Qui n’a jamais rêvé (de ces mondes souterrains, de ces mers lointaines peuplées de légendes ou d’une richesse soudaine qui se conquerrait au détour d’un chemin de la Cordillère des Andes ?) de claquer la porte de sa boite en faisant un bel esclandre, ou bien de filer sa démission en disant toutes ses vérités, en libérant tout ce qui avait été mis sous-pression depuis des mois, voire des années, et qui voit là l’unique chance d’enfin s’exprimer. Ah là là, souvent on se fait des films, en s’imaginant ayant trouvé un autre taf, et comme dans une bonne comédie de série B, on rêve qu’on annonce son départ avec une jubilation non dissimulée, et l’occasion d’asséner ses quatre vérités à qui de droit.
Cela ne m’est pas souvent arrivé, mais au moins j’ai eu une fois ce privilège. Cela ne m’arrivera certainement plus, car il fallait bien avoir la verte expérience de mes 24 ans, la folle insouciance du salarié tout juste sorti de ses études, et la liberté du jeune travailleur qui ne se prend pas la tête avec le taf d’après, sa réputation ou ses obligations quotidiennes. Et puis, nous étions en 2000, et le taf, sans courir les rues, ne manquait pas vraiment dans mon domaine.
Tout a commencé fin 1999, je commençais tout juste dans le marketing, et je venais d’être embauché, du haut de mes 23 piges, par un petit éditeur de logiciels en lointaine banlieue parisienne. Une boite de 25 personnes, et un PDG assez charismatique qui m’avait tout de suite beaucoup plu. Un de ces mecs qui impressionne par une prestance et présence autant physique qu’intellectuelle. J’avais clairement choisi cette proposition parce que le contact était bien passé, et qu’il semblait avoir été réciproquement enchanté par mon profil (narcisse attitude).
Et voilà que quelques semaines plus tard, je me rends à l’évidence. Ce mec était un bourge fini (bon c’est vrai que lorsqu’on se prénomme Florent-Eric, ça donne la puce à l’oreille…) qui venait d’un grand groupe informatique, et qui a fait partie d’un « essaimage » pour créer sa propre boite. Mais le résultat c’est qu’il se prenait à la fois pour le monarque de son royaume, et pour le PDG d’une multinationale de 50 000 personnes. Le mec avait la folie des grandeurs, et une vision des choses tellement surréaliste que c’en était flippant. Il organisait sa boite de 25 personnes comme une holding avec des « macro-process » et des « dashboards », et des réunions le vendredi soir jusque 23h, une attitude de tyran fascinante avec ses employés et une très haute idée de lui-même.
Il éditait un magazine pour ses clients qui était avant tout un document (lu par personne) où il pouvait s’exprimer, et pérorer sur 5 pages sur sa vision stratégique de haut-vol de son secteur d’activité. La première fois que j’ai lu ça, j’ai cru que j’allais m’étouffer de rire. En plus sa femme était galeriste, et donc il voulait que la boite devienne mécène ou sponsor de je ne sais quel événement, du genre de ceux parrainés par Gaz de France ou BNP Paribas. Bref, un grand Manitou aux tendances fascisantes, et qui n’a pas tardé à sérieusement m’agacer.
Car il s’est rapidement muté, d’un homme compréhensif, humain, volontaire et motivant, en un dictateur inique et persécuteur. J’ai tenu presque un an, et puis un jour, ce fut la goutte d’eau. Je me disais déjà que je ne ferais pas long-feu ici, mais bon la facilité de l’habitude, et puis j’étais motivé pour faire un peu évoluer les choses, malgré l’ambiance délétère qui régnait dans l’entreprise. Mais un jour, alors qu’un collègue était dans mon bureau et que nous rigolions tranquillement, il a débarqué pour me demander de ne pas faire autant de bruit, car cela le dérangeait. Sachant qu’il venait d’arriver, et que je savais pertinemment que ce n’était qu’une de ses parades pour éviter toute relation amicale un rien détendue au boulot, ça m’a vraiment saoulé et désespéré à la fois. Et bingo, je me suis dit « Allez hop, il faut que je parte d’ici ! ».
J’ai frappé à son bureau (voisin du mien, mais super luxueux), et je lui ai demandé si je pouvais lui parler. Il a accepté, un peu étonné d’une requête si inhabituelle, et je suis entré, j’ai fermé la porté, et j’ai ouvert la bouche.
J’ai dit en substance un truc comme ça : « Monsieur, vous m’avez embauché en me faisant croire que vous étiez un homme profondément humain et avec l’envie de me faire évoluer, et de m’apprendre beaucoup de choses. Vous avez beau prôner le management participatif, vous agissez exactement à l’opposé. Vous n’êtes qu’un autocrate et quelqu’un de foncièrement cruel. Vous faites délibérément du mal aux gens qui travaillent avec vous depuis des années, et vous sapez le moral des autres. Toutes les initiatives sont jetées aux ordures, et vous vous complaisez dans vos visions stratégiques himalayennes qui sont en complet décalage avec la réalité.
Vous êtes surtout un être méchant. Et je ne peux plus travailler avec vous, je ne peux plus travailler pour vous. Comme vous êtes le PDG de l’entreprise, eh bien c’est moi qui la quitte évidemment. Je démissionne donc. Au revoir. »
Il est resté bouche bée, il n’a rien dit du tout. Je suis ressorti, suis arrivé à mon bureau, et j’ai cru que j’allais m’évanouir tant mon coeur battait la chamade. Rapidement mon exploit a fait le tour des bureaux, et je me sentais léger, léger, léger. Le lendemain, il est venu me voir, et il s’est excusé. Il a même offert de m’augmenter, et promis qu’il ne me verrait plus dans le cadre de mon boulot. Un truc de ouf. Mais je savais que c’était uniquement lié au choc de l’entrevue de la veille. Je lui ai expliqué qu’après lui avoir parlé ainsi, je ne pouvais que quitter la boite, que j’avais été éduqué de telle manière que le respect que je dois à une hiérarchie est viscéralement ancrée en moi (le « patron » c’est un truc de pauvre prolo que je ne peux pas shunter de mon génome social). Et dès le moment où j’avais tout cassé, alors c’est que je ne me sentais déjà plus salarié de cette entreprise.
Par la suite, quelques personnes ont aussi démissionné en arguant des raisons similaires, et le boss a fait une déprime. Mais il s’est vite remis d’aplomb ! :mrgreen:
Lorsque j’ai fait mon discours, j’ai été ferme, froid, clair et direct. Je suis reparti du bureau en me drapant dans ma dignité de Présidente des Drama-Queen, et j’ai conscience d’en avoir fait des tonnes, d’avoir été un adolescent parfait. C’est un souvenir fabuleux et précieux, et certainement un truc que je ne referais pas pour les raisons que j’ai indiquées. Mais à chaque fois que j’y repense, j’ai un sourire qui se greffe sur mon visage, et je me dis que c’était complètement pas raisonnable, et complètement super cool.
Faut pas me dire ça en ce moment ! :lol:
Le jour où tu feras irruption comme ça dans le bureau de ton directeur général actuel…
haha la grande classe !
je te donne absolument raison : je classerai ce genre de trucs dans ” les machins à faire au moins une fois dans sa vie ” :mrgreen: . le refaire, à moins que les circonstances l’exigent absolument, ça n’est pas necessaire. A partir du moment ou tu l’as accompli une fois, tu peux nourrir ton intellect du fait de l’avoir réalisé et des souvenirs qui en découlent .
c’est un peu comme un fantasme finalement :langue:
J’ai un souvenir similaire, mais dans un mcdo.
Libérer des frustrations et du ressentiment de manière claire et prompte, ça donne l’impression d’un ordre (juste?) rétabli. Y a bien sûr de quoi en avoir le smile pendant un petit moment. Et en y repensant aussi :lol:
Bref, comme je te comprends! :-) :-) :-)
“…se conquerrait… ”
Se conquérerait, non?:book:
:rigole:
J’adore :)
J’ai déjà fait ça chez un ou deux clients (certains se sentent tellement indispensables, uniques, tellement énormes que rien ne peut leur arriver… et ils en profitent et se comportent comme des “patrons”).
J’ai aussi fait ça avec un DG de ma boîte (mais j’étais couvert à l’avance par les autres DGs, donc ça compte pas)…
Et je confirme, c’est comme réaliser un fantasme: Très intense sur le moment, et ça laisse un souvenir imperissable (avec sourire garanti à chaque fois que j’y repense).:mrgreen:
Pour le moment, je n’ai pas l’occasion de faire ça avec mon PDG… Pourvu que ça dure!
xavier(xxl) > “conquerrait” c’est ce que j’ai trouvé sur le net, et ça a l’air correct. En tout cas, le conjugueur l’indique aussi…
Tu parles de “folle insouciance” mais en attendant tu avais sans doute sauvé ta peau de la déprime insidieuse du salarié malheureux et qui faute de pouvoir se recaser ailleurs subit jours après jours. Tu avais aussi sauvé celle de ceux qui ont su t’imiter rapidement et qui restaient peut-être car également incapables de “shunter [l’allégeance au patron] de [leur] génome social”. Ils auraient fini dépressifs par suite de soumission au harcèlement moral improuvable et insidieux. Tu leur as montré que c’était peut-être lui qui devait se remettre en cause et non pas eux qui étaient insuffisants.
Pour ces raisons et aussi parce qu’il est bon que quelqu’un qui dirige (quel qu’il soit et qui que ce soit) sache qu’on ne peut quand même pas tout se permettre, un grand bravo rétrospectif.
(j’ai connu la situation inverse, on avait voulu me virer parce que plus ou moins à l’issue d’un congé maternité j’étais devenue “celle de trop”, tenu grâce à ma culture cinématographique (“Z” en l’occurrence), je connais donc ces moments difficiles dont après coup (parfois longtemps après si le choc était rude) on peut être fiers d’avoir su agir ou bien résister)
faut-il voir dans ton histoire une allégorie sur le petit despote qui essaye d’apparaître rassembleur pour se faire élire président ?
whaou… moi c’est aulourd’hui, à 33 ans, que je meurs d’envie de n’etre pas raisonnable et completement super cool! est il trop tard?
Tiens j’ai claqué la porte de mon job de la même façon… ah non my bad c’était un rêve :boulet:
Matoo, j’ai un instant pensé faire comme toi dans mon dernier stage et finalement, non. Pourquoi ? parce que mon boss, un … fini, était exactement comme ce boss là et en plus il m’a démontré sur un client qu’il était capable de casser quelqu’un par pure vengeance personnelle (pas mal pour un mec qui travaille dans la psychologie. ça prouve la finesse réelle du mec.)
Je me suis vu, quant à moi, déclarer lors d’un conseil de classe à ma “proviseure” qu’elle était tenue comme tout fonctionnaire à l’obligation de réserve! C’était une manipulatrice incroyable et elle était en train de dénigrer un établissement voisin. Elle est sortie immédiatement en claquant la porte… Son adjoint a dû prendre la relève. Quel plaisir! Bon évidemment j’ai été convoqué ensuite, mais comme elle était dans son tort… Merci de m’avoir fait repenser à cet épisode!
Un jour je conquerrai le subjonctif! :boulet:
Fcrank> Oh là là, non, pas de politique dans ce post, en tout cas pas directement et pas intentionnellement. Après j’ai peut-être l’inconscient qui travaille… ;-)
et bien Madame la Présidente des Drama-Queen, je vous félicite et n’hésitez à renouveler votre performance quand le moment est venu !
Comme quoi, on est pas obligé de voter Bayrou pour être un rebelle !
:mur:
Ben dis donc, il manquait qu’un truc : baisser ton fut en sortant, et lui balancer “mon cul va vous dire le dernier mot” ! :-)
:pompom: :pompom: :pompom: :pompom: :salut: coucou Matoo :salut: tu me fends le coeur salaud :ben: :pompom: :pompom: :pompom: :pompom: :pompom: :pompom:
Je rêve de faire ça en ce moment avec ma patronne qui manie avec une certaine efficacité la trop fameuse “douche écossaise”.
Par contre juste un petit truc, C’EST PAS PARCE QU’ON A UN PRENOM COMPOSE PAS COURANT QU’ON EST INSUPORTABLE. Non mais des fois !!!