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Pectus est quod disertos facit. ∼ Pédéblogueur depuis 2003 (178 av LLM).

Je te retrouverai

John Irving m’avait déjà habitué à de bons pavés, à des grandes sagas familiales avec une kyrielle de personnages secondaires, souvent très hauts en couleur, et des péripéties assez extraordinaires. Mais là, on atteint un joli paroxysme avec ce roman de 851 pages, où l’on retrouve la merveilleuse plume de conteur d’Irving, sa sensibilité à fleur de peau, ses héros tragicomiques, et ses gimmicks (les lutteurs, les ours, les sexualités débridées ou borderline).

On suit quasiment par le menu l’existence du héros principal, Jack Burns, de sa petite enfance à parcourir l’Europe avec sa mère, sur les talons de son père, jusqu’à l’acteur hollywoodien presque quadragénaire. Jack est l’enfant d’Alice et de William Burns. Ce dernier est un organiste et un Don Juan, qui abandonne Alice alors qu’elle est enceinte de Jack. Elle est tellement amoureuse de lui qu’elle refuse d’accepter qu’il la quitte ainsi. Elle part donc à sa poursuite dans toute l’Europe, avec Jack, et elle gagne sa vie en tant que tatoueuse de talent. William est aussi fasciné par le tatouage, et à chaque étape, il fait recouvrir son corps d’un nouveau morceau de partition de musique sacrée. Il passe d’orgue en orgue, de Suède, Norvège, Finlande et Hollande, de femmes en femmes, et de tatouages en tatouages. A chaque fois, Alice le poursuit, et Jack se souvient. Et puis William part pour l’Australie, alors Alice abandonne et rentre au Canada. Jack entre à l’école, et d’autres aventures l’attendent, notamment une initiation au sexe beaucoup trop précoce avec des femmes mures.

Le roman est une gigantesque fresque qui livre chacune de ses étapes avec beaucoup de détails, et produit des parties très distinctes et homogènes. Cette longueur est rarement excessive grâce au talent d’Irving pour étonner, faire sourire et imaginer des improbables rencontres avec des personnages encore plus fucked-up. Et puis, il y a ce petit Jack Burns dont on se prend rapidement d’affection, et dont on a envie de suivre le déroulement de son destin. Quel drôle de père qui fuit son fils, et passe d’église en église… et cette mère qui est tatoueuse et pourchasse son ancien amant. Tout cela raconté à travers la brume des souvenirs de l’enfant, on se doute bien que la réalité des faits doit découvrir de drôles de secrets. On passe donc de parties en parties, des pans entiers de la vie de Jack, et peu à peu les vérités refont surface, les pièces du puzzle s’imbriquent et la cruelle évidence s’impose à Jack, devenu adulte. Mais entre temps, il sera plus ou moins la proie sexuelle de femmes plus âgées, il expérimentera ses talents pour jouer la comédie et se travestir, il deviendra lutteur, et on lui tiendra énormément le sexe (oui, oui).

Il s’agit d’un livre qui foisonne d’idées et de réflexions. Car c’est non seulement une histoire passionnante, pleine d’actions et de rebondissement, mais aussi une peinture psychologique pleine de sagacité et d’acuité. Le développement de l’enfant, la mémoire, le destin, les liens entre l’enfant et la mère, ou le père, la pédophilie aussi (puisque c’est clairement ce que subit Jack, même si cela n’est pas de l’ordre du « viol »), et aussi tous les portraits qui ne sont qu’ébauchés des personnages secondaires contribuent à donner une énorme épaisseur psychologique au bouquin.

Du coup, l’ouvrage trouve sa place dans l’univers d’Irving, et Jack Burns dans la galerie des héros énigmatiques de l’auteur, comme Garp, Homer Wells, Bogus Trumper… Mais même si l’écrivain met toujours autant de sel et d’épice dans ses récits, même si l’on retrouve son humour et son ironie, j’ai trouvé que ce roman était plus noir, et plus triste que les autres. Dieu sait qu’il met souvent en scène des histoires sordides, mais là il est certainement moins « fantasque » dans son imagination, et plus tranchant et cruel dans les sentiments qu’il évoque.

Il faut aimer se plonger dans des univers complets avec Irving, mais si on en aime l’écriture, le rythme et le ton, alors la lecture de ses romans devient un plaisir infini. Et pour celui-ci, j’ai franchement adoré le fait que ce soit un livre si épais, et qu’il prenne du temps à se lire. C’est un juste tribut contre une histoire dont on comprend que l’auteur a tant donné pour qu’elle se délivre ainsi, chapitre après chapitre. On apprendra alors que la mémoire d’un enfant peut être bien influençable, et que l’amour filial n’est pas un vain concept.

Je te retrouverai - John Irving

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  • Je ne l’ai pas encore fini mais j’ai du mal à suivre. J’ai l’impression qu’il rame, qu’il y a du remplissage. Répétition constante de ce que l’on sait déja, évocation continuelle des lutteurs, tatoueurs, St Hilda …….. Il manque l’énergie, la verve des précédents me semble-t-il.
    Tu dis qu’il fait 851 pages ! Le traducteur a coupé, j’ai en anglais 1035 pages, et chacun sait combien l’anglais est plus concis.
    Je le finirai certainement mais je trouve qu’Irving est en baisse.
    J’achèterai de toute façon le suivant sweetie pie, ça c’est sur !

  • Ton article est très convainquant ! Je n’ai lu que “la 4e main” d’Irving, et j’avais bien aimé son écriture… pourquoi pas continuer à découvrir l’auteur par celui-là ! :-)

  • Je suis en train de le finir…et je n’ai pas du tout envie que la lecture s’achève même si je veux savoir la fin!!
    Un mot tout de même, pour une si excitante écriture, choisissez l’anglais, la langue d’origine. Comme seul exemple, le titre : “Je te retrouverai” en français et “until i find you” en anglais (littéralement “jusqu’à ce que je te trouve”), qui montre bien que les subtilités d’écriture dans la langue originelle sont bien difficiles à traduire!

  • J’ai acheté “je te retrouverai” au moment de sa sortie et je me suis laissé avoir par les mauvaises langues qui disaient que c’était mauvais. Quand c’est mauvais chez John Irving c’est l’Epopée du buveur d’eau et ses 368 pages (donc on s’en remet !) là 851 pages, je me suis dis “je vais attendre” et j’ai attendu jusqu’à la semaine dernière. Merci aux mauvaises langues de m’avoir forcé à reculer la lecture de John Irving (moi qui d’habitude ne peux attendre) car j’ai profité de ce bonheur près d’un an après vous et quel bonheur.
    “Je te retrouverai” c’est du grand John Irving, c’est le crapaud du ressac et Sorrow le chien qui pète et j’en oublie dans un seul et même livre. J’ai adoré Jack, et j’adore chaque page écrite de ce roman.

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