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Pectus est quod disertos facit. ∼ Pédéblogueur depuis 2003 (178 av LLM).

Le ciel de Nantes (Christophe Honoré) au Grand T à Nantes

C’est marrant d’aller voir une pièce dont le nom contient “Nantes” à Nantes, alors que je viens de déménager à Nantes ! C’était une première fois dans ce joli théâtre, et j’étais content d’y voir une pièce aussi ambitieuse et à la scénographie particulièrement chiadée. En effet, on est au théâtre mais on est immergé dans une salle de cinéma avec des spectateurs, et la mise en abîme est encore plus poussée avec des vidéos diffusées au sein de cette salle.

Parce que cette pièce est à l’origine un projet cinématographique avorté de Christophe Honoré, à propos de son histoire familiale, et cette famille du côté de sa mère qu’il allait voir à Nantes, “les nantais”. Cela devait être un film largement biographique depuis les bombardements nantais de 43 jusqu’aux années 90, mais il n’a jamais pu boucler le projet (et on comprend que ce n’est pas un problème technique). Au lieu de cela, c’est donc une pièce, et je crois que c’est une très très bonne idée. Plutôt que de reprendre une forme classique de narration, et d’essayer de plaquer et adapter un scénario de film sur les planches, l’auteur profite de l’univers théâtrale pour jouer avec ses codes et finalement une grande liberté dans la manière de raconter, et dans la proposition formelle largement décalée qu’il établit là.

Cette salle de cinéma, avec ses spectateurs qui nous font face, accueille en réalité toute la famille nantaise de Christophe Honoré, sa grand-mère Odette, sa mère Marie-Do (étonnamment campée par Julien Honoré, le frère de Christophe), et ses oncles et tantes. Ils sont tous morts, et ce sont donc des fantômes qui sont invités par un jeune Christophe Honoré (très bon Youssouf Abi-Ayad) qui va, on pense, leur montrer son film. Mais rapidement, c’est surtout une vraie lever de boucliers de tous qui évidemment grognent sur l’image familiale qui est renvoyée et les sacro-saints “qu’en-dira-t-on”. Ensuite, cela explose dans une tumultueuse farandole d’anecdotes familiales, de non-dits mal digérés, de ressentiments mais aussi de beaucoup d’amour, et des arcs narratifs se croisent, se délient et brouillent bien souvent les pistes.

On en tire une superbe fresque familiale bien prolo et dysfonctionnelle comme on les aime, avec des caractères hauts en couleur, et tout le spectre des émotions convoqué avec un vrai brio par les comédiens et comédiennes. Il faut saluer le jeu en particulier de la personne qui joue Odette, la truculente grand-mère, Marlène Saldana, mais également Chiara Mastroianni, en tante fragile, attachante et suicidaire, qui rayonne dans ce rôle pourtant secondaire. J’ai pas mal pensé à la pièce excellente vue récemment qui avait la guerre d’Algérie pour toile de fond.

La pièce est résolument moderne dans sa forme également, et j’ai beaucoup aimé les usages multimédias, la mise en abîme continuelle du cinéma dans le théâtre, l’usage des images enregistrées comme de la rediffusion en live d’un flux capté dans une zone cachée de la scène. La mise en scène est très inventive et très dynamique, empêchant vraiment le moindre ennui, et servant efficacement le propos. On est là dans un objet théâtre très cinématographique, et ça fonctionne super bien !

Je pense avoir été particulièrement saisi par la pièce par une réelle identification à mes propres turpitudes familiales (elles sont tristement banales, hu hu hu), et j’ai reconnu à peu près toutes les typologies de personnages, de travers vénéneux mais aussi de salutaires et admirables vertus. Alors évidemment il faut prendre un bout de l’un et de l’autre, un peu moins par ici, un peu plus par là, mais on aurait un spectacle aussi épique avec la famille Watoo, c’est certain. Et la réaction des personnages à l’évocation de leur vie dans un film ou un spectacle, est exactement similaire (et compréhensible) à celle de mes proches qui ont eu le malheur de tomber sur le blog il y a quelques années. J’ai été donc très très touché, et je pense avoir vécu la pièce de manière un peu plus intense que le spectateur lambda, et tant mieux.

On y dénote aussi facilement l’époque et les comportements des années 70 et 80, tout ce que l’auteur a connu et qui résonne aussi évidemment bien avec mon propre vécu. On est évidemment dans une ambiance très marquée par le modèle hétéropatriarcal, même si matriarcale par la force des choses dans cette histoire, et une souffrance marquée des femmes, et non moins intense mais moins visible de certains hommes, il y a aussi les côtés prolétaires et parfois ordinairement racistes de l’époque. Il y a aussi cette cassure entre la grand-mère et son petit-fils lorsque son homosexualité est évoquée, et c’est un passage d’une tristesse intense.

Mais la pièce n’est pas un règlement de compte, c’est un état de fait et un hommage très sincère, c’est aussi le prisme assumé d’une personne, et pas un étalage de faits absolus (ça n’existe pas vraiment, et surtout pas au sein de la mythologie familiale). Mais au passage, Christophe Honoré y démontre son affection sans borne, son estime (mais aussi ses griefs) et son souvenir ému attachés à cette famille nantaise. Que l’on s’y identifie partiellement (je crois difficile d’en faire l’impasse) ou complètement comme j’ai pu le faire, c’est aussi un très beau spectacle à la mise en scène tonique et impeccable, et servi par des comédiens et comédiennes talentueuses. C’est vraiment dommage que le COVID ait rogné pas mal de dates dans la tournée, mais j’espère que ce n’est que le début.

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