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Pectus est quod disertos facit. ∼ Pédéblogueur depuis 2003 (178 av LLM).

I love porn (Didier Lestrade)

Je pourrais aussi le dire sans vergogne, car c’est une réalité que je partage avec maints de mes coreligionnaires : j’adore le porno. Et comme Didier Lestrade, j’en ai une vision à la fois très pratique (c’est un excellent support de masturbation), mais aussi esthétique, historique, culturelle ou politique. Mais lui est un expert mondialement reconnu, et le bouquin le prouve vraiment par le menu, autant par sa connaissance encyclopédique du sujet, que par les recherches qu’il a réalisées pour concocter ce vadémécum du cul (j’aime les allitérations).

Les entrées du blog ayant réalisé les meilleures audiences sont celles qui parlent de cul, de près ou de loin. Que ce soit lorsque j’avais réagi à propos du bareback en 2005 et de la drôle de chasse aux sorcières qui s’en était suivie (on était en plein “relapse” souvenez-vous), ou bien lorsque j’évoquais la pipe à la Blake Harper (bien avant que la gorge profonde ne devienne aussi populaire qu’aujourd’hui ^^ ), ou bien plus tordu et intéressant le moignonning comme activité phare de l’été 2006, ou encore la manière dont j’étais fasciné par les Falcon des années 80. Il y a une quinzaine d’années j’avais aussi été invité par un blog très célèbre de l’époque (beaucoup plus que le mien évidemment) : “Le journal du porn”. Et j’y avais écrit quelques articles pour édifier les masses (laule) qui ont valu un scandale de dingue au proprio du blog, principalement sous la forme de milliers de commentaires pour honnir mes textes, et vomir leur homophobie. En 2009, une rencontre inopinée avec Wendy Delorme m’avait plongé dans un écrit féministe, et des tas d’autres références, qui m’ont fait voir différemment le porno, notamment lesbien, mais aussi déjà une grande fluidité et décongestion des carcans genrés.

Ce bouquin de Didier Lestrade est une magnifique anthologie, une encyclopédie de tout ce qu’on a envie de savoir sur le porno. Mais ce n’est pas un dictionnaire non plus, le livre se lit plutôt comme une master-class avec un expert ès pornographie qui mêle recherches, anecdotes, experience personnelle et pédagogie. Et l’intérêt majeur supplémentaire de tout cela, c’est que c’est aussi l’occasion d’un véritable essai sur la sexualité (en version poly, multiple et méta), le plaisir sexuel, son acception et acceptation par la société, et via ce curieux prisme qu’est le film pornographique. Moi ça m’a follement intéressé, et j’ai pu constater que j’en savais beaucoup, mais que j’ai encore pas mal à apprendre.

Il est assez vertigineux de partir des années 70, aux prémices de la création audiovisuelle porno, et d’aller jusqu’à aujourd’hui avec OnlyFans et consorts, mais aussi l’ultra-spécialisation des productions, en passant par un certain âge d’Or de la VHS, et sans en omettre les aspects les plus négatifs dans l’exploitation de certaines personnes. Et c’est marrant de voir qu’avec nos 20 ans d’écart, on a une vision assez cohérente des choses, même si l’expérience du terrain n’a pas été dans les mêmes conditions, et au même moment (à l’époque pré-internet, on consommait tout ce qu’on pouvait trouver, et donc il y avait beaucoup plus de possibilité de découvrir des anciennes prods, j’imagine que ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui, ou alors par curiosité, il y a sans doute encore quelques jeunes de 20 balais qui jettent un coup d’œil à un JD Cadinot).

J’ai beaucoup aimé aussi que Didier Lestrade se livre en partie tout en parlant de cul (et de bites). Et ça m’a fait sourire de lire le passage suivant, sachant que je suis également totalement vanille dans mes activités nocturnes, malgré mon attrait et ma curiosité pour toutes les sources de plaisir charnel.

J’ai toujours été défenseur du sexe basique et c’est une position maladroite dans un livre consacré au porno qui, de nos jours, est un concentré de fétichisme dans le sens le plus large du mot. Il y a une dimension de classicisme dans le sexe vanille que je respecte et que j’encourage ; cette envie de garder les choses simples, surtout au début d’une relation, quand on a tout le temps pour explorer les fantasmes de chacun. Pour moi, c’est une forme de respect du partenaire. Il y a assez de variantes excitantes dans les pratiques les plus simples que sont la fellation, la masturbation, la pénétration et le frottage qu’on se demande s’il faut sortir tout de suite sa collection de jockstraps et de dildos.

“I Love Porn” – Didier Lestrade (page 42)

De la même manière, je suis super fan de la totale décomplexion face à la branlette. Et au-delà, il brode là-dessus en mettant le doigt sur un sacré tabou de notre société. Mouahahahaah.

La vie serait plus simple si on pouvait se branler quand on veut (je veux dire, sans constituer un attentat aux mœurs). Les gens seraient beaucoup plus décontractés s’ils n’avaient pas passé des heures au travail avant de rentrer chez eux pour se branler quand ils en ont envie, et non quand ils peuvent le faire. Je dis souvent que c’est un des rares avantages de la vie solitaire : personne ne vous empêche de vous accorder un peu de plaisir quand vous n’êtes pas marié, quand vous n’avez pas d’enfants, quand vous n’avez pas de colocataire. Il y a quelque chose de libérateur dans le fait de choisir le moment précis de ce désir qui est aussi un besoin, quand le fait de se branler va non seulement vous apporter du plaisir mais aussi vous débarrasser du stress, vous remettre sur les rails de la vie — “Bon, ça va, je me suis branlé, je peux faire la vaisselle ou passer l’aspirateur.” Trente minutes plus tôt, une tâche aussi banale que la vaisselle serait déprimante.

[…] Je ne dis pas qu’il faudrait une pièce de branlette dans chaque open space pour vous motiver à finir ce rapport d’activité qui vous désespère, mais je suis persuadé que le travail serait fini plus vote, et mieux, si le mental n’était pas occupé par le fait d’avoir le feu au cul.

“I Love Porn” – Didier Lestrade (page 101)

On trouve en tout cas un nombre de thématiques très impressionnant, et sur la fin l’auteur brosse, autant que faire se peut, un panorama le plus complet possible des tendances. Il y a à la fois l’ubérisation du cul avec des plateformes comme OnlyFans mais aussi de l’open-source avec pas mal de gens qui s’exposent gratuitement, les amateurs d’aujourd’hui. Tout est sur internet, et par cette nature même, les médias sont courts, éphémères et pulvérulents. Les stars le sont quinze jours et on passe à autre chose, malgré quelques rares exceptions. Surtout, on trouve encore des nouveautés et des évolutions malgré cette profusion, les contenus se radicalisent, se spécialisent, c’est plus hard ou “plus” tout court.

Mais on voit aussi poindre plus de diversité dans le porno, notamment avec les performers trans et queers. Et pour avoir un peu maté ça, c’est vrai que c’est surprenant (pendant deux minutes, après c’est juste la routine) de voir un mec se faire prendre le vagin par un gay, avec tellement de renversements de valeurs (ou surtout de clichés moraux) qu’on arrête vite de réfléchir (ça me fait bander, mais alors je suis hétéro car c’est une chatte, mais il est gay donc je suis toujours pédé, ouf, hu hu hu). Et de la même manière, je trouve que cela renouvelle foncièrement les relations hommes-femmes dans le porno. Et au-delà même, les normes actif/passif chez les pédés, et leurs représentations sociales, commencent un peu à changer, même si les clichés sont toujours vivaces.

L’homme masculin, nu ou dévêtu, devient le nouveau jalon de ce que l’on peut montrer à la télé, comme quand la série Spartacus a montré pour la première fois des gladiateurs nus, de face. Avant, c’était les seins des femmes qui établissaient un jalon de l’impudeur ; aujourd’hui, c’est l’homme nu à la télé. Il suscite les mêmes admirations et embarras que pouvaient provoquer un baiser hétérosexuel dans les décennies précédentes. Et il impose l’homme comme un objet — ce qui ne m’a jamais posé de problème. J’aurais tendance à dire que la masculinité ne se discute pas, ce qui contredit plus ou moins tout ce qui est développé actuellement sur la fluidité des genres. Autant j’ai horreur de la femme-objet, autant par respect en tant que gay, je n’ai pas de réserve sur l’homme-objet, qui, de toute manière, garde sa position prédominante et donc mérite d’être malmené de temps en temps. Je pense que tout le monde a besoin d’être malmené de temps en temps.

Développons ce point, qui est central dans la critique queer du porno. De plus en plus d’objections sont aujourd’hui formulées envers la “dictature” physique ou normative des corps musclés à travers le porno, l’uniformisation publicitaure ou les magazines de fitness. Si je comprends tout à fait les alertes envers la grossophobie, je ne considère pas que le fait de cultiver son corps soit en soi aliénant. Pour moi, les deux ne s’opposent pas. Ils font partie du même désir de vivre, de s’exprimer, exactement comme les sextos — les messages avec images sexuelles. La particularité moderne, c’est que beaucoup plus de jeunes font beaucoup plus de sport qu’à mon époque, par exemple. Et cela ne me gêne pas qu’ils prennent des anabolisants pour avoir de la masse. Je vais même plus loin : si la chirurgie esthétique aide des personnes transgenres dans leur transition, elle permet de aussi de corriger certains défauts physiques pour tout le monde et donc d’améliorer l’image de soi. Un homme qui a une petite bite et qui fait de la musculation, je trouve ça tout à fait normal ; ce n’est pas un sujet de moquerie. Je considère de que nous sommes tous des freaks — et cette tendance ne fera que s’accentuer. On peut même considérer que la prépondérance du muscle rattrape les années de mort et d’amaigrissement subies pendant les années sida.

“I Love Porn” – Didier Lestrade (page 150)

Je vous conseille ce bouquin, il sera déjà drôle à acheter en public, et encore plus si vous prenez le train ou les transports en commun avec. Mais vraiment c’est super agréable à lire, et c’est de la vraie CULture. ^^

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  • Lestrade est un expert , il publiait Magazine ,un magazine porno de ‘luxe’ dans les années 80 qui ont enchanté mon adolescence dans la période preinternet :sourire:

      • J’ai fait ça une fois avec un numéro de Têtu et une autre fois avec un bouquin de Philippe Besson. Je les ai lâchement abandonnés ensuite l’un sur la banquette l’autre dans le couloir du métro… :triste:

        • Oui, hyper interessant cet article! du grand Matoo! une fois d eplus , j’apprends des trucs, et toujours marrant de se replonger dans les posts des années 2000!!! que je n’avais pas lu (ou je ne m’en souviens plus!)
          @estef: Philippe Besson: ca peut se lire facilement dans le train. En plus, ca peut etre un signe discret pour des rencontres… Un Tetu, ou le bouquin de Lestrade: effectivement, là, on ne cache rien, et c’est donc un signe évident de ce à quoi on aspire! :rire:

  • En tous les cas, c’est le genre de post qui me decomplexe avec le porno… même si certains sont vraiment hard et violents, et qui me gènent vraiment…
    j’aime bien aussi les mentions à la masturbation!

    • Je crois que tout est une question de consentement, non seulement sur les pratiques mais aussi sur le fait de performer cela devant la caméra. Et il y a bien d’autres interrogations pas loin d’être philosophiques, comme le film avec le type amputé (que j’évoque avec le “moignonning”) où c’est à la fois libératoire et une marque d’inclusion, mais en même temps un fétiche assez tordu… Enfin tout cela se discute. :mainbouche:

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