Iwak c’est Inktober with a keyboard, donc tout le mois d’octobre : un article par jour avec un thème précis.
J’ai commencé à bosser en 1997, c’était à un moment assez charnière je crois car pendant quelques semaines, je n’ai pas eu un PC à moi. A l’époque, on se partageait encore ce genre de matériels, mais très rapidement (vraiment de l’ordre de quelques semaines) j’ai eu mon ordinateur juste pour moi. Et le plus fou, c’est qu’on avait des emails qui étaient également partagés, car c’était le début des emails en entreprise, souvent c’était par service ou département. Donc le monde marchait AVANT les Internets !!! Et je me rappelle que deux mois après mon arrivée, hop, tout le monde avait internet sur son poste et un email à son propre nom. C’était carrément précurseur, et j’ai dû attendre des années avant d’avoir la plupart de mes proches avec un accès à un email pro ou perso.
On arrivait à bosser, principalement parce que les communications papiers et le courrier étaient encore de mise, et qu’on fonctionnait donc sur un rythme tout autre. Et encore, tout s’était grandement accéléré avec la généralisation des fax, et on aurait bien du mal à s’en passer même dix ans plus tard. Mais même avec des fax, on avait une latence dans les communications qui donnait une cadence sans commune mesure avec la manière dont on travaille aujourd’hui.
Je me rappelle que tout était excessivement anticipé sur des semaines et des mois, en comptant les allers-retours par courrier ou fax, les réunions pour lesquelles il fallait se déplacer et organiser ces déplacements, des conférences téléphoniques balbutiantes où on se rassemblait autour d’un téléphone avec haut-parleur qui crachotait. Tout cela faisait que l’on attendait de personne qu’il ne réagisse au quart de tour, car ce n’était simplement pas le “rythme de la vie professionnelle”.
Nous sommes arrivés dans une ère de l’opposé complet mais genre à 180°. On est aujourd’hui connecté les uns aux autres, et on reçoit des demandes qu’il faut satisfaire dans les quelques minutes, voire moins. Cela demande aussi une certaine anticipation, mais en réalité c’est juste un engrenage infernal, et une constante attention à ces messages instantanés qui ne laissent plus un répit, il n’y a plus de latence, il n’y a plus de rythme, il n’y a qu’un flot ininterrompu nécessitant une attention continue.
Et cette nécessité est contrebalancée par des technologies qui, ironie du sort, nous habituent de plus en plus à ne plus savoir nous concentrer plus de trois minutes sur un sujet. La consultation des sites web, et le clic de liens en liens, ou l’appui d’app en app, nous a reconditionné pour ne plus nous permettre de focaliser notre attention, puisqu’elle n’est qu’en attente de la prochaine quantité granulaire d’information à consommer, avant le prochain clic.
Et c’est la même chose pour les contenus qui donc sont de plus en plus concis et simplifié, c’est un cycle sans fin qui à la fois se nourrit et génère ce zapping inconsidéré, débilitant et menant à l’entropie de toutes nos existences. (Oui carrément. ) Et il y a en plus ce phénomène de polarisation des contenus, que j’ai maintes fois évoqué mais qui vraiment m’interpelle énormément. Il est le corollaire de cette accélération de nos vies “communicantes”, car pour faire réagir, pour marquer et pour susciter un contact, un avis, une note, un renvoi, il faut agir sur les sentiments, et sur les instincts générant les stimuli les plus efficaces pour faire bouger ce pouce sur cet écran.
Et donc on est dans cette culture de l’immédiateté et du “clash”, dans l’information qui génère du sentiment, positif ou négatif, et surtout ultra-positif ou ultra-négatif, celui qui est le plus rémunérateur à l’échelle des régies publicitaires, qui ont clairement accompagné la mutation de nos comportements récents. Encore tout à l’heure, je l’ai constaté dans l’émission “Les informés” de France Info, où deux journalistes exposaient une vision très intéressante, posée et dépassionnée, du conflit israélo-palestinien actuel. Et donc le présentateur a cru bon de faire intervenir un réalisateur de film et producteur de comédies musicales pour donner son opinion très haute en couleur et passionnelle sur le sujet. Inutile de dire qu’il était dès lors impossible de débattre et de confronter des idées, mais évidemment l’atmosphère était beaucoup plus tendue, et je suppose que ça permet à plus d’auditeurs de ne pas décrocher, car ils attendent des réponses autant polarisées et vecteur d’autres émotions. Bref le degré 0 de la réflexion est érigé en standard d’éditorialisation de la vie politique sur le service public.
Ces tensions terribles s’expriment aussi couramment maintenant sur les réseaux sociaux, et ce qui est dingue c’est que nous sommes les acteurs très directs de ces affreuses pratiques violentes et anémiantes. Je suis surpris d’ailleurs qu’on colle à des médias (ie Twitter) des pratiques ou des ambiances, et qu’on pense qu’on pourra trouver une herbe plus verte ailleurs (ie Mastodon ou Bluesky). Comme j’en parlais précédemment, on trouvait à l’époque des blogs les mêmes oppositions, et les mêmes tensions très véhémentes qui n’étaient que le début de ce que nous vivons pleinement aujourd’hui.
Il se passera la même chose sur les autres réseaux sociaux s’ils sont motivés par la pub, l’audience ou ouverts à tout le monde. Et si c’est plus calme aujourd’hui, c’est soit par rapport à une barrière technologique, et donc discriminante, à l’entrée, ou l’attrait d’une nouveauté encore seulement prisée par quelques nerds et geeks.
Bref, on est pressé. Et l’article en question prouve par sa longueur indigeste mon envie renouvelée de lutter, à mon niveau, et à ma manière, pour des Internets plus posés, réfléchis et chiants, mais libérés et émancipateurs à leur tour.
Je ne suis pas passéiste mais c’était quand même chouette le rythme d’avant qui nous permettait de penser et réfléchir.
Et tu crois que ça va finir par exploser ? Qu’on reviendra à quelque chose de plus serein ?
Je tire énormément mon épingle de cette période étant un énorme geek très bien adapté à ce rythme d’infos en “streaming”, mais je trouve juste ça ultra fatigant et rendant tout le monde dingue au final. Ça ne me dérangerait pas trop qu’on reste comme ça si seulement on pouvait dépolariser tout le reste. Je pense que ça suivrait même au bout d’un moment. Allez espoir !!!
Je ne suis sur aucun réseaux sociaux, je voyage seulement sur les blogs. Mon tel a 13 ans que je recharge tous les 10 jours . Il est au fond du sac meme la nuit .Je me promène beaucoup à pied et nombre de fois où j’ai dû m’écarter pour ne pas être percutée par une personne le nez dans son tel comme si sa vie dépendait de l’immédiateté de sa réponse, de son ‘j’aime’ ou autre .
Je trouve votre texte particulièrement intéressant . Il faut vivre avec son temps mais celui d’avant était tout de même pas mal du tout
Selon moi, on ne peut pas être aussi catégorique avec “c’était mieux avant”, car on ne peut vraiment pas dire que tout était mieux avant, comme tout serait moins bien aujourd’hui. C’est heureusement plus subtil, et je trouve que plein de choses sont meilleures, notamment le fait d’avoir Internet et des smartphones, jamais je ne voudrais repartir avant ça. Et donc j’imagine qu’il faut accepter le lot de choses négatives qui viennent avec. Donc je n’ai rien contre aujourd’hui, sinon certains usages. Et ce temps d’avant était clairement vachement bien, je ne suis juste pas certain qu’on puisse le qualifier de “meilleur” dans l’absolu.
Ici la personne-qui-commente-en-décalé
Je crois que le “mieux avant” ou pas, c’est un faux problème. Ce qui avait lieu “avant”, en matière de boulot, c’est effectivement comme tu l’as souligné une question de rythme et de “temps de réponse”. Moi qui suis d’une vieillesse insigne, j’ai bossé dans les années 70 chez un affréteur fluvial et routier où chacun.e de nous avait 3 téléphones sur son bureau… et un “télex” dans le couloir pour tout le monde. En pleine campagne de céréales, lorsque les grains arrivaient au port de partout à toute berzingue, et où camions et bateaux faisaient la queue pour charger, on atteignait des sommets de vélocité avec cet outillage antédiluvien. Le sommet fut atteint lorsque la chef routière aboya dans son téléphone “Allô? C’est vous? C’est moi. Alors ça marche, au-revoir” puis raccrocha en demandant à la cantonnade: “qui j’ai appelé, là??”. Mais quand ça c’était fini, le boss nous donnait à toustes une demi-journée de congé gratos, à la cool, non comptabilisé. Certes, c’était discrétionnaire et paternaliste, mais enfin on se refaisait une santé. Ensuite le rythme du boulot redevenait humain. On bossait plus d’heures (44 heures hebdomadaires) mais sans pression ou presque. Et surtout, quand on quittait le taf, on ne l’emmenait pas chez soi en rentrant…
Voilà. C’était pas mieux, c’était autrement. Mais j’ai connu les deux : le travail lent, le “temps long” comme aurait dit Fernand, et l’hystérie mail+smartphone+connexion 24/24 (il y a 15 ans, avant ma prise de retraite) et c’était déjà insoutenable. De chez l’affréteur, le samedi midi on sortait éreinté.e.s, mais de mon dernier taf je… ne sortais pas.
Juste encore 2 lignes pour recommander mais alors TRES TRES chaudement “A la ligne, feuillets d’usine”, de Joseph Ponthus. Ma CLAQUE littéraire, poétique et politique de ce mois-ci. Sa lecture devrait être obligatoire.
La série Black Mirror va finir par nous rattraper un jour…
Oh mais c’est déjà fait, à maints égards on a des exemples probants !
Une fois de plus, par la pertinence de ta réflexion, tu confirme pourquoi, depuis tant d’années, j’ai plaisir et joie à te suivre.
Effectivement, penser et débattre ne semblent plus possibles dans un monde du like et du dislike. Une réflexion comme la tienne conduit à une humaine résistance nécessaire parfois.
Amitié, Matoo
Plein de bises à toi mon chou !!!
Dans une certaine mesure, nous avons un peu de contrôle là dessus. Sans prôner la retrait des réseaux sociaux, j’ai trouvé en le faisant pour moi un certain équilibre.
Au risque de m’isoler un peu du monde, j’ai pu me recentrer sur ce que je vis, et non pas sur la pensée constante de le partager. Et je m’intéresse à ce que disent mes amis, pas à ce qu’ils postent avec filtres et “ultra-selection du contenu qui fait croire qu’on a un super vie”.
Et je ne crois pas être un techno-réticent
En plus ça m’a donné une réplique fracassante:
– T’as Insta?
– Non, j’ai une vie
C’est juste dommage de ne pas pouvoir faire un usage raisonnable de ces réseaux, mais c’est à chaque fois un vrai cercle vicieux. Je me reconnais malheureusement trop bien dans les travers que tu décris.
Pareil : pas mieux avant. Différent mais pas mieux. Je préfère aujourd’hui
Mais c’est fatigant de ne jamais rien planifier un peu sérieusement, comment construire quelque chose de valable sans s’arrêter pour prendre du recul et réfléchir?