MatooBlog

Pectus est quod disertos facit. ∼ Pédéblogueur depuis 2003 (178 av LLM).

Drag Race France a tué le (émocheune) game

Je n’avais pas vraiment l’intention de reparler de Drag Race après ce premier article, pour, contre toute attente, saluer la qualité de l’adaptation en France de la célèbre (pour moi et certains de mes coreligionnaires) émission américaine. Mais là, je me vois dans l’obligation de pondre un petit quelque chose. Cet épisode 6, c’est un peu comme les noces pourpres de GoT ou l’explosion du Septuaire de Baelor de la même série TV, bref il y a un avant et un après1.

Les émissions de téléréalité de la sorte, et surtout les américaines, cultivent les aveux ou les ambiances “confessionnal” pour sortir des histoires tristes qui font pleurer dans les chaumières, et tout est mis en exergue avec de la musique mielleuse, des ralentis obséquieux et des gros plans sur des grosses larmes qui vous serrent le cœur. Souvent c’est “too much” et ça en devient assez insupportable dans l’émission d’origine “RuPaul Drag Race”, mais c’est un truc presque culturel aux USA, et ça fait partie du “package” de ce genre de show.

Drag Race España (oui j’ai aussi regardé ça ^^ ) avait eu son lot de passion et d’émotions hautes en couleur avec une verve et une énergie totalement almodovariennes qu’on adore. Je me souviens d’un épisode complètement emphatique dans le genre où tout le monde se retrouve à chialer à la fin, c’était finalement assez drôle à regarder, car c’est “trop” mais on sait que pour des espagnols c’est “juste”.

On s’était déjà fait la remarque avec mon chéri que Drag Race France avait un positionnement très français à ce sujet. C’est-à-dire que ces moments d’émotion ne sont pas tus ou édulcorés, mais on n’est pas dans la surenchère, ni dans l’outrance passionnelle. Il s’agit d’anecdotes personnelles mais qui sont remises en contexte, et sortent sous forme d’assertions qui souvent sont liées à des postures politiques ou intellectuelles. Donc du recul et certes de l’émotion, mais surtout de l’expérience et de l’analyse.

Quand Lolita Banana évoque sa séropositivité au VIH, c’était vraiment touchant mais ce n’était pas une occasion de sortir les mouchoirs et les youyous. Et il y a eu aussi plusieurs moments très émouvants à propos d’homophobie qui nous ont marqués, et sans doute plus car on parle là de notre pays avec une évidente proximité et identification, mais plutôt que de commisérer on était dans le combat militant ou la conclusion positive en mode “It gets better”.

Nous sommes à la sixième semaine de compétition, et elles ne sont plus que 5 reines. On sent la fatigue poindre, et les tensions qui débarquent peu à peu malgré, depuis le début, une palpable bonne entente, cohésion et bon esprit entre ces Drags. Mais là des craquelures apparaissent, on comprend que Lolita est assez à bout (sans doute par rapport aux autres, mais peut-être aussi elle-même) et que la Big Bertha est aussi sur le fil. La séquence de défilé nous offre encore un grand moment de “mode” à la française, avec des choses superbes, et la Big Bertha délivre un témoignage encore incroyable de “body positivity” qui fait du bien. En outre, Yseult est dans le jury, et elle adhère évidemment à cette démarche tout en en demandant encore plus.

Acculée, Lolita craque un peu, mais doit reconnaître ses défauts. Et ce sont les deux qui se retrouvent en bas du classement, et à réaliser un lipsynch, mais c’est sur la chanson “Corps” d’Yseult. On est donc sur une vraie “synchronisation labiable” (j’adore cette traduction littérale qu’on trouve dans des sous-titres traduits automatiquement de l’anglais vers le français) où clairement on ne va pas avoir des pas de danse à la Beyoncé. Et pour s’exprimer sur scène, pour coller à cette chanson très émouvante, très personnelle et à fleur de peau, nous avons nos deux queens qui se sont mises à nu comme jamais on n’avait pu le voir avant.

Et donc là, on est dans quelque chose d’énorme et d’incroyable, dans une émotion qui s’empare de vous et ne vous lâche plus. Et malgré tout, ce n’est ni de la surenchère, ni un truc artificiel ou surjoué, pas d’esbrouffe du tout, mais une démonstration magnifique de la manière d’exprimer ses sentiments, de mettre ses tripes à l’air et de transcender ses émotions les plus diverses et antagonistes.

La Big Bertha s’expose ainsi presque nue, dans une de ses attitudes burlesques que j’aime tant, et prouve encore le bien-fondé de cette démarche de “body positivity”, et Lolita se rase littéralement la tête sur scène… Tout en mimant les paroles d’Yseult, et en incarnant profondément la chanson, son message et leur propre émotion en le faisant.

Ah non, on n’avait jamais vu ça dans Drag Race, ni ailleurs. Et y’a pas à dire, ça aussi c’est français, c’est terriblement génialement merveilleusement français. ^^

  1. Ouiiiiiiiiiii je fais exprès d’exagérer et d’en faire des tonnes. Hu hu hu. ↩︎

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  • Je ne regarde pas (mais je regarderai sûrement) en décalé de tout le monde. Ma moitié est fan, lui. Je lui envoie ton billet ^^
    Je valide totalement l’expression “synchronisation labiale” :chatlove:

  • Oui, oui, oui et re-oui.
    Cette manière de traiter les sujets très française, en mode “by the way j’ai vécu ça” en contextualisant, sans chercher le misérabilisme cher au traitement Américain, mais plutôt avec les références “à la Paloma” qui sont la partie émergée de cet iceberg, rend cette série très réussie, pleine de messages très forts, et aussi de sincérité (y compris pour dire des choses parfois désagréable).
    Un sacré succès.

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