MatooBlog

Pectus est quod disertos facit. ∼ Pédéblogueur depuis 2003 (178 av LLM).

La honte et la peur chevillées au corps

Au début, j’ai commencé à écrire un truc vers le 17 mai pour cette journée mondiale contre les LGBTphobies, mais qui célèbre aussi cette année les 10 ans du mariage pour tous. Bon c’est chouette tout ça hein, mais j’ai commencé à écrire et ça ressemblait carrément à autre chose. Alors comme d’habitude dans ce cas là, je m’arrête en cours. Je note l’idée, et j’attends que ça passe. J’attends juste pour voir comment évoluent mes idées, et ne pas me mettre forcément dans l’obligation de parler de l’actualité de manière synchrone.

Le titre du post est lourd de sens, et il paraîtra peut-être exagéré ou dans l’emphase, mais alors vraiment pas du tout croyez-moi. ^^ Eh oui, si je pense à mon rapport à mon homosexualité ce sont les premières choses qui me viennent à l’esprit. Et cela fait tellement longtemps que cela dure, que ce sont sans doute les “trucs” que j’ai ressenti le plus dans ma vie. Surtout que moi je suis un vieux vieux pédé, un vrai de vrai Kinsey 6, j’ai le souvenir de mes premiers émois à la maternelle, et ça n’a jamais cessé depuis. Et avec cela, est venu le premier sentiment de malaise, d’anormalité puis naturellement de honte. La peur n’est que la résultante naturelle que ressentira l’olibrius du groupe, quand ils verront la différence, et qu’ils se repaîtront de la victime aussi facile qu’évidente.

La peur d’être repéré, la peur d’être agressé, la peur d’être honni, ça n’a jamais cessé. Et même si “it gets better“, c’est tout à fait vrai et avéré, cette épée de Damoclès de la honte et de la peur est toujours là, et le couperet tombe encore très régulièrement. C’est fou quand on y pense car je suis plutôt privilégié dans le genre, mais je n’ai qu’à me rappeler encore mon malaise quand je parle de mon mari à des collègues (je me force à le faire de manière tout à fait symétrique à la manière dont on me rebat les oreilles de ses enfants et ses conjoints au boulot), ou bien des micro-agressions lorsqu’on est sorti pour Halloween la toute dernière fois ou encore à la Marche des Fiertés de Paris en 2021. Et je ne donne jamais la main à mon mari dans la rue, car j’ai peur. Je ne montre aussi jamais trop d’affection pour les mêmes raisons, même si je craque de temps en temps avec un petit geste tendre discret (je me déteste d’avouer cela, alors que je suis tellement flambloyante dans ma tête, hu hu hu).

Et quand je vois cette réaction à ce chiffre incroyable à propos des injures aux LGBT, je pourrais juste dire la même chose. Je ne connais pas une seule personne LGBT qui n’ait pas été insultée une fois dans sa vie à ce propos, pas une.

https://twitter.com/thyhee/status/1661080630275260440?s=46&t=BcYErbezJKpZorCvaF4LWA

Purée, à 47 ans (dans une semaine), et marié avec mon mec, voilà où j’en suis. ^^

Je ne boude pas non plus mon plaisir, et vraiment je suis heureux des grandes améliorations sociétales réelles pour les minorités et d’un vrai recul massif de l’homophobie. Néanmoins, on est encore loin du havre de paix auquel on devrait tous naturellement aspirer. Et quand je vois les chemins de croix, sans doute plus ou moins sincères, des quelques politiques qui renient leurs anciennes antiennes de la Manif pour tous, je suis à la fois plutôt content de ces nouvelles professions de foi, et en même temps je ne peux pas pardonner cela, pas à eux.

Il y a eu aussi tous ces discours affreux qu’on entendait à l’Assemblée Nationale. Et ça rajoutait encore à ces manifestations, dont on pouvait au moins dire qu’elles étaient surtout le fait de cul-bénis qui se réveilleraient dans quelques années avec une gueule de bois. Mais à l’Assemblée Nationale, c’était des députés qui nous chiaient à la gueule à longueur de journée, et qui luttaient ardemment contre nos droits, contre l’égalité, contre la fraternité. Les touites sont encore là pour témoigner de mes émois de la décennie écoulée.

Il y a eu le soulagement de la loi, et le bonheur du mariage bien sûr. Et puis contre toute attente, il y a eu aussi cet événement banal mais qui m’a énormément marqué.

C’était pourtant en 2018, après quatre ans de mariage, et c’est un pull à capuche tout con mais ça m’a littéralement foudroyé de peur. C’est dire si j’ai été touché par ces manifestations de haine d’il y a dix ans, et qu’est-ce que ça a pu être pour des personnes plus jeunes et plus fragiles ? En écoutant une émission de France Culture il y a quelques jours à propos de Melanie Klein, j’ai été surpris de la définition de la position schizo-paranoïde qui était expliquée par les invités, avec notamment une anecdote d’un des deux psychiatres. Je trouve que ça décrit assez bien mon effrayante stupeur et cette crise aussi viscérale qu’inattendue. C’est dire comme je suis encore un gros pétochard, je vous le dis la honte et la peur

Et cela c’est parce que j’ai survécu, car même aussi veule que je me décris aujourd’hui, ce qui ne m’a pas tué m’a en effet rendu plus fort. Ce n’est pas le cas pour Jamey, et tant d’autres, et aussi pour Lucas il y a quelques mois. J’ai été bouleversé par le suicide de ce tout jeune garçon de 13 ans… Mein gott, 13ans et désespéré au point de s’ôter la vie. Je ne suis jamais allé au-delà de l’envie de mourir, juste cela. Mais j’en ai le souvenir prégnant en fin de primaire et au début du collège, donc cette possibilité de schéma de pensée m’est douloureusement familière. Là c’était en plus un minot qui assumait son homosexualité (comme je le ferais peut-être si j’étais né en 2010), et qui souffrait de l’opprobre de son collège au point de passer à l’acte. Que faut-il de plus pour considérer que nous vivons encore dans une société vénéneuse et viciée, et que les améliorations sont encore trop locales et uniquement au bénéfice des survivants ? Je partage aussi ci-dessous deux excellents articles de mes camarades que j’aime d’amour confraternel. ^^

Mais bon, je ne peux pas finir sur une note si ténébreuse. Alors voyez plutôt un truc dont on n’a pas entendu du tout parler, mais qui moi m’a fait du bien. Un truc symbolique certes, mais les symboles font beaucoup de choses selon moi. En l’occurrence, c’est la Monnaie de Paris qui vient de sortir une pièce commémorative pour les 10 ans du mariage pour tous. Et ce n’est pas comme mes petites pièces “médaille” Naruto ou Yubaba, là c’est une vraie pièce de 10 euros en argent. Que cette institution, en réalité une des plus anciennes entreprises du monde (créée par l’édit de Pîtres de Charles le Chauve en 864 ^^ ), édite cette pièce officielle, eh bien j’ai trouvé ça chouette et vraiment notable, on grave sur les pièces des moments historiques marquants et signifiants (ou pas), des trucs qui ont changé la donne (ou pas). Alors je me la suis achetée en souvenir, et pour une fois je salue un message sans hésitation polie ou métaphore proprette, sans clause de conscience ou fachistes humiliés, non c’est exactement ce que ça doit être. Il était temps.

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  • Matoo tu as raison malheureusement sur tant de points et cela est vraiment injuste et triste mais terminons sur cette note d’espoir doté d’un beau symbole ces pièces qui célèbrent les 10 ans de mariage pour tous une sacrée belle victoire contre tous les gens cons et méchants non,!!!
    Vue que Socrate le disait si bien” La bêtisse et la soeur jumelle de la méchanceté ” mais il y a aussi de plus en plus de gens ouverts à la communauté LGBT et ils ne le sont pas et que j’en rencontrent je fais de mon mieux pour les faire changer d’avis pas à pas même si je sais que le chemin et le combat sont encore longs donc ne jamais jamais céder.
    Truly yours indeed always .
    British

  • Si de mon côté il n’y a jamais eu de honte et de peur, je te rejoins sur la violence des débats sur le mariage. Je crois que nous sommes nombreux à avoir ce syndrome post-traumatique du refus de pardonner à ces politiques qui déclarent la révision de le position de l’époque. Je sais que de mon côté, ma colère ne s’apaisera qu’à la vue de leur tête sur un plateau doré.

    • Merci pour ce billet. Ici aussi on ne manifeste jamais de tendresse dans la sphère publique, jamais. C’est Marseille et c’est pas follement gay-friendly. Ohlala quand je repense à cette clause dégueulasse de conscience que pouvaient brandir les maires pour ne pas marier des couples gays, et dire que même Hollande, pas le plus rétrograde des hommes politiques, a justifié cette clause.

  • Oserai-je avouer que je ne m’attendais pas du tout à lire que tu gardais ces sentiments de peur en toi…
    Depuis le temps que je te lis, et ayant eu le bonheur de te rencontrer, tu me paraissais si bien dans tes baskets, si emblématique de la “gay-tude” assumée et sereine…
    Comme quoi…
    :bisou:

    • Ah ah, bah oui tu vois c’est un paradoxe que j’assume, mais qui est un combat de tous les jours justement pour faire émerger cette gaytitude, et lutter contre ces démons. :gene:

  • Je connais très bien la méchanceté et la cruauté, et la honte aussi hélas, mais ma peur est différente de la tienne: je n’ai pas peur qu’on m’agresse physiquement, juste qu’on m’ignore, qu’on pense que je ne vaux rien, que je sois invisible, que je ne vaille effectivement rien. Il y a dix ans, deux personnes dans ma famille ont dit des choses que je ne pardonnerai jamais à propos du mariage pour tous, et une personne a participé à ces manifestations ignobles, et j’en suis désolée, pour toi et pour tous ceux qui souffrent d’être juste un peu différents. Gros gros bisous!!! (Et tu n’auras pas besoin d’avoir peur de moi quand on se rencontrera, sauf que si t’es pas sympa je te filerai un coup de béquille, donc fais gaffe un peu quand même :D )

    • Oh oui, je pense qu’on nourrit tous ce genre de sentiments, et avoir “honte et peur” peut avoir plein plein de sources différentes. Disons que dans le cas de l’homosexualité, cela revêt un caractère assez systémique (mais il existe bien sûr des exceptions). Si on dézoome, juste le fait d’être une “femme dans un monde d’hommes” te projette déjà dans une bonne dose de “honte et peur” primale et internalisée à mon avis. ^^

  • Matoo,
    Deuxième lecture de ce billet…
    Deuxième fois que j’ai les larmes aux yeux et le cœur serré d’émotions…
    Je n’ai pas assez de mot pour te les dire.
    Mais merci d’être toi ! Et d’oser le partager avec cette vérité et cette pudeur !
    :amitie: :amitie: :amitie:

  • Comme je vous comprends. Ma peur à moi c’est celle d’une mère, quand mon fils m’a révélé son homosexualité, parce que je savais qu’il courrait de gros risques.
    Une fois qu’il me l’a dit (écrit plutôt) il s’est senti libéré. En revanche il avait du mal avec les copains d’enfance, pour lui c’était difficile de le leur dire.

    • Au-delà de ces difficultés de coming-out et de relations avant-après, j’évoque plutôt les sentiments qui continuent à me faire souffrir alors qu’en toute logique je devrais en être libéré. Mais ces sentiments sont très profonds, et liés à un carcan de société ancré depuis très très longtemps.

  • Je crois que la partie “peur” et “honte” a été surtout incarnée dans la partie “refoulée” de mon homosexualité dans mon enfance. A partir du moment où c’est devenu un truc “conscient”, à 15 ans, je ne me suis jamais fait honte. J’avais conscience du stigmate social lié à une sexualité minoritaire, mais à aucun instant je ne le trouvais justifié, ni n’ai essayé de m’en départir, par exemple en “donnant le change” en sortant avec des filles ou en donnant l’impression de m’intéresser à une sexualité hétéro. Je trouvais l’homophobie “spontanément” con, même si j’imagine que c’était surtout le résultat d’un travail de maturation très lent sur le sujet pendant que je refoulais mon identité et mon orientation sexuelle pendant l’enfance.

    Bref, l’hostilité extérieure reste un frein très puissant dans nos vies, hélas. Et elle laisse des traces en nous longtemps après, je te le concède. :coeur:

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