Il n’y a pas à dire, ça tape un titre de bouquin pareil ! Et derrière cela se cache bien prosaïquement en effet une explication très personnelle de plus de trois cents expressions « bourgeoises » que l’écrivain, Léon Bloy, appelle « lieux communs ». Il s’agit d’un véritable pamphlet anti-bourgeois, un brûlot plein d’ironie grinçante, et aux piques souvent savoureuses. Rien que le fait d’appeler cela une exégèse… hu hu hu.
Je ne connaissais pas le bougre, donc j’ai fait quelques recherches et wikipédiations. Quel personnage ! Apparemment, il n’a vraiment jamais écrit grand-chose d’autre que ce genre de libelles, ou alors des romans qui racontaient de terribles épisodes de sa vie (il a épousé une prostitué, et ensuite ils ont vécu des épisodes totalement mystiques…). C’est un anti-bourgeois patenté donc, mais aussi une vraie grenouille de bénitier hyper catho. Il tient donc des propos à la fois très anar et en même temps empreint de religiosité. Surprenant et fascinant !
Le bouquin est donc une somme d’explications, plus ou moins de bonne foi, d’aphorismes (qu’il considère) stupides du genre « l’argent ne fait pas le bonheur » ou « je suis comme Saint Thomas » et bien d’autres expressions toutes faites et encore bien vivaces aujourd’hui. (Le bouquin date de 1901 pour la première série, et 1913 pour la seconde.) J’ai souvent été conquis par le ton irrévérencieux et l’aspect politique gonflé que Léon Bloy déploie, et je comprends qu’il soit redécouvert aujourd’hui. Mais lire ses 300 et quelques grognements d’une traite est chose assez pénible au bout d’un moment. Car vraiment, il voit le mal partout et coupe les cheveux en quatre pour faire avaler des syllogismes assez énormes. Ah il les déteste ses bourgeois, ça on le comprend rapidement.
Tout de même j’ai beaucoup apprécié son autodérision, et sa manière d’assumer son peu de succès littéraire. Il use d’une plume à la fois extrêmement riche et soutenue, mais en maniant le sarcasme de manière alerte et parfois d’une très agréable impertinence. Pour « On n’est pas parfait », il précise même à la fin :
Le touchant récit qu’on vient de lire n’est malheureusement pas tout à fait inédit. Il fut inséré dans mes histoires désobligeantes, publiées chez Dentu, en 1894. Mais l’insuccès de ce livre, demeuré presque inconnu, a été si grand, qu’à l’exception de quelques furieux qui recueillent jusqu’à mes raclures, on peut être certain que cette page n’a jamais été lues par personne. Pourquoi recommencer, d’ailleurs, une chose qui fut si bien faite et quelle autre paraphrase plus lumineuse aurais-je pu écrire ?
Pour vous donner un exemple de son talent (tout de même), je vous en recopie un :
Etre poète à ses heures
Je vous mets au défi de trouver un Bourgeois qui ne soit pas poète à ses heures. Ils le sont tous, sans exception. Le Bourgeois qui ne serait pas poète à ses heures serait indigne de la confrérie et devrait être renvoyé ignominieusement aux artistes, à ces espèces d’esclaves qui sont poètes aux heures des autres.
Par exemple, il est un peu difficile de comprendre et d’expliquer ce que peut bien être cette poésie aux heures du Bourgeois. Supposer un instant que cet huissier se repose des fatigue de son ministère en taquinant la muse, qu’il se console du trop petit nombre de ses exploits en exécutant des cantates ou des élégies, serait évidemment se moquer de ce qui mérite le respect. Ce serait, si j’ose le dire, une idée basse.
Le Bourgeois n’est pas un imbécile, ni un voyou, et on sait que les vrais poètes, ceux qui ne sont que cela et qui le sont à toutes les heures, doivent être qualifiés ainsi. Lui est poète en la manière qui convient à un homme sérieux, c’est-à-dire quand il lui plaît, comme il lui plaît et sans y tenir le moins du monde. Il n’a même pas besoin d’y toucher. Il y a des domestiques pour ça. Inutile de lire, ni d’avoir lu, ni seulement d’être informé de quoi que ce soit. Il suffit à cet homme de s’exhaler. L’immensité de son âme fait craquer l’azur.
Mais il y a des heures pour cela, des heures qui sont siennes, celle de sa digestion entre autres. Quand sonne l’heure des affaires, qui est l’heure grave, les couillonnades sont immédiatement congédiées.
« Etre poète à ses heures, rien qu’à ses heures, voilà le secret de la grandeur des nations », me disait un bourgeois de la grande époque.
Génial ! Au fait, j’adore votre blog (oui, on doit vous le dire souvent, je pense ! )
Un exercice de détestation du bourgeois, à travers ses expressions toutes faites : le dictionnaire des idée reçues, de Flaubert… C’est hélas trop court :pleure: mais hilarant !!!
Un seul exemple : “Italiens : tous musiciens, tous traîtres” :lol:
A propos du commentaire de Churchill, spicynico appréciera :mrgreen:
Ton blog est vraiment très interessant. Tes chroniques, des coups de gueule, tout… et je suis ravi d’avoir été placé dans les néos… ça me rajeunit.
Salut
Michel
Mitterrand, dans sa tombe, doit sourire, lui qui aimait Léon Bloy.
Marcel > Ce n’est tout de même pas moi qui ait écrit : “l’Italien taille petit” !!! :-)
Le personnage est singulier, ambigü. Mais quel talent ! quelle plume ! un auteur qui peut être aussi caustique que bouleversant, aussi révoltant que touchant… Cela fait plaisir de constater qu’un écrivain hélas si mal connu de nos jours est encore lu et estimé. Bravo pour ce blog qui me paraît vraiment digne d’intérêt !
Vous avez oublié quelque chose : il étaiit aussi antisémite
Bloy n’était pas du tout antisémite. Si tel avait été le cas, il n’aurait pas écrit “le salut par les juifs”, en réponse à un VRAI antisémite comme Drumont.