Le bouquin (enfin son auteur Mohammed Aïssaoui) a eut le Prix Renaudot (essais) 2010, et c’est mérité, même si jamais un livre n’avait pour moi mélangé avec autant de talent l’essai, l’investigation, la chronique d’époque et le roman. Cela paraît fou, mais il arrive à faire tout cela dans un petit livre digeste et profond, émouvant mais pas mièvre,et surtout qui ne sombre jamais dans la facilité.
Car tout commence vraiment comme dans un roman policier alors que Mohammed Aïssaoui démarre son récit par la découverte aux enchères de Drouot en 2005 des archives d’une affaire judiciaire concernant un esclave de la Réunion, Furcy. Ce dernier ayant eu la preuve qu’il était né alors que sa mère avait été légalement affranchie (mais sa propriétaire avait un peu oublié de lui dire…), il doit alors être lui-même reconnu libre. Il essaie de faire entendre raison à son maître mais en vain, et décide donc, en 1817, d’ester en justice contre Joseph Lory pour recouvrer sa liberté. Le 23 décembre 1843, il gagne son procès, seulement quelques années avant l’abolition de l’esclavage.
Le bouquin évoque à la fois la manière dont les archives sont lues et décryptées, mais aussi certains faits qui permettent de reconstituer peu à peu cette anecdote énorme. L’auteur émaille aussi son texte de passages entiers qu’on pourrait trouver dans un roman traditionnel, et dont lui-même indique le caractère hypothétique. Mohammed Aïssaoui agit un peu comme un profiler et se met dans la tête de Furcy pour essayer d’exprimer ses sentiments et de cerner son fonctionnement. Aussi on se retrouve par flashback presque dans l’Île Bourbon de 1817, et on vit cette histoire au coeur même de ses péripéties. L’auteur s’arrête aussi régulièrement sur des faits qui expliquent comme l’esclavage était particulièrement dur dans la colonie française, et met bien en perspective l’anecdote dans son contexte historique plus large.
Furcy après avoir porté plainte a été débouté, puis enfermé en prison par son propriétaire, avant d’être loué au frère de Joseph Lory sur l’Île Maurice. Mais Furcy n’a jamais renoncé, et a continué ses démarches, a écrit sans cesse au procureur général Gilbert Boucher et son substitut, Jacques Brunet, qui l’ont aidé à constituer son dossier et ont été écartés de la colonie pour cette raison. Le pire c’est que Furcy était déjà affranchi lorsqu’il se rend à Paris pour le jugement en cassation plus de 25 ans après sa première action en justice. En effet, il avait été emmené sur l’Île Maurice, sous domination anglaise, et n’avait pas été déclaré en douane comme toutes les marchandises le doivent. Du coup, il avait été légalement et administrativement déclaré “libéré” par les lois anglaises, une législation concernant les choses et non les hommes. Mais il n’a pas abandonné pour autant son affaire française, il avait 58 ans lorsque le juge enfin le déclare “né libre”.
Je suis bien souvent resté pantois quant aux descriptions sur l’esclavage. Je sais que c’est très candide de ma part, mais j’ai toujours du mal à croire que ça fait juste 160 ans que l’abolition a eu lieu… Seulement ? Mais comment a t-on pu faire un truc pareil ? Et cette hypocrisie à peine camouflée qui fait que la plupart des esclaves ont été affranchis mais sont devenus employés (forcés, pour éviter la banqueroute en assurant une transition économique la plus transparente possible) de leurs anciens maîtres dans des conditions à peine différentes.
Et je ne dis vraiment pas tout là, il y a tellement de choses à apprendre dans ce modeste bouquin de 200 et quelques pages. Le style de l’auteur est simple et fluide, on sent qu’il s’adresse au lecteur avec sincérité et une vraie passion dans sa quête. On le devine aussi possédé par l’esprit de Furcy, et c’est bien communicatif.
Décidément, les bouquins ne paient pas. Chez moi, c’est une évidence mais ici, dans ce salon si couru, ce billet sans un seul commentaire le prouve une fois de plus s’il en était besoin. C’est dommage car ce bouquin vaut vraiment le détour à plus d’un titre. Je pressentais qu’il saurait te parler.
Je découvre votre blog en cherchant des info sur le bouquin de Mohammed Aissaoui dons j’apprends l’existence ce jour par les pages culture du Point.Et votre avis me conforte dans l’envie de lire ce livre. j’adore le bandeau de votre blog surtout le chat à rayure! Blogger bien! Bonne journée.
Antoinette
PS: Comment traduisez vous Pectus est quod disertos facit?
Google Traduction me propose un mystérieux”Coeur est ce qui rend éloquent”
Pectus est quod disertos facit se traduit par “C’est le coeur qui fait les éloquents”. ;-)
Bonjour!
Merci pour votre traduction. J’avais trouvé “C’est l’âme qui fait l’éloquence” sur http://www.abc-lettres.com, mais ça. ne me convenait pas trop
Pour ce qui est du livre, je l’ai lu en une nuit et je l’ai offert à un copain! Très bien ce livre: des petit chapitres qui s’enchainent bien et une histoire palpitante qui redonne envie de se battre pour les principes . Bonne nuit à tous