MatooBlog

Pectus est quod disertos facit. ∼ Pédéblogueur depuis 2003 (178 av LLM).

L’Homme-dé

Voilà un roman vraiment iconoclaste ! Un truc inclassable, un OVNI littéraire… Au fur et à mesure de ma lecture, j’ai alternativement aimé et détesté le bouquin une bonne dizaine de fois, et j’avais rarement autant été lunatique. Ce livre de Luke Rhinehart (c’est un pseudonyme) se présente sous la forme d’une autobiographie d’un psychiatre. Ce dernier (Luke Rhinehart donc) est un homme qui a du mal à savoir s’il est heureux, et ce à quoi il doit aspirer dans la vie. Or il tente un jour de se donner des choix, des alternatives, et de les jouer aux dés. Dès lors, et de plus en plus fréquemment, il va obéir aux dés et construire une nouvelle philosophie/religion, qui consiste à baser les choix de l’existence sur le hasard. Il devient l’Homme-Dé, et il tente alors de convertir d’autres brebis égarées, ou au contraire bien rangées dans le troupeau.

Il est important de savoir que le livre a été écrit au tout début des années 70, et qu’il bénéficie donc des points de vue et gimmicks de l’époque. Libération sexuelle, transitions sociales, émergence de la « psychologie de masse » etc. Le livre commence comme un roman, et puis on comprend progressivement que la manière même dont il a été rédigé, et son essence même, est liée au Dé. Cette biographie met en scène le psychiatre avec sa famille, ses amis et son environnement professionnel, c’est-à-dire le milieu psy de New York.

J’ai trouvé super connes certaines parties du bouquin où je n’accroche vraiment pas aux pratiques du gars, et puis cela donne au récit un ton trop peu crédible, ni à l’intrigue, ni aux thèses du médecin d’ailleurs. Mais en général, quelques chapitres plus tard, il s’expliquait sur ce qu’il vennait de faire/écrire, ou bien il mettait en perspective ses actes avec une certaine clairvoyance ou lucidité qui me confondait. Donc je suis bien embêté pour dire ce que je pense de tout cela. Clairement, cette manière de jouer sa vie aux dés est une hérésie par rapport à la manière dont nous sommes élevés et dont la société fonctionne. Cela n’est possible que pour des gens marginaux, et il faut avoir eu un développement précédent stable, pour y ajouter cette touche stochastique. Mais l’auteur prouve sans cesse le contraire en étendant ses thèses, en faisant participer ses enfants et en jouant les prosélytes.

Et puis cela va loin, les alternatives qu’on se choisit aux dés peuvent inclure le viol ou l’assassinat, tout est possible, du meilleur au pire. Pour l’auteur c’est une manière de reconquérir une certaine liberté, en devenant un être schizoïde, et en changeant de personnalités selon ce que le dé indique (mais l’Homme-dé décide des 6 choix…).

Les dés ne sauvent que les paumés. La personnalité normale, assimilée, résiste à la variété du changement. Mais le névrosé, malheureux, partagé, contraint et impulsif se trouve libéré de sa prison de contrôles et d’équilibres. Il devient en un sens une « personnalité autoritaire », mais sans obéir à Dieu, au père, à l’église, au dictateur ou au philosophe. Il n’obéit qu’à sa propre imagination créatrice – et aux dés. « Si seulement le simple d’esprit persistait dans sa folie, dit un jour Yossarian, il deviendrait l’homme de Dé. »
Mais ce n’est pas facile ; seuls des saints et des fous peuvent essayer. Et seuls des fous y arrivent.

Luke Rhinehart perd sa famille, ses amis, et sa réputation, avant de tout reconquérir puis les perdre à nouveau, le tout étant jaugé par rapport à ce petit cube décideur, et démiurge suprême. Toute une galerie de personnages secondaires complète cette surprenante démonstration d’anticonformisme. Et dans cette anarchie se dessine d’autres logiques, d’autres plans, immédiatement réduits à néant par un jet de dé. Dingue !

Tour à tour, charmé, agacé, lassé, souriant ou baillant, je suis passé par toutes les émotions en lisant cet ouvrage. Y’a un truc, et je comprends qu’il ait à ce point défrayer la chronique à l’époque de sa sortie. J’ai trouvé une surprenante et passionnante référence à ce livre dans un dossier de Flu consacré à la CyberCulture. Et en effet, il y a un moment du bouquin où j’ai pensé aussi à cette manière de considérer l’homme épanoui à travers des personnalités disparates, comme il est professé dans le bouquin, comme étant une « réalité » aujourd’hui. L’auteur prône une multiplication des « moi » à une époque où l’internet n’existait pas, mais aujourd’hui comme le dit Flu :

Finalement, la schizophrénie hi-tech n’est peut-être qu’un phénomène de compensation pour les générations désabusées de cette fin de siècle. J’ai une vie de merde mais je suis le maire virtuel de Montmartre dans le Deuxième monde, le Paris en 3D recréé par Canal +. Je suis un looser mais j’affole les Californiennes branchées quand je pointe mon accent frenchie dans les M.U.D. Bon, naturellement, j’en rajoute un peu sur moi, j’idéalise un peu mon quotidien.

[…] Dans les deux cas, la frustration suscitée s’accompagne d’une dénégation de l’individu réel, rappelé à sa nullité et à sa pauvreté. L’immersion dans les mondes virtuels ressemble dès lors à une distanciation vis-à-vis d’une réalité violente, sur le mode du rêve (façon Belmondo dans Le magnifique ?) ou de l’aliénation droguée (façon Trainspotting). .

Bref, un bouquin qui ne m’a pas laissé indifférent, même s’il a été très laborieux à lire. Cela vaut vraiment le coup de s’en faire une idée ! (C’était un des bouquins de la liste de Monsieur CRE.)

L'Homme-dé - Luke Rhinehart

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  • Tiens, c’est une i-dé ! Je vais essayer de faire pareil. Mais un lancer de pièce, à pile ou face, pourrait suffire pour dé-di-dé de la plupart de ses comportements ; ça pourrait même être marrant, du genre le matin en se réveillant : pile, aujourd’hui, je suis hétéro, face, je drague les mecs ! …:mur:

  • Mon cher Matoo, tu sembles oublier dans ton commentaire que notre société fonctionne précisément sur ce principe des dés : le chiffre d’affaire de la Française des jeux, l’acharnement que mettent les villes à décrocher la concession d’un casino – c’est un Havrais qui t’écris !!! – , l’immense popularité de toutes les “vedettes” de la télé qui n’ont abandonné la médiocrité de leur vie anonyme que grâce à un jeu (loft story, star ac’, koh lanta, etc…), tout cela prouve que nous vivons dans un monde où de nombreux destins sont joués aux dés… :berk:

    A côté de cela, le talent, le travail, le mérite, le dévouement aux autres, ne sont pas si bien récompensés : en vrac (et que ceux que j’oublie n’hésitent pas à se manifester !) les infirmiers, les pompiers, les urgentistes, les gars de l’EDF qui bossent le 25 décembre parce qu’il y a une panne dans le huitième arrondissement, les profs de lycées de banlieue (ben oui, quoi ! J’ai bien le droit, non ?), les aide-médicales qui donnent à bouffer aux petits vieux parkinsoniens, les… ne sont considérés depuis longtemps que comme des tâcherons. :-(

    Dans la grande loterie de la vie, Matoo, et s’il n’y avait pas de gens comme toi, ;-) les règles du jeu, même si elles sont injustes, ne choqueraient personne !

  • On notera avec intérêt la présence de l’adjectif “stochastique”, grâce auquel j’ai un peu de gymnastique aujourd’hui en sortant le Larousse de l’étagère.

  • Ca donne moyennement envie, présenté comme ça. On sent un narrateur-psychiatre très fantasmé par l’auteur; et qui prône une théorie bien peu compatible avec sa profession. Même lorsque l’on s’affirme anti-psychanalyse, on est obligé (dans la profession) de considérer que le hasard pur n’existe pas (et pour les anti-psychanalystes, anti-psychologie, ce seront les neurotransmetteurs et autres neurohormones qui joueront le rôle que l’on attribue à l’éducation et à l’environnement.)

    Enfin, je ne peux m’empêcher de redire pour la énième fois que la schizophrénie (la schizoïdie comme tu dis Matoo) ne relève pas de la personnalité multiple !

  • Intéressant mais je trouve dommage que ce soit un psy qui ait développé un truc aussi aliénant.

    D’un autre côté, ce doit être drôlement reposant de ne plus avoir à se poser aucune question. :petard:

    Faudrait proposer ce truc à notre président pour gouverner tiens, je suis presque sûr que ça ne changerait rien… :dodo:

  • Un de mes bouquins cultes, que j’ai dévoré dès le préambule passé. Sans doute parce que je n’y ai pas accordé toute la crédibilité que tu y cherchais. Il faut peut-être plus le voir comme un roman de SF. Une uchronie.
    Et je viens de voir que le bonhomme (qui n’est absolument pas psychiatre) était toujours en activité et avait écrit d’autres bouquins (mais que font les maisons d’édition françaises !), dont le dernier “Jesus and George” raconte la réincarnation de Jésus dans le corps de George W. Bush.
    Et pour répondre à Churchill, je crois que la théorie du Dr Rhinehart n’a rien à voir avec le hasard, mais est plus une espèce de déterminisme assisté.

  • churchil je ne sais pas si tu as lu le livre en tout ca ssi oui re lis le car notre société ne fonctionne pas comme les dés mle font
    les destins des personnes qui font des jeux télévisés et autres ne lancent pas les dés, ca n’a rien à voir avec ca.
    je ne vois pas le rapport en fait…parceque lancer les dés c’est poser des possibilités que les dés choisissent
    (selon ce que dit luke rhinehart.

  • j’ai lu ce livre en 2000. et je l’ai trouvé carrément fascinant. il m’a même influencé dans mes choix de vie pour lesquels j’ai fait appel aux dés. jeles lançais et ils décidainet pour moi. je crois que je vais me remettre à jouer aux dés de la vie…

  • On parle de psychanalise. On parle même peut être un peu philosophie. Tout ça pour donner un pretexte à quelque histoire de cul bidon.

    On peut le faire facilement même moi : “Dans son costume de tragédien le métaphysicien était très beau. Il le retira voluptueusement. En dessous son costume d’Arlequin. Il faisait rire la foule. Son exhibition fut totale. Cul-cul-cul-levrette-jute-dans-la-bouche.”

    C’est dommage car le thème était plutôt original.( Ah non j’oubliais – je suis fou, schyzophrène, je peux tout me permettre. Surtout les déviances sexuelles.- )

    Et ressemblait un peu à certaines phases transcendantes de mon égo boursoufflé.

    Comment ça je ne suis qu’une pourriture non euclidienne qui perçoit trop d’allocations pour mes milles rejetons?

    Bande d’enfoirés.

    Ouais je suis intolérant. Nikesamèrelalittérature.

    Le Torche-Cul.

  • Bonjour,

    j’ai lu ce livre pour la première fois à la fin des années 70 et je m’y suis tout de suite mis. Depuis près de trente ans (déjà trente ans !!!) je mets en pratique ce systême de dé-vie. Ce ne fut pas toujours une partie de plaisir mais en tout cas, celà m’a donné l’occasion de vivre des choses qui sans celà me serainent restées fermées.
    Je ne conceillerai à personne d’en aire autant mais je n’en dissuaderai pas non plus qui me demanderait mon avis.
    En ce moment, je traduis ” The book of the die ” en français et compte en éditer une version multimédia début 2008. Pour les anglophones, je le conseille vivement.

    Amicalement,

    l’hexa-man

  • Je rigole car il me semble que souvent est exprimé ici une sorte de crainte…en oubliant que c’est a vous de choisir les options. Moi je trouve le bouquin a pisser de rire, gonflant, génial…Et….et…bien entendu expérience tentante .

  • Et apparemment il aurait été adapté en film, mais le résultat du scénario était tellement déroutant qu’il n’as jamais été financé.
    Le concept est bon, mais le bouquin semble avoir mal vieillit non?

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