multimédia !)
Ce livre est donc une excellente chose, à la fois dans le fond parce qu’il raconte ces années terribles dans un contexte original, mais aussi dans la forme puisqu’il s’agit de « mémoires ». Ce n’est pas un roman, mais un exposé, pourtant très bien écrit à certains moments, plutôt factuel et circonstancié de la vie de l’auteur pendant la guerre. L’auteur a 18 ans lorsque la (drôle de) guerre commence, et il est d’une famille aisée dont plusieurs membres sont polytechniciens (dont son père, un directeur de la SNCF). Il est donc tout naturel qu’il suive une voie identique.
Seulement il est de confession juive, et subit de plein fouet les différentes directives qui vont mettre les juifs à l’index (ou pire) de la vie politique, économique et sociale française. A l’X, où il a déjà fallu passer le numerus clausus (fait pour limiter au maximum le nombre de juifs à l’école), il est considéré comme un élève « bis ». Donc son classement ne compte pas, ses parents doivent payer ses études et il ne pourra pas accéder aux fonctions d’état.
A partir de ce constat, Bernard Lévi raconte sa vie pendant ces années troubles. Il raconte son bac et sa prépa, l’occupation et le départ dans la zone libre, les examens de passage et toutes les contraintes pour les juifs dans son cas. Il est incroyable de lire ainsi la manière dont on discriminait si « nettement » une partie des citoyens français… incroyable et terrible. L’auteur évoque ses parents, sa famille et leurs destinées, son meilleur ami aussi, Bruley. Les évocations de ce dernier sont très fortes car ils se connaissaient de la troisième, et ont fait polytechnique ensemble, se sont écrits des centaines de lettres lorsqu’ils étaient séparés par la force des choses. En outre, c’était une amitié entre un juif et un catholique, à une époque où ce n’était pas évident.
Parfois le récit devient un peu aride de par un compte-rendu un peu trop factuel des événements et des dates. Mais le pendant de ce petit défaut est un ancrage dans la réalité qui donne encore plus de force à ces anecdotes. En outre, lorsque l’écrivain se livre un peu plus et qu’il s’exprime sur ses sentiments et émotions de l’époque, il est troublant et convaincant. De même lorsqu’il juge un peu ses contemporains, et qu’il met en perspective les événements de façon politique ou philosophique, il nous lance de ces traits qui restent en mémoire, et qui m’ont touché (quasiment aux larmes).
Quand j’avais lu « Au fond des ténèbres », j’avais été assez stupéfait par un des constats de l’auteur et de ses interlocuteurs. On comprenait que finalement les gens qui sont encore vivants aujourd’hui ne sont pas ceux qui ont été les héros. Il s’agit plutôt de ceux qui ont pris le moins de risque, voire qui ont été des bourreaux involontaires ou des éléments passifs à l’attitude discutable. Bernard Lévi le reconnaît du début à la fin. Oui il a souffert de la guerre, oui la discrimination a été difficile et il a risqué sa vie. Il a eu de la chance de ne pas être raflé, et il aurait pu avoir une destinée bien plus tourmentée. Mais il se trouve qu’il n’a jamais trop manqué, que ses parents ont pu lui payer l’X, qu’il a pu rester en contact avec sa famille, et qu’il s’est plié avec assez de passivité aux règles de Vichy. Cette humilité l’honore incroyablement, surtout pour un homme qui est rentré dans la Résistance après l’X (en 1943).
Donc, n’ayant pas éprouvé la peur, je n’ai pas à me vanter de mon attitude pendant la période noire. J’ai subi, sans protester et jusqu’au bout, les conditions discriminatoires de ma formation d’X. J’ai été un simple exécutant dans la Résistance, puis le plus jeune des officiers les moins galonnés sur un bateau en fin de guerre. Je n’ai pas, comme d’autres agents de mon réseau, décelé des rampes de V1 bien camouflées, renseignements qui auraient permis leur destruction par les bombardements alliés. J’étais encore du côté de Valence quand mon Escarmouche mouillaient au large des côtes normandes, le 6 juin 1944.
Aurait pu mieux faire ? J’ai survécu à quelques dangers, c’est l’essentiel.
Il évoque aussi la France de l’après guerre, et les frustrations ou chocs lorsqu’il constatait que certains étaient en poste malgré leurs attitudes antisémites notoires. On voit alors aussi la manière dont l’Ecole Polytechnique protège les siens, parfois un peu « trop ». Mais il fallait reconstruire, pardonner et s’unir, plutôt que se déchirer… Néanmoins, on sait bien que certains sont passés dans les mailles du filet dans des conditions plus que douteuses (et à des postes à très haut niveau).
J’ai été impressionné notamment par un des directeurs de l’Ecole qui continuera sa carrière, alors qu’il avait noté sur le dossier de Bernard Lévi : « Type sémite caractérisé au physique comme sans doute au moral. Ne peut être considéré comme une recrue de classe pour les services de l’Etat… ». Hallucinant…
Un livre que je conseille donc, et qui témoigne d’une époque tellement proche, et tellement hors de nos conceptions et notre raison. Mais on sait pertinemment que nous ne sommes pas à l’abri d’une de ces redites de l’histoire.
Je proteste, tu m’as grillée, je suis en train de le lire ! :book:
Mais bon, moi je ne rédige pas de critique. Je suis très impressionnée par les trois cents ans de tradition de service publique dans la famille de ce monsieur.
houhou ! il faut que je pense à l’acheter :) (toujours pas lu, mais je me promets bien de le lire)…
euh… service public, fonction publique. :mur:
Euh tu vous prêtez tes vos bouquins à un pauvre ‘tudiant sans le sous qui vit dans une chambre de bonne ? (oui oui bon j’exagère, sans le sous soit, mais parce qu’en fait de chambre de bonne j’ai 30 m² lol mais je ne dirais pas où lol ^^):ok:
Merci de vos commentaires intelligents du 6 octobre sur mon bouquin;
Mais je conteste le mot fuite à propos de mon passage, un peu expulsé, en zone libre,où j’étais convoqué pour mon oral et j’étais au lycée avec Bruley depuis la troisième et pas en prépa (ce sont des détails dans un récit trop factuel)B.LÉVI
Xbis> J’ai du coup légèrement modifié mon post. ;-)
Vu O.K.
Le sémite (moralement) c’était mon camarade Claude Lévy mort à Buchenwald