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Itinéraire d'un triangle rose (Rudolf Brazda)

Itinéraire d’un triangle rose (Rudolf Brazda, Jean-Luc Schwab)

J’avais depuis longtemps noté que ce bouquin devait être lu dans un coin de ma tête, mais ça m’a pris un peu de temps finalement. Le livre est très bien, mais il est surtout important en tant que tel. Il représente le témoignage unique d’un déporté pour homosexualité, Rudolf Brazda, né tchèque mais de langue et culture (et de coeur) allemande, finalement installé à Mulhouse après cet extraordinaire parcours. J’ai évoqué ici les fameux paragraphes 129 ou 175 qui punissaient l’homosexualité et avaient été utilisés par les nazis pour confondre et parfois déporter des homosexuels, les fameux triangles roses des camps.

Au-delà du devoir de mémoire, le livre est passionnant pour découvrir qui était Rudolf Brazda, cet homo né en 1913, de son enfance et ses rapports avec ses parents, à ses problèmes avec les nazis à l’âge adulte, en passant par sa découvert et sa “pratique” de l’homosexualité. Les faits historiques sont toujours en filigrane de la narration biographique, et le livre propose un assortiment de photos d’époque qui permettent de vraiment s’identifier aux protagonistes et les rendre plus proches.

On ne peut pas dire qu’il s’agisse d’un grand ouvrage de littérature. Le style est tout à fait basique et la plume parfois un peu hâtive et aride. Mais on apprend énormément de choses sur cette époque “avant guerre” et notamment qu’elle était particulièrement gay-friendly (on dit toujours que Berlin avant le nazisme était la ville la plus tolérante au monde dans ce domaine). J’ai aimé surtout la candeur et la franchise du récit de Rudolf. L’homme n’était pas un héros, mais plutôt un garçon timide, veule d’apparence et assez insignifiant, malgré tout bien intéressé par le cul j’ai l’impression (^^) et assez inconscient pour s’être fait pris au piège de la gestapo. Tout au long du bouquin on suit les aventures complètement dingues d’un garçon si simple et qui n’aspirait vraiment qu’à être heureux avec le garçon qu’il aimait. Il parle d’ailleurs de ses différentes romances et aventures, et cette ingénuité est autant sincère que touchante.

Des enquêtes sont menées sur des homosexuels pour les débusquer et les condamner, et de proches en proches la gestapo essaie de faire tomber Rudolf. Il y arrive à force de pièges, menaces et intimidations, et voilà Rudolf qui finit à Buchenvald. Il évoque finalement assez peu la vie dans les camps, et je devine que c’est encore quelque chose de difficile à raconter par le menu. J’avais été marqué par le témoignage d’un autre déporté pour homosexualité qui a aussi été médiatisé : Pierre Seel. Il écrivait (il faut aussi que je lise son bouquin !!!) :

« Un jour, les haut-parleurs nous convoquèrent séance tenante sur la place de l’appel. (…) Il s’agissait en fait d’une épreuve autrement plus pénible, d’une condamnation à mort. Au centre du carré que nous formions, on amena, encadré par deux SS, un jeune homme. Horrifié, je reconnus Jo, mon tendre ami de dix-huit ans. (…) Puis les haut-parleurs diffusèrent une bruyante musique classique tandis que les SS le mettaient à nu. Puis ils lui enfoncèrent violemment sur la tête un seau en fer blanc. Ils lâchèrent sur lui les féroces chiens de garde du camp, des bergers allemands qui le mordirent d’abord au bas-ventre et aux cuisses avant de le dévorer sous nos yeux. Ses hurlements de douleur étaient amplifiés et distordus par le seau sous lequel sa tête demeurait prise. Raide et chancelant, les yeux écarquillés par tant d’horreur, des larmes coulant sur mes joues, je priai ardemment pour qu’il perde très vite connaissance. (…) Depuis, il m’arrive encore souvent de me réveiller la nuit en hurlant. Depuis plus de cinquante ans, cette scène repasse inlassablement devant mes yeux. Je n’oublierai jamais cet assassinat barbare de mon amour. Sous mes yeux, sous nos yeux. Car nous fûmes des centaines à être témoins. Pourquoi tous se taisaient-ils aujourd’hui ? Sont-ils donc tous morts ? (…) Mais je pense que certains préfèrent se taire pour toujours, redoutant de réveiller d’atroces souvenirs comme celui-ci parmi tant d’autres. Quant à moi, après des dizaines d’années de silence, j’ai décidé de parler, de témoigner, d’accuser. »

Rudolf Brazda suit à Mulhouse un ami alsacien qu’il s’est fait à Buchenvald, et c’est ainsi qu’il a fini sa vie en France. Il faut lire cela pour réaliser aussi la fragilité de notre situation, et prendre conscience de la facilité avec laquelle on peut voir une société rétrograder en quelques mois. Et cette chape de plomb pour tous ces gens après la guerre qui ne pouvaient absolument pas expliquer la raison de leur déportation ou alors devait la dissimuler… Il ne nous reste que très peu de témoignages de cette époque, mais donc c’est d’autant plus important d’en parler !!

Itinéraire d'un triangle rose (Rudolf Brazda)

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