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Pectus est quod disertos facit. ∼ Pédéblogueur depuis 2003 (178 av LLM).

La pluie avant qu’elle tombe (Jonathan Coe)

J’ai lu, et même dévoré, un certain nombre de romans de Jonathan Coe, et je le considère vraiment comme un écrivain de talent. Il est pourtant un romancier tout ce qu’il y a de banal, un raconteur d’histoires quoi, et même un raconteur d’histoires d’amour, d’amitié et de famille, donc un de ces auteurs qui peuvent en un clin d’oeil tomber dans la littérature de bas étage (du Marc Lévy quoi). Mais Jonathan Coe c’est tout le contraire, et mieux encore.

Et là, je crois qu’il n’a jamais été autant « borderline ». Il se met en effet dans les codes narratifs les plus éculés et casse-gueule en prenant comme narratrice une femme âgée qui vient de se suicider, Rosamond. Elle laisse à sa nièce le soin de retrouver une jeune fille aveugle, Imogen, et de lui donner des cassettes audio ainsi qu’une liasse de photographies. Tout cela est très mystérieux, et ne trouvant plus trace de la fameuse Imogen, la nièce et ses deux filles décident d’écouter les bandes. C’est alors que Rosamond explique l’histoire familiale d’Imogen, sur trois générations de mères. Elle commente chacune des photographies, et explique comment fatalement Ivy n’aime pas Beatrix qui n’aime pas Thea qui n’aime pas Imogen…

Aussi le procédé narratif est très classique et très hollywoodien dans la forme, mais, et c’est ce qui est dingue, Jonathan Coe délivre un roman d’une force et d’une intensité émotionnelle effarante. A plusieurs reprises, je n’ai pas pu le lâcher et j’ai continué à le lire en marchant dans les couloirs de métro. Il évoque ces histoires familiales, ces bouleversantes relations conflictuelles, névrotiques et ataviquement funestes entre ces femmes qui n’arrivent pas à s’aimer.

Comme dans beaucoup de ses romans, l’auteur fait vivre à ses personnages des péripéties terribles et dans lesquels leurs psychologies sont des clefs majeures de leurs comportements. Evidemment, l’identification fonctionne à plein régime, et j’ai retrouvé bien des similitudes (non fortuites) avec des personnes existantes ou ayant existé…

Souvent dans les Jonathan Coe les lieux et les références culturelles sont importantes, et ce bouquin ne fait pas exception. Le changement c’est la possibilité en un clic d’accéder à ces références, et de donner à la lecture une intéressante résonance. Ainsi l’écrivain donne à sa narratrice une passion pour une musique particulière : Bailero (des « chants d’Auvergne ») de Joseph Canteloube. Evidemment en quelques clics, j’ai pu écouter ce morceau magnifique, et il a rythmé une partie de ma progression littéraire. De même, il insiste énormément sur l’importance de la région, le Shropshire, avec des descriptions de ses villes, notamment « Much Wenlock ». ses routes et ses panoramas. Avec un peu de google maps, on arrive rapidement à se faire une idée précise de la région, et on peut même évaluer la qualité des descriptions de l’auteur.

J’ai été abasourdi aussi quand j’ai découvert l’homosexualité de la narratrice, et extraordinairement Jonathan Coe me semble avoir écrit un magnifique roman lesbien. Il arrive avec une subtile alchimie à évoquer la sexualité de son personnage comme très annexe car c’est avant-tout une femme (forcément…), mais il en fait aussi un des axes de son existence. Il est en cela très militant mais sans en paraître le moins du monde, ce qui fait un bien fou à lire, et paraît merveilleusement naturel. Il décrit les histoires d’amour de Rosamond avec une intensité et une authenticité qui vous fait vous sentir lesbienne vous-même, et vous dire « c’est drôlement sympa !! ». Hé hé hé.

Je le conseille sans ciller, car il s’agit là pour moi de grande et merveilleuse littérature, qui sait nous émouvoir, nous interpeler, nous ébranler dans nos certitudes, tout en étant bien écrit et en restant un divertissement de qualité.


Joseph Canteloube – Bailero

La pluie avant qu'elle tombe - Jonathan Coe

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