Je voulais parler de la mini-série It’s a Sin de Russell T. Davis, mais je me suis rendu compte que je n’avais jamais évoqué Queer as Folk (la version UK de 1999) ou bien Years and Years (2019) qui a tout juste vingt ans de plus. Or ce sont trois chefs d’œuvre selon moi, et autant on peut d’ores et déjà vérifier l’effet culte de Queer as Folk avec un coup de regard dans le rétroviseur de 22 ans, autant les deux autres mini-séries (récentes) ont été des bombes pour moi, et laisseront sans aucun doute un souvenir indélébile, et revêtiront sans doute aussi leur badge : culte.
J’étais à Londres pour un week-end chez mon pote Fabrice, qui habitait là depuis déjà quelques années, c’était en 2001 je pense. Je dormais chez lui, et il m’avait installé un petit lit douillet sur un canapé dans son salon, et comme il savait que je n’avais pas spécialement envie de dormir, il m’a dit que je pouvais utiliser le magnétoscope (époque…). Mais surtout, il me tend une cassette VHS, et il me dit “Il faut que tu vois ça, c’est pour toi !”. C’était cela :
Bon, sauf que c’était un gros coffret en plastoc avec deux énormes VHS dedans. Hu hu hu.
Je n’étais pas super chaud de regarder un truc en VO comme ça sans sous-titre, mais j’ai essayé. Et j’ai tout regardé d’une traite. J’étais déjà bien pédé à l’époque, mais ça a été libératoire à un point assez dingue, déjà pour le côté totalement déculpabilisant et assumé de l’homosexualité, ensuite parce que c’était comme un reportage de ce que je vivais depuis quelques années, et enfin parce que je pouvais enfin m’identifier à un truc gay qui ne se terminait pas dans un drame rédempteur. Et c’était à Manchester, même pas à Londres, c’était assez dingue aussi d’avoir une histoire pareille en province (et trop cool) !!
Absolument tout le monde a ensuite vu et revu la série, et on s’est tous passés les DVD. La série US a eu un succès encore plus important, mais elle est toujours restée pour moi un cran en-dessous, et n’a pas eu la même résonnance personnelle. J’ai revu les épisodes récemment, et ça a tout de même bien vieilli, dans le fond comme dans la forme, comme dans les mœurs également. Mais il y a un petit charme désuet qui vaut le coup d’œil. Je me rappelle que les 15 ans de Nathan avait grandement choqué (et c’est assez choquant en effet), et on peut reprocher aussi à l’auteur d’avoir totalement éclipsé le VIH de son scénario ce qui est à la fois bien, et pas bien. Je pense qu’en 99, on était dans une autre phase de l’épidémie, et que Russell T. Davies a voulu souligner le retour à la teuf, au sexe insouciant et à une nouvelle génération moins touchée, mais ce silence est un peu trop assourdissant.
La série qui a pris le relai et m’a aussi fait du bien (malgré tout ce que j’ai pu lire contre elle), c’est Looking (2014), et on retrouve là encore un auteur anglais (Andrew Haigh) qui m’avait auparavant bouleversé pour son film Weekend (2012).
Mais encore plus énorme et fabuleux c’est sans doute la mini-série Years and Years du même Russell T. Davies. Quelle claque !! Il s’agit d’une série d’anticipation qui suit une famille anglaise de 2019 à 2034, donc une anticipation très proche mais totalement Black Mirror (2013) dans l’esprit. Elle est géniale et glaçante parce qu’elle présente des futurs proches extrêmement possibles et réalistes, tout en tirant le fil des pires travers de notre société. Russell T. Davies a simplement imaginé l’évolution de notre monde en se basant sur les prémices d’une catastrophe visible aujourd’hui dans les relations internationales (Chine-USA), les choix politiques (Trump réélu par exemple), les modèles de société et de travail (ubérisés à mort), les réseaux sociaux et la désinformation, la planète qui perd des espèces et des capacités à nous nourrir (et ses effets sur les migrations de population) etc. Mais ce n’est pas tout noir, non c’est la vraie vie, donc l’amour est toujours là, la famille aussi, et même les aspirations des uns et des autres, et encore des problèmes basiques de parents qui ne comprennent pas leurs enfants. L’ensemble donne une narration passionnante, avec un fourmillement de détails qui indiquent des changements progressifs mais majeurs qui font évoluer une société.
Et il s’agit de Russell T. Davies donc on a droit à de beaux portraits de personnages queer, et en l’occurrence une histoire d’amour avec Russell *j’aime tes oreilles* Tovey qui ne laisse vraiment pas indemne. Le show est brillamment écrit, et il réussit avec assez peu de moyens à donner les quelques éléments technologiques du futur qui sont en réalité très convaincants, et sans doute parfaitement documentés. L’aspect politique et moral est corrosif à souhait, et vraiment vous donne à réfléchir. Et cette vidéo qui a beaucoup tourné et me donne toujours des frissons, tant le discours servi par la patriarche est vrai et sa sentence implacable, est un incroyable moment de télévision.
J’ai passé sous silence les 3 mini-mini-séries du même Russell T. Davies de 2015 qui sont exclusivement queer et vraiment très bien. Il s’agit de Cucumber, Banana et Tofu avec trois shows qui se répondent mais avec des prismes différentes. On est toujours à Manchester, mais la première se focalise sur des quinquagénaires en crise, la seconde sur des jeunes gens et met vraiment en exergue la génération actuelle, tandis que la dernière ce sont des documentaires avec des interviews des comédiens sur leur homosexualité.
Mais passons à 2021, et à It’s a Sin. On avait reproché à Queer as Folk de ne pas avoir évoqué le sujet du SIDA, Russell T. Davies en fait une mini-série dédiée cette fois, et sur la période la plus noire, les années 80. Nous sommes toujours à Manchester, et on devine que pour l’auteur qui est né en 1963, c’est une période dont il parle en connaissance de cause. La série dépeint une décennie d’amitié entre cinq personnages principaux, et une gigantesque bandes de potes et de copines queer, de 1981 à 1990. Le show se rapproche à certains égards de 120 BPM, mais avec certaines limites car ce dernier démarre justement à la fin de It’s a Sin, et décrit les engagements associatifs qui sont évoqués justement à la fin de la série.
1981 c’est l’éclate complète pour ces jeunes gens qui découvrent leur sexualité, et en même temps c’est un monde profondément homophobe et violent qui s’offre également à eux, parfois au sein même de leurs familles. On a donc ces deux phénomènes antagonistes qui rythment tout le début de la série, et qui font alterner drame, dissimulation et grosses teufs orgiaques. L’insouciance sexuelle est de mise, mais on entend parler d’un mal qui ne toucherait que quelques américains, un cancer gay, que tout le monde ignore joyeusement (on aurait sans doute fait la même chose, d’autant plus dans un tel moment d’émancipation et de début de mouvement de libération des mœurs).
Petit à petit, l’épidémie se rapproche, et touche les personnages, tout en continuant sur une narration plus classique et romanesque. C’est évidemment le drame parfait avec tout ce qu’il faut pour s’attacher à ces protagonistes, et une issue dont on devine qu’elle sera fatale pour certains. J’ai vraiment été marqué par Lydia West qui jouait déjà dans Years and Years et qui est particulièrement solaire et attachante.
La série est souvent drôle et touchante, en donnant un peu d’oxygène et de répit, avec des scènes beaucoup plus difficiles d’homophobie, et puis de mort des suites du SIDA, ce qui refroidit évidemment tout de suite. Et surtout, on suit les connaissances médicales avec la peur extraordinaire de la contagion, avant de bien savoir comment la maladie pouvait se transmettre. Il y a une scène terriblement choquante où un garçon malade est carrément détenu dans un hôpital (suite à un processus légal et juridique) pour éviter qu’il répande le virus.
J’ai vraiment beaucoup beaucoup aimé cette série, elle est encore une fois merveilleusement écrite, et très bien réalisée. Il paraît qu’elle a suscité une vague de dépistage en Grande-Bretagne, et des inquiétudes chez des personnes qui pensaient que la maladie était autant mortelle aujourd’hui. Cela me paraît surréaliste, mais je peux comprendre que le temps est passé, et l’information dans ce domaine a plus ou moins disparu du champs public à mesure que la mortalité reculait (et pas tant l’épidémie, malgré tout).
En revanche, c’était bien de revoir Queer as Folk récemment, car cela montre avec éloquence la manière dont on traite des époques anciennes avec un prisme actuel. Par exemple, It’s a Sin clairement a joué sur un casting plus inclusif, et évoque le racisme avec des clichés de l’époque qui sont très appuyés. Il y a pas mal même de réactions de l’héroïnes qui sont pour moi presque anachroniques et ne trouvent pas vraiment leur place dans un comportement des années 80, mais cela donne aussi un objet télévisuel plus actuel et auquel on peut plus facilement se relier. Dans Queer as Folk, certaines scènes ou représentations ne seraient absolument pas traitées de la même manière aujourd’hui.
La série se regarde avec un plaisir à ne vraiment pas bouder. Elle a le mérite aussi de rendre hommage à toutes ces personnes décédées, à mettre en exergue la souffrance et les comportements souvent cruels de leurs familles biologiques contre leurs familles de cœur. J’ai aimé aussi l’histoire principale, celle de Ritchie (Olly Alexander), parce qu’elle n’est pas lisse, et qu’elle n’enfile vraiment pas les clichés. Que ce soit par son attitude, et son caractère à la fois peu aimable et qu’on a follement envie d’aimer, ou bien par l’aveu de son comportement autodestructeur, ou encore le rapport à sa mère, Russell T. Davies a modelé un personnage vraiment intéressant et marquant. Et la tirade de fin de Lydia West, encore une fois plutôt anachronique selon moi, ne peut laisser indifférent au sujet de la culpabilité envers les parents qui ronge souvent les enfants (même adultes) queer.
Pour nous Queer as folk; les deux versions; et Looking sont des classiques que nous aimons beaucoup. Il nous reste à découvrir les autres. Merci à toi.