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Pectus est quod disertos facit. ∼ Pédéblogueur depuis 2003 (178 av LLM).

Chanson bretonne suivi de L’enfant et la guerre (J. M. G. Le Clézio)

La couverture de l’ouvrage est assez explicite puisqu’elle évoque “deux contes”, mais en l’occurrence on est moins dans le domaine de la fable que dans celui de l’évocation poétique des souvenirs d’un enfants (né en 1940). C’est vraiment curieux de prime abord cette mention de conte, et puis le fait que deux ouvrages soient présentés. Mais finalement, tout prend rapidement son sens, et j’ai été totalement conquis par cette lecture.

Je ne connais pas bien Le Clézio, comme tout un chacun je sais qu’il a eu un prix Nobel, et j’ai lu “Désert” il y a bien longtemps que j’avais beaucoup aimé. Mais je n’ai pas suivi son actualité, et je ne suis donc pas vraiment un connaisseur de son œuvre. Des amis qui sont venus en séjour à Clohars-Carnoët cette fin d’année 2020 m’ont offert le livre en clin d’œil.

Eh bien, cette lecture m’a carrément donné envie de lire d’autres romans de cet auteur ! J’ai vraiment dévoré les deux petits romans qui composent ce livre, et en quelques lignes j’ai été happé par le style et l’écriture de Le Clézio. C’est fou d’ailleurs, car le type n’écrit pas des rodomontades en alexandrins, ça reste au contraire une langue simple et accessible, à la syntaxe tout à fait digeste et au vocabulaire courant. Mais c’est une extraordinaire poésie, et il arrive à nous embarquer dans ses souvenirs d’enfance “comme si on y était”. Et ce ne sont pas seulement des partages “visuels”, on y est en tant qu’un enfant ou un adolescent, avec les impressions, les sensations et ce flou qu’ont les souvenirs auxquels on est attaché (pour de bonnes ou mauvaises raisons). J’ai vraiment pensé à la tétralogie classique de Pagnol (ses Souvenirs d’enfance), mais aussi (allez savoir pourquoi) à “Regain” de Giono qui est un livre que j’adore, et qui m’a procuré des impressions équivalentes.

Vous devinerez aisément que c’est “Chanson bretonne” qui m’a particulièrement plu. Le Clézio est mauricien, et donc britannique, d’origine bretonne, et il a passé toutes les vacances de son enfance dans le Finistère sud, à Sainte-Marine (Combrit). Son récit est découpé en courts chapitres qui sont autant d’évocations de la Bretagne. Il n’y a aucune indication de temps, de chronologie, c’est pour cela qu’on est dans le “conte” j’imagine. Il s’agit simplement de ses souvenirs, restitués comme autant de réflexions sur l’évolution de la société et notamment l’exode rural ou la transformation apportée par l’agroalimentaire industriel en Bretagne, mais aussi des images de l’enfance, un attachement sans borne à la langue bretonne et à ses traditions, et un immense amour de la nature environnante. Là où ça m’a encore plus conquis c’est que je connais tous ces coins qu’il évoque, et qu’il parle aussi des coins à côté de chez mon chérichou comme le Pouldu ou la Laïta.

On peut par exemple y lire ce genre de souvenir qui m’a touché, comme mes propres escapades estivales nocturnes et adolescentes près des plages dans le sud de la France (mes parents ne m’ont jamais emmené en Bretagne, il avait trop peur de la flotte ^^ ).

Je n’ai pas peur. Je crois que je n’ai pas peur. Après les dernières maisons, les champs de pommiers, du côté de la plage, sur la gauche le dentier des douaniers entre dans la lande, longe l’océan dans la direction du cap.Nous allons souvent par là le jour, pour rejoindre les flaques à la marée basse, pêcher des berniques et des crevettes à faire cuire sur la plage. La nuit, on ne sait rien de la marée, les flaques sont invisibles, la haute mer brille à la clarté de la lune. J’écoute le bruit du ressac, qui entraîne l’odeur, plus forte dans l’obscurité. Une haleine qui vient des vagues. L’odeur de la lande aussi, une odeur poivrée, piquante. L’odeur de la vase invisible, et l’odeur plus puissante encore, l’odeur du large, dans laquelle il y a le sel, les algues, les failles profondes, les écueils, les étoiles brillent à travers la lumière de la lune, tout près de l’horizon elles clignotent, mais ce sont aussi des navires de pêche arrêtés pour la relevée des casiers. Je regarde tous ces feux, certains allumés par les humains, le phare des Glénan, les balises du côté de l’Île-Tudy, et par à-coups presque aveuglants, au-dessus des têtes des pins, le grand phare de la pointe, qui découpe les arbres contre les nuages. Chaque feu brille selon son rythme, longtemps, ou bien très bref, il me semble que je reconnais ce langage, cela me rassure et l’inquiète en même temps, comme tout ce qui touche à la mer la nuit… Je sens le froid sur ma peau, je suis vêtu seulement d’un short et d’une chemisette, pieds nus dans mes sandales. Il n’y a personne, la nuit et la mer sont vides, le ciel noir est nu. S’il y a des pêcheurs, ils sont là-bas, perdus dans la brume, du côté de Penmarc’h, vers le raz de Sein. J’avance le long du sentier, tout d’un coup j’entends un bruit de pas dans les broussailles, des vaches en liberté qui piétinent, à la recherche de pommes sauvages. J’essaie de glisser dans les ajoncs, malgré mes précautions j’ai éveillé l’attention des chiens au loin, dans les fermes, ils aboient après moi, ou bien c’est la lune qui les rend fous ? Je m’assois à l’abri du vent sur un rocher au milieu des ajoncs. Il y a des colonnes de fourmis noires, elles ne dorment jamais. Je respire lentement pour gonfler mon corps du bruit de la mer, de l’odeur du vent, de la lueur des étoiles et de la lune.

Chanson bretonne suivi de L’enfant et la guerre (J. M. G. Le Clézio)

Aaaah, on y est tellement je trouve !!

Ce qui est bien aussi selon moi, c’est que ce n’est pas un récit de “vieux con” qui se lamente sur l’ancien monde, et ce monde actuel qui part en couille. Le Clézio est bien plus nuancé et lucide à ce propos. Il évoque ainsi à la fois l’injustice de la disparition de la langue bretonne (dont les nouveaux locuteurs ont selon lui perdu l’accent breton des origines…), mais aussi l’extraordinaire pauvreté des paysans, et une Bretagne qui a un peu perdu de son âme, mais a aussi trouvé un certain salut dans l’agroalimentaire et l’exode (pour revenir dans des résidence secondaire…).

Cela se lit très vite, mais c’est foutrement agréable et vraiment c’est un dépaysement et voyage garanti dans la Bretagne des années 50, avec une langue poétique et sublime qui se déploie avec une facilité qui me déconcerte et m’émerveille.

Ensuite, pour “L’enfant et la guerre”, on est dans une forme similaire. Encore un “conte” avec ses évocations encore plus impressionnistes, puisqu’on est dans des souvenirs d’un enfant né en 1940. Parfois même ce sont de simples impressions diffuses qui ont sans doute été influencées ou altérées par les récits qui lui ont été faits à postériori. Le Clézio parle sans ambages de la manière dont sa famille a traversé la guerre, avec son père loin de là en Afrique, ses grands-parents et sa mère, à Nice et puis en fuite dans l’arrière-pays (notamment en raison de sa nationalité britannique). On y suit cette compréhension floue de l’enfance qu’il se passe quelque chose de bizarre, mais aussi d’autres rémanences plus concrètes comme celle d’avoir eu faim, et toujours ce même regard poétique sur les choses.

Ce sont bien deux contes au final, mais on n’est loin d’être dans la fiction. Ces récits de l’enfance pour un homme de 80 ans sont impressionnants de poésie, de souvenirs nimbés d’émotions, positives ou négatives, et reflètent une personnalité qui n’a pas l’air de s’être aigrie avec le temps. Une jolie découverte pour moi.

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