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Pectus est quod disertos facit. ∼ Pédéblogueur depuis 2003 (178 av LLM).

Istanbul, souvenirs d’une ville

Je ne connaissais pas Orhan Pamuk, ignare que je suis, qui est un des plus célèbres auteurs turcs, et le prix Nobel de Littérature 2006. J’ai donc découvert cet écrivain dans un livre certainement atypique pour un romancier, puisqu’il s’agit d’une suite de récits autobiographiques à propos de sa ville natale. Ce « roman » évoque sous diverses facettes, souvenirs, émotions rémanentes, chroniques familiales et anecdotes de l’enfance à l’adolescence, la mystérieuse et envoûtante ville d’Istanbul.

J’ai non seulement découvert un écrivain extraordinaire, mais aussi un homme dont le courage politique a valu bien des déboires dans son propre pays (il admet notamment publiquement le génocide arménien). Et pourtant ce livre ne fait scander, pages après pages, son amour et sa continuelle fascination pour cette ville au passé millénaire, et son pays auquel il tient énormément.

J’ai eu un peu peur en ouvrant le bouquin, on comprend rapidement qu’il s’agit de récits épars et parfois très détachés les uns des autres, tant dans le fond que la forme, avec des photographies qui illustrent les endroits que l’auteur évoque. On y trouve même beaucoup de photos de famille de l’écrivain, et des reproductions de gravures ou peintures. J’ai eu peur donc de m’embêter, ou de ne pas « rentrer » dans ce roman qui n’en est pas un. Mais il s’est passé l’exact opposé, j’ai été emballé par cet ouvrage, et je n’attends plus que d’aller moi-même me perdre à Istanbul.

Orhan Pamuk parle donc de son enfance, de sa famille, et de cette ville. Il évoque au travers de ses descriptions géographiques ou intimes, l’histoire de la Turquie, notamment le passage à la République et l’évolution des moeurs, ainsi que toutes les singularités architecturales des temps passés. Mais surtout, si je retiens un élément d’Istanbul et de l’auteur, un élément aussi intangible que notable, c’est certainement cette notion de « hüzün ». Le hüzün c’est une sorte de mélancolie qui plonge Istanbul dans une atmosphère si unique, avec son architecture plus mixte et hybride que jamais, avec ses « konaks » et ses « yalis » (sans point sur le i en fait !), ou bien le Bosphore et ses « vapurs » (bateaux à vapeurs). Le hüzün comme le spleen de Baudelaire se délie tout au long du livre, et l’auteur arrive à nous le faire (res)sentir au bout de compte.

Le livre est aussi une suite de contes, de fables, de souvenirs de l’auteur, qui nous raconte ses rapports avec ses parents, sa grand-mère, la manière dont on vivait dans les années 60 à Istanbul, les vieux immeubles qui ont disparu, etc. Mais le plus saillant est cette culture de l’occidentalisation qui a donné aux turcs de la bonne société un curieux complexe d’infériorité. A travers les évocations de Gérard de Nerval et Théophile Gautier, ainsi que d’autres intellectuels étrangers qui ont voyagé en Orient, Orhan Pamuk s’interroge sur sa propre dépendance à ce que pensent les étrangers de sa ville, et sur la manière dont leurs opinions comptent tant. Il a été élevé dans la pure mode de l’occidentalisation, et a toujours eu comme modèle des érudits ou artistes européens, et il explique comme cette passion pour l’Europe est à double tranchant pour les turcs.

Le livre est merveilleusement bien écrit, et ses illustrations photographiques nous rapprochent encore des textes de l’auteur. Toutes ces vues d’Istanbul, et les explications sur les différents types de maisons en bois, les époques des sultans ou des pachas, les premiers émois amoureux ou cet immeuble familial ou l’auteur vit encore aujourd’hui, tous ces éléments se bousculent mais atterrissent avec une stupéfiante harmonie, et un sens de la narration qui ne peut que ravir le lecteur. Et après tout cela, je vous garanti que ce bouquin vous donne diablement envie d’aller à Istanbul !!!

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