Sacré bouquin dont j’ai cru dès les premières lignes qu’il me tomberait des mains, qui m’a accroché et alternativement fait décrocher, et au final complètement emballé. On y trouve un curieux mélange de genres et de styles, et des propos sous-jacents qui sont tellement stratifiés qu’on peut avoir du mal à capter le message réel de l’auteur. Mais non les choses sont claires pour moi, il s’agit d’une magistrale critique des totalitarismes en tout genre, et assénée de la plus brillante manière qui soit.
Le roman se présente comme une uchronie qui consiste en la présentation par l’auteur d’un roman “Le Seigneur du Svastika” de l’écrivain américain Adolphe Hitler (il a émigré d’Autriche en 1919). Ce dernier a même eu le prix Hugo pour cela, c’est dire si c’est un roman emblématique et important. Ensuite, on peut lire le roman en tant que tel, puis une passionnante postface d’un psychanalyste, Homer Whipple, qui donne son avis (peu reluisant) sur cet ouvrage avec un éclairage “psy” particulièrement acide et ironique pour les lecteurs de notre timeline. On comprend qu’Adolphe Hitler est un écrivain de pulp à succès, et dont la carrière en SF a été couronnée par “le Seigneur du Svastika”.
J’ai beaucoup aimé le roman en lui-même même s’il est une caricature parfois assez basique des premiers romans américains de SF. Mais surtout c’est assez fascinant de suivre le raisonnement d’Hitler qui nous présente une Terre irradiée par des bombes nucléaires et dont les populations ont plus ou moins muté. On a d’un côté des purhommes qui préservent leur patrimoine génétique et leurs valeurs d’Humanité, et de l’autre des Doms (Dominateurs) qui ont des capacités télépathiques leur permettant de contrôler à l’envi des êtres plus faibles. Or les zones irradiées ne manquent pas de peuplades génétiquement inférieures et débiles qui sont des esclaves pour les Doms. Dans ce monde, on suit un purhomme, Feric Jaggar, qui va rejoindre son pays, et qui décide de lutter contre l’infiltration des Doms et des dégénérés dans son monde parfait. Il va unir les purhommes et devenir leur chef, avant de former une invincible armée pour se battre contre les Doms.
Toute cette partie est grandiloquente à souhait et un peu ridicule parfois, mais il faut avouer qu’on se prend à cette haine contre les peaux-bleus et autres hommes-perroquets, ainsi que les Dominateurs manipulateurs et insidieux, jusqu’à ce que la métaphore saute aux yeux, et qu’on réalise l’horreur de ce qui est en fait narré là. On retrouve au final tous les ressorts des montées fascistes, et le roman figure donc une terrible fable dans le fidèle esprit d’un Hitler ayant transfiguré ses idées délétères dans un écrit de SF finalement classique et banal.
La postface déconstruit ainsi une à une les idées du bouquin, mais il sombre rapidement dans un très très curieux libelle et joute aggressive alors que le psy prouve qu’Hitler était un pervers homosexuel, mais qu’au final on pourrait bien profiter d’un Feric Jaggar pour réduire à néant sans prêchi-prêcha les vils communistes. Arf arf. Et en un clin d’oeil, on est de retour dans un fascisme d’un autre ordre, et dans la critique au vitriol d’une Amérique sans doute pas si uchronique que cela.
Les styles d’écriture sont parfaitement maîtrisées même s’il s’agit vraiment de grossir de trait et de souvent verser dans la caricature. Et il ne fait jamais l’ombre d’un doute que l’auteur décrie complètement les nazis (mais il a été interdit en RFA à cause d’une suspicion inverse). J’ai beaucoup aimé ce jeu subtile, et cet entrelacs de thèses, que Norman Spinrad prend un malin plaisir à construire, et dans lequel je suis allègrement tombé. Outre cela, le Seigneur du Svastika est aussi impressionnant qu’effrayant, et il fallait sans doute être drôlement gonflé pour écrire une chose pareille. Encore une fois il s’agit bien d’une oeuvre qui célèbre le genre SF avec tout ce qu’il possède en qualité littéraire et pour les idées qu’il véhicule comme rien d’autre ne pourrait le faire.
Interdire Spinrad pour cause de soupçon de nazisme, faut vraiment ne rien connaître à la vie et l’œuvre de ce type pour avoir une idée aussi débile. Bon, ceci dit, Il se fait vieux le petit père, son écriture commence à être assez datée années 70 je trouve, mais quel putain d’écrivain…
Un conseil : lire “Jack Barron et l’éternité” :D