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Pectus est quod disertos facit. ∼ Pédéblogueur depuis 2003 (178 av LLM).

De l’importance ou pas de la reconstitution des époques mais aussi de celle d’avoir des comédiens les plus proches possibles de leurs rôles

Je lis absolument tout et son contraire sur le sujet, avec encore des gens qui ont l’air diamétralement opposés et qui s’écharpent quand il ne s’insultent pas à coup de boomer, Karen d’un côté ou fachiste, falsificateur de l’histoire et extrémiste de l’autre. Bref, just an other day on Earth

Cela n’est pas tout neuf lorsqu’on regarde un peu en arrière, mais ça a pris une autre dimension avec des séries récentes. Et donc les questions sont : jusqu’où doit-on aller dans les reconstitutions d’une époque, et doit-on avoir des comédien·ne·s qui collent à 100% aux personnages incarnés, et surtout quels sont les responsabilités ou impacts de tout cela ? Et c’est bien ce qui est compliqué, car on trouve alors pas mal d’incohérences dans les revendications des uns et des autres, et il est encore question d’un curseur dont on se rend compte qu’on a tous une idée différente de sa position.

Prenons un exemple connu, le Marie-Antoinette de Sophia Coppola, d’autant plus que nous sommes avant les déferlements sur les réseaux sociaux, et donc l’opprobre et les critiques (ou les lauriers) étaient venus de la presse et des blogs. C’était certes un film d’époque avec une jolie reconstitution, mais aussi un film dont l’autrice avait clairement voulu faire des parallèles avec la vie d’une jeune fille d’aujourd’hui, voire d’une jetsetteuse contemporaine. Et donc l’incursion d’une converse était super drôle, tellement décalée et anachronique que c’était un vrai message. Mais quand j’avais lu des critiques virulentes pour avoir mis des macarons alors qu’ils n’étaient pas encore inventés, alors là… Mais qu’est-ce qu’on s’en branle ?? Voilà donc mon curseur à moi… Mais ce n’est que le mien.

Il n’y a pas si longtemps j’ai parlé du personnage coréen dans le film Remo sans arme et dangereux, nous sommes au beau milieu des années 80, et alors qu’on oserait plus une black face, on grime un caucasien en asiatique sans ciller. Eh bien on ne ferait plus cela du tout aujourd’hui. Mais au-delà de cela d’ailleurs, être un comédien asiatique et se retrouver pour jouer un rôle si caricatural cela aurait été terrible. Exactement les rôles dont ont écopé les racisés dans le cinéma depuis sa création. Je pense bien sûr à la célèbre Anna May Wong, qui lorsqu’elle a voulu absolument un rôle (Visages d’Orient en 1937) s’est retrouvée finalement mise à l’index, et c’est Luise Rainer qui a été choisie et maquillée en chinoise (car le code Hayes interdisaient les gestes d’affection entre personnes de races différentes [sic]). Et même Hattie McDaniel, première actrice noire à recevoir un Oscar pour son rôle de Mammy dans Autant en emporte le vent, mais à qui on a aussi beaucoup reproché d’avoir contribué à colporter des clichés. Autrement dit, il est difficile de s’en sortir entre la typologie des rôles qui sont écrits, et leur propre incarnation, mais aujourd’hui c’est exactement la même chose.

Ce qui est drôle d’ailleurs ce sont les incohérences in fine qui viennent émailler nos raisonnements en la matière. D’un côté, on dit “Oh mais c’est ça être comédien·ne, on peut TOUT jouer ! Il suffit d’un accessoire ou même pas, tout est question d’imagination et d’incarnation grâce à leurs talents.”, et “Il faut que les trans soient joué·e·s par des trans !” mais aussi “Arrêtez de mettre les acteurs gays dans des cases, ils peuvent jouer d’autres rôles hein ?!”. Je sais bien que ces différentes assertions reposent sur des considérations autres que purement professionnelles, puisqu’il s’agit d’avoir aussi une plus belle diversité dans l’industrie du cinéma, et comme elle est aujourd’hui assez déficitaire, ce sont des actions visant à y remédier. Mais lorsqu’on présente simplement la surface des choses, on arrive rapidement au syllogisme.

On pousse le bouchon un peu plus loin, Maurice, ces derniers temps et cela m’interpelle et m’interroge, sans que je puisse encore bien précisément me positionner à ce sujet. Prenons la série Netflix “La Chronique des Bridgerton” dont on peut lire sur Wikipédia : “La série se déroule dans la haute société londonienne lors de la Régence anglaise du XIXe siècle.”, mais il s’agit quelque part d’une uchronie puisque la Reine et une bonne partie de cour sont incarnées par des comédien·ne·s noir·e·s. Comme ce n’est pas du tout le sujet de la série, cela m’interpelle. Le fait de vouloir faire jouer des personnes noires pour simple addition de diversité dans le casting, et éviter les relents racistes (mais historiques) de l’aristo blanc et du serviteur noir, je trouve ça plutôt pas mal. Et si c’était complètement fictif et assumé, vraiment comme une uchronie, alors pas de problème. Au contraire une fantaisie de ce genre avec la thématique très soap de la série, me paraît très drôle et enlevée. Là ce qui m’ennuie c’est une certaine réécriture de l’histoire qui pourrait avoir des effets néfastes. Cela part sans doute, au contraire, d’une idée de diversité ou même d’explosion des conventions (ce qui est super rafraichissant et que j’applaudis), mais alors des gens peuvent-ils vraiment prendre cela pour argent comptant, et penser que c’est historique ? Je pense que si cela se généralise, ça pourrait être un risque important. Et non seulement, ça ne remplit pas son rôle premier, mais en plus ça réduit à néant l’instruction et la connaissance du véritable combat contre le racisme et la ségrégation.

Après dans un truc en costumes comme cela, c’est tellement énorme, que je pense pas que cela puisse avoir vraiment d’impact, pour le moment. Mais cela va crescendo pour moi quand je pense à la série (antérieure) The Great qui est une œuvre parodique sur la vie de la Grande Catherine de Russie. Dans le générique il est fait mention de la “libre adaptation” qui permet déjà quelques fantaisies. Mais en plus d’une certaine exagération, il y a aussi toute une partie de la cour de Russie de Pierre III qui est jouée par des comédien·ne·s noir·e·s. Et là j’ai moi-même été hyper surpris, et j’ai cherché si ces gens avaient existé, car j’étais étonné (mais pourquoi pas ?). Là où la série est troublante, et je trouve vraiment mal faite (même si elle n’est pas dénuée d’humour, et plutôt divertissante), c’est qu’il y a donc cette présence de personnes noires qui n’est pas historique, mais certaines scènes qui paraissent tellement énormes qu’on conclut tout de suite qu’elles sont fictives. Or, Pierre III était tellement dingue qu’en réalité la série dépeint beaucoup d’anecdotes difficiles à croire mais tout à fait historiques. Je trouve ça dommage, car on ne peut pas profiter de l’avantage d’une œuvre qui se base sur des faits réels, mais qui y mêlent des traits fantasmagoriques. Et comme je ne suis pas forcément fan du fact-checking toutes les cinq minutes, cela m’a plutôt agacé.

Mais là, où j’ai été convaincu du caractère vraiment nocif de cette uchronie qui ne s’affirme pas, c’est pour la série Netflix “Hollywood”. Là, nous sommes dans l’âge d’or d’Hollywood des années 50, et là pas de souci de diversité dans les actrices ou acteurs, mais là où le bât blesse selon moi, c’est qu’il n’est jamais indiqué que c’est une fiction. Et en plus, on y trouve une kyrielle de personnages réels, avec Roch Hudson par exemple, ou l’agent sulfureux Henry Willson. Mais tout au long de cette mini-série, à l’allure de fable béni-oui-oui insupportable (selon moi), on y voit tout simplement Hollywood devenir moins raciste et carrément gay-friendly. Or c’est totalement faux, et c’est même tout le contraire… Autant je comprends qu’on puisse, soit imaginer une telle uchronie (mais pour quelle raison ?), soit se mettre dans une fiction totale sur une autre planète (mais quel intérêt ?), mais là il y a concrètement plusieurs personnes qui ont sincèrement cru à ce qui était raconté.

Vous noterez que je ne donne de leçon à personne, je ne fais que m’interroger, car tout ce qui est nouveau peut troubler. Dans tous les cas, je suis persuadé qu’il faut laisser s’exprimer ces nouvelles choses, qu’il ne faut pas réfréner ni l’imagination, ni la créativité, et surtout pas l’exploration de la diversité et de son inclusion, dans toutes ses formes. Le temps fait vite son œuvre, et il faut tester pour en voir les qualités et les défauts, et revenir en arrière ou sur le côté si on s’est trompé. Le cinéma est aussi là pour ça, selon moi. Exactement comme point médian que j’utilise maintenant assez couramment, mais qui n’est pas encore complètement satisfaisant, mais qu’il faut bien expérimenter pour voir si ça prend ou pas. ^^

Lorsque je me suis mis à penser à la fois à cette nécessité (ou pas) de la reconstitution, et au fait d’employer les artistes les plus proches de leurs rôles (ou pas), j’ai failli citer la série Pose en exemple. J’en ai parlé il y a quelques années et j’étais clairement dithyrambique. Et puis j’ai réfléchis à ses comédiennes tellement bonnes dans leurs rôles parce qu’elles sont talentueuses, mais aussi parce qu’elles sont des femmes transgenres. En revanche, j’ai aussi repensé à Paris is burning, ce documentaire de 1991 qui dépeint cette ballroom scene de NYC. Et là c’était flagrant, les comédiennes de Pose sont beaucoup trop belles et féminines, en comparaison de celle des années 80 qui n’avaient pas accès aux mêmes soins et technologies pour avoir un passing aussi glamour et irrésistible (je grossis le trait pour me faire comprendre, il existait des trans à l’époque avec un très bon passing, et ce n’est pas une fin en soi). Et clairement pour mieux coller à l’époque, et être plus conforme à l’esthétique du moment, eh bien il fallait peut-être caster différemment. Or dans le choix de ces comédiennes là, il y avait aussi la volonté d’aller au-delà d’un simple documentaire, mais de donner aussi une image positive au mouvement trans. Cela me va bien, étant un allié queer, mais ce n’est clairement pas neutre. ^^

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  • Je n’ai évidemment pas vu toutes ces séries ou film. Celui de Coppola est clairement hors réalité et c’est si assumé qu’il n’y a aucun doute. Pour les chroniques de Bridgerton, j’ai tout de même eu un très léger doute et je suis allée vérifier que les noirs n’avaient hélas pas jamais eu cette place à l’époque, j’en était persuadée, mais il fallait que je sois confortée (j’avoue que j’ai surtout été très sensible au duc :D) Pour le film sur Hollywood, j’ai été quasiment choquée. Je savais parfaitement la place réservée aux homosexuels et que cela ait été à ce point romancé, était comme un camouflet pour ceux qui ont soufferts. Et puis, je vois aussi autour de moi, mes collègues jeunes, qui, puisque c’est dans les films, forcément c’est vrai, et le risque est grand de masquer, falsifier la réalité. J’adore les romances, mais j’aime aussi ne pas être manipulée. Faut-il, avant le film, la série, mettre un avertissement ?

    • Tu vois j’ai eu exactement les mêmes réflexes et réflexions sur le sujet. Oui je pense que lorsqu’on joue comme cela avec des symboles très forts, on doit absolument mettre un avertissement, voire à la “Les mystérieuses cités d’or” ajouter un petit docu à la fin pour équilibrer les choses. :doigt: :aheumchat:

  • J’avais lu les Chroniques des Bridgerton depuis longtemps et quand j’ai vu que Netflix en faisait une adaptation, je me suis dit “oh c’est chouette !”.

    Quand j’ai commencé à regarder la série, ma première réflexion a été “non mais… beaucoup trop de gens de couleurs là !” vu que les métis et les noirs n’étaient pas courant à l’époque, surtout dans la haute société, et que sous la Régence, l’esclavage n’avait pas encore été aboli (et que dans la série de bouquin, il n’est indiqué nul part la couleur de peau de tous les protagonistes). Et puis je me suis dit que de toute façon c’était une fiction et que OSEF de la couleur des comédiens tant qu’ils étaient bons. (et puis ensuite j’ai appris que la reine Charlotte était métisse donc…).

    Pour Hollywood j’étais plus en mode “Mais pourquoi ça ne s’est pas passé comme ça en vrai ?”. J’ai trouvé la série très bonne, pour plein de raisons, mais surtout parce que c’était un truc carrément fantasmé et que ça finissait bien… Alors que ce n’était clairement pas le cas dans la réalité.

    Je pense que ces séries, bien qu’elles soient là pour nous divertir, ont besoin que les spectateurs aient un certains bagage historique, ou du moins une vague idée de ce qui se passait réellement à ces époques là pour pouvoir les appréhender comme des fictions (ce qu’elles sont), et pas des sortes de biopics légèrement romancés. Du coup un truc au début disant “youhouuu c’est de la fiction en vrai c’était pas comme ça” ne serait pas de trop, histoire que tout ceux qui regardent partent avec les mêmes bases.

      • Bah moi j’ai beaucoup aimé Hollywood :mainbouche: (je savais dès le départ que c’était une réalité fantasmée, disons le, une fiction). Ceci dit, ton billet pose plein de questions. J’ai même été chercher la définition de syllogisme. Je me suis perdu dans Wikipedia et je ne sais toujours pas ce que signifie ce mot. Vais retenter ma chance après quelques cafés

  • Bref, quand on mélange le réel et la ficition on ne s’y retrouve pas si l’on n’a pas de bonnes bases. Ça ressemble à 1984, réécriture permanente où l’on perd pied parce qu’en fait on ne se souvient plus du début.

    Ce qui me fait flipper, c’est l’intelligence artificielle qui ne vit qu’au présent : si on lui montre que de la fiction, elle pense que c’est la réalité. Elle apprend que c’est la réalité (pas d’humour, pas de fiction) et réagit comme si c’était la réalité. Et ça devient de la réalité.
    Pour la présence de noirs à l’écran, c’est plutôt positif, mais quand on voit la violence de certaines séries, des dysopsies comme La servante écarlate… Ça fait peur.

  • Tout d’abord bravo pour ce billet.
    Il m’est arrivé de faire des casting ou d’assister à des casting.
    Il me semble qu’il ne faut pas se prendre la tête et de chercher des personnes esthétiquement qui soient le plus près des personnages qu’ils soient réels pour cela on a des tableaux ou des photos ou tels que le scénariste les a imaginé dont proche par l’âge et l’apparence.
    Il y a beaucoup de comédiens talentueux, il suffit d’être un peu moi flemmard que la plupart des directeur de casting et l’on trouve le bon acteur pour chaque rôle en ce domaine le casting de Paris Police 1900 est exemplaire.
    Il est absurde de faire jouer le rôle d’un noir par un blanc ou d’un blanc par un noir. On finira par faire jouer Jeanne d’Arc par Depardieu!
    Un acteur s’il accepte le rôle doit jouer son personnage et pour un rôle de gay par exemple on a pas à se demander quels sont ses préférences sexuelles dans la vie, idem pour ses croyances philosophiques, religieuses ou politiques. Sinon on aurait du mal à dénicher un acteur pour un rôle d’assassin!
    Vous mettez le doigt sur un point intéressant à propos de la série Hollywood et de toutes uchronies ou parodies pour les apprécier ou n’être pas berné par ce que l’on voit (ou lit), faut-il encore connaitre l’Histoire et il est à craindre qu’en effet beaucoup de spectateur aient regardé au premier degré cette série totalement irréaliste mais je trouve talentueuse alors qu’elle était historiquement fausse et se voulait par son concepteur Ryan Murphy un acte militant pour montrer ce qu’il aurait aimé que le Hollywood des années 40 soit. Si vous vous intéressé à Hollywood de cette période lisez le roman de François Rivière: “Le secret d’Irvin” qui vient de paraitre et qui est plus subtilement gay que la série de Murphy.

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