MatooBlog

Pectus est quod disertos facit. ∼ Pédéblogueur depuis 2003 (178 av LLM).

Les Arpenteurs du monde

Cela faisait un bon moment, je n’avais pas acheté de roman chez Actes Sud, dont j’adore les bouquins, formellement. En effet, ils ont une forme et une qualité de papier qui en font de très beaux objets, en plus de ce qu’ils renferment. Il s’agit là d’un roman de Daniel Kehlmann, dont on peut lire qu’il est extrêmement connu et en vogue en Allemagne. Il a publié son premier bouquin à 22 ans, et depuis a gagné un tas de prix littéraires, celui-ci est son septième ouvrage et a eu un immense succès outre-rhin.

J’ai été immédiatement attiré par ce livre de Daniel Kehlmann pour son sujet, car c’est exactement le genre de roman dont je suis féru. Un mélange fascinant d’histoire des sciences, de génies d’antan, de ces découvreurs des siècles passés qui ont changé notre manière de voir la nature, et puis une fibre romanesque très bien élaborée qui donne un livre aussi bien écrit qu’à l’action soutenue. L’auteur fait se rencontrer en 1828 deux scientifiques allemands à la renommée internationale, et avec énormément de points communs, mais aussi de différences flagrantes, voire incompatibles.

La structure du livre est assez simple, mais très efficace. On apprend rapidement que l’explorateur et naturaliste Alexander Von Humboldt (1769-1859) tient absolument à rencontrer le mathématicien Carl Friedrich Gauss (1777-1855). On sent très vite que cette réunion des deux savants va donner quelque chose de détonnant. Et toute la suite du livre est une alternance de chapitres consacrés un coup à l’un, un coup à l’autre, décrivant chronologiquement la vie exceptionnelle des deux hommes. D’un côté, on suit donc Humboldt qui a voyagé aux Amériques et fait des découvertes exceptionnelles sur l’Amazone, a rencontré des peuplades indiennes, a étudié des plantes et des animaux inconnus, a mesuré tout ce qu’il pouvait mesurer (altitude, arpentage, température, pression atmosphérique etc.), et a travaillé pour les mines de gouvernements locaux. D’un autre côté, Gauss est perçu comme un agoraphobe qui déteste se déplacer, et qui a un talent fabuleux pour l’abstraction et les mathématiques. Daniel Kehlmann explique peu à peu l’étendue des recherches et découvertes de Gauss, et un tel génie donne vraiment le vertige.

Les deux personnalités paraissent donc opposées dans la forme, mais on réalise que dans le fond, ce sont véritablement deux « Arpenteurs du monde ». L’un l’a fait, Humboldt, concrètement en se déplaçant dans le monde entier, en risquant sa vie et en appliquant son savoir aux besoins et problèmes des hommes. Et l’autre, Gauss, a aussi donné les outils mathématiques essentiels pour mesurer les distances, et dans sa tête est allé encore plus loin que n’importe quel aventurier. Vous imaginez donc, qu’à la fin de ces chapitres en partie épistémologiques, en partie biographiques et romancés, on n’attend avec impatience cette fameuse rencontre entre les deux hommes.

Les deux types sont loin d’être parfaits, et j’ai beaucoup aimé la manière dont Daniel Kehlmann a mis en scène leurs existences et leurs personnalités. Il joue plus le rôle d’un conteur que vraiment celui d’un romancier (il y a peu de dialogues, et surtout des récits circonstanciés), et nous emmène dans des contrées lointaines et exotiques avec Humboldt (qui est aussi un homosexuel notoire de l’Histoire), mais aussi loin peut-être dans les circonvolutions de l’esprit de Gauss. Cette dimension scientifique et historique a toujours autant d’attrait pour moi, et je me suis plongé avec un vrai bonheur dans ce bouquin. On trouve aussi une très intéressante peinture de cette période un peu trouble où les allemands passent de pouvoirs en pouvoirs, entre le souvenir cuisant de Bonaparte et les différents régimes qui se succèdent. Alors ces aventuriers et scientifiques doivent composer avec les puissants du moment, ainsi que leur fierté et amour-propre parfois bien gonflé.

Un excellent bouquin pour ceux qui sont comme moi fascinés par les génies de la science, mais en plus un roman qui tient la route, et qui offre une histoire palpitante et intelligente.

Les Arpenteurs du monde - Daniel Kehlmann

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  • En France, il y a les livres de Denis Guedj que j’aime bien aussi, il est historien des sciences et romanciers. Par exemple, “Les cheveux de Bérénice” (la mesure du méridien d’Alexandrie, dans l’Antiquité); c’est de l’histoire des sciences, avec du sang, du sexe, du savoir, tout ce qu’il faut.

    Merci Matoo, grâce à son commentaire, je viens de découvrir le blog de Lawrence. Toujours aux croisements de réseaux, merci, bises! (j’allais écrire aux noeuds :-(

  • :book:Cela doit être très intéressant à lire, ces deux perceptions du monde : l’une sur le “terrain”, l’autre via l’abstraction et les Mathématiques.Deux voyages et deux façons de voyager, donc.
    En plus, l’approche scientifique de l’époque est parfois très amusante à redécouvrir : j’ai retrouvé parmi les livres de mon père des bouquins scientifiques proposant des études comparées hilarantes sur le boeuf et le mouton:doute:, ou encore des explications (même pas des théories) ridicules sur la coloration de la peau des africains : à l’époque, certains soutenaient que seuls les africains habitant sur les côtes avaient la peau noire, tandis que africains résidant au centre du continent avaient la peau blanche : la couleur noire était donnée par un vent chaud stoppé par la suite par des montagnes qui “protégeaient” les africains continentaux !!! :gne: :mur:
    Ces théories, balancées comme vérité inébranlables par les soit-disant scientifiques de la cours du Roi, ne reposaient évidemment que sur des analyses absurdes, leurs interprétations encore plus ridicules et les préjugés de l’époque considérés alors comme évidences. :berk:
    J’étais aussi navré que mort de rire en lisant ces amas d’inépties pseudo scientifiques !:pleure::rigole::pleure::rigole:

    Un détail très sympa sur ton livre, Matoo : la couverture. Le sujet concerne la science, les Mathématiques, etc. La couverture exprime plus l’onirisme et le mysticisme.
    C’est l’occasion de se rappeler que Lewis Caroll était un sacré mathématicien !

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