J’avais déjà eu l’occasion de voir un spectacle de l’Akram Khan Company il y a quelques temps pour Vertical Road, mais le danseur-chorégraphe Akram Khan n’y dansait pas himself. Ce spectacle là est différent à bien des égards, mais on n’y voit surtout Akram Khan dans un impressionnant one-man-dancing.
Autant Vertical Road était abstrait et utilisait un langage de pure expression corporelle, donnant du coup un spectacle formellement très beau mais ayant certaines limites dans le message véhiculé. (Il correspondait en revanche parfaitement à l’idée qu’on se fait d’un show de danse contemporaine particulièrement exigeant sur le physique et la grâce des danseurs-athlètes.) Autant Desh est beaucoup plus narratif et limpide dans sa composition et son discours.
C’est avant-tout un extraordinaire patchwork de tout ce que l’homme a pu créer pour s’exprimer : sons, musiques, paroles, cris, images, vidéos, et tous les ressorts de la danse du plus classique au plus contemporain, en passant par la pantomime (ou même un long moment où il parle avec le haut de son crâne sur lequel il a dessiné des yeux et une bouche !!!) et des interactions avec des objets et machines. Le spectacle est en fait même encore plus complexe et foisonnant que cela, et c’est aussi peut-être une de ses limites ou (petites) maladresses. En tout cas, il ne nous laisse jamais au dépourvu, et Akram Khan développe dans Desh un merveilleux sens du story-telling à la mode chorégraphique. Le spectacle puise dans l’intime de l’auteur, et il nous raconte qui il est, et donc d’où il vient. Evidemment c’est le Bangladesh qui résonne dans son urbanité vociférante et étouffante, ses travailleurs, ses mendiants, des machines brinquebalantes etc. Mais il y a aussi Akram le père de famille anglais et vraiment très britannique, celui qui a du mal à communiquer avec son père, celui qui s’exprime par la danse et par le geste plutôt que la parole.
Seul sur scène, le danseur-chorégraphe nous raconte cette histoire, son histoire, et dès les premières minutes j’ai été happé dans ce récit, complètement hypnotisé, abasourdi et charmé. Dans Desh il réconcilie tous les moyens d’expression qu’on peut imaginer. On passe d’une scène à l’autre comme on passe d’une idée à une autre, on se sent dans la tête d’Akram Khan, et même si le fil rouge est toujours présent, on navigue et virevolte aux rythmes de ses propres indécisions, émotions, sautes d’humeur, et voyages oniriques. Et il nous en sert de l’onirisme !
J’ai beaucoup aimé la manière dont se composent certaines scènes qui me paraissaient prendre naissance de la même manière. Par exemple, on le voit imiter et simuler des personnes qu’il a rencontré au Bangladesh. Il reproduit puis il intègre le geste, il le simplifie, il l’industrialise et le répète à l’infini, puis il le combine, il le sublime, le fusionne, le modèle jusqu’à passer à une autre “idée”, une autre “expression”, un autre “geste”. Et quand il nous emmène dans un rêve, cela fonctionne à merveille parce qu’il utilise un écran transparent sur lequel on projette des visions fantasmagoriques et filaires qui se développent un peu comme dans Tron. Et lui reste derrière l’écran et il interagit avec les projections ce qui donne un fascinant spectacle où tel un démiurge il a l’air d’accomplir des miracles en grimpant dans les airs, en parcourant des kilomètres, en escaladant des arbres… C’est la technique que j’avais déjà adoré dans Monkey, journey to the West au théâtre du Châtelet il y a quelques années.
Akram Khan est parfois aussi vif et kungfuïsant que dans Vertical Road avec quelques moments dont la grâce et l’énergie sont assez dingues. La poésie est aussi souvent au rendez-vous, et le chorégraphe utilise aussi de sacrés décors mobiles pour cela. Il y a notamment ces immenses langues de tissus blanches qui lui servent à un moment pour se suspendre, et qui donnent des moments d’une troublante beauté. Ajoutez à cela une musique très impressionnante, en parfaite cohérence et résonance, et cela donne un spectacle à la fois beau, intelligent, touchant et scotchant ! On s’en rend parfaitement compte en regardant le trailer.
Comme je le signalais plus haut, on peut aussi formuler quelques reproches, un peu le côté “il a les défauts de ses qualités” et réciproquement. Je ne suis vraiment pas un connaisseur de danse, mais on est clairement dans un spectacle un peu plus “mainstream” que le précédent, et beaucoup plus narratif et “simple” à appréhender. Il y a une certaine (avec un millier de guillemets) facilité à utiliser tant d’artifices pour réaliser ses tableaux, et finalement le chorégraphe se perd peut-être un peu dans ce qui devrait rester seulement des accessoires. Bon mais c’est vraiment histoire de chercher la petite bête parce que j’ai adoré le spectacle, et j’aurais adoré le voir une seconde fois !!!