Il s’agit du premier bouquin de Chloé Delaume, une journaliste et auteure à l’histoire personnelle difficile, et qui verse là largement dans l’autofiction. Elle raconte donc en partie des choses vécues, mais crée avec « Les mouflettes d’Atropos » une oeuvre d’une absolue singularité. En effet, le texte est difficile à rapprocher de quoi que ce soit que j’ai lu avant, sinon peut-être de certains auteurs d’autofiction que j’ai pu aimer, comme Nicolas Pages ou Guillaume Dustan (dans le livre du nom de l’auteur précédent !).
« Atropos » est le nom de l’une des trois Moires, les soeurs qui filent les existences des hommes dans la mythologie grecque. Lachésis donne le fil, Clôtho le file et Atropos le tranche. Mais cette référence n’éclaire pas vraiment le titre du bouquin, à part si l’on imagine que couper le fil avec des moufles ne doit pas être pratique ! Or, le livre a pour narratrice et héroïne une jeune femme sur le fil de son existence…
J’ai eu beaucoup de mal à rentrer dans le roman, car il faut se faire à sa manière de raconter, à son style, à son ton et à ce qu’est en substance le bouquin. Mais une fois habitué au flot de ses paroles, une fois alpagué par cette étrange mélopée, et proprement hypnotisé par son flux logorrhéique, j’ai vraiment aimé. La chose qui m’a rapidement accroché c’est son écriture. Je trouve à Chloé Delaume un grand talent de hâbleuse et de bretteuse dans un texte qui se présente quasiment comme un soliloque intérieur. Elle raconte un épisode particulier de son existence, le moment où elle a été hôtesse dans un bar (à putes) et où elle s’est prostituée.
Il est aussi difficile de rentrer dans le texte, car il n’y a pas vraiment d’histoire ou pas de fil apparent. C’est un discours construit, et tour à tour déconstruit, où l’écrivain parle de son existence et digresse largement sur les thèmes qui l’intéressent. Le tout est servi avec une plume extraordinaire, un style puissant et original, à l’incroyable musicalité, et surtout ce qui m’a particulièrement plu un vocabulaire très étendu et riche. J’ai aussi été très sensible aux mélanges de niveaux de vocabulaire et à l’utilisation extensive d’allitérations, qui sont deux choses que j’aime beaucoup. Elle use en effet d’un lexique d’une richesse inouïe pour ensuite placer une remarque graveleuse, ou bien invente des métaphores sublimes pour évoquer des actes sordides. Ah vraiment, elle véhicule ses idées et ses « images » avec une véhémence et une violence qui ne laissent ni insensible, ni indemne.
Elle parle de la prostitution, du sexe, de ses relations avec les hommes, les clients comme l’ex petit-ami, de son existence et en général, de sa petite philosophie personnelle. Ses opinions sont donc exprimées par des assertions qui sont comme des rafales de kalachnikov, qui sont sans appel et qui peuvent choquer de par la crudité des expressions, ou bien la prosaïque dureté des faits rapportés. Mais lorsqu’on commence à « l’écouter », on est captivé par son charisme, sa folie et le rythme induit dans son style. Elle ajoute, en effet, à ses phrases de curieuses onomatopées, des paroles de chanson ou bien des répétitions de mots qui parfois gênent la lecture, mais ont une incidence singulière sur son phrasé et sa narration. Et puis, j’ai été troublé (agréablement) de lire toutes ces paroles de Thiéfaine, qui émaillent le texte du début à la fin, et illustrent parfaitement ses propos.
Ce n’est pas un livre qui se lit facilement, et je comprends qu’il puisse heurter la sensibilité de certains lecteurs (dans le fond, comme dans la forme). Mais je crois qu’il ne faut pas passer à côté d’une expérience pareille, et il s’agit dans ce genre littéraire d’une grande découverte pour moi. Et quel talent d’écriture, c’est un bonheur !
Je me demande encore comment tu fais pour lire autant …
1 heure de transport le matin, idem le soir… Et un Matoo totalement absorbé ! :book:
je trouve que dans ces cas là, au lieu/en plus de ton blabla habituel, tu devrais nous mettre un extrait!
Bizarre… A lire ta critique, j’ai l’impression que cela ressemble furieusement aux “Trois Parques”, de Linda Lê. Va falloir que je regarde.
Je ne suis pas très sûr, chou, mais est-ce que tu n’intervertirais pas Clôtho et Lachésis ? Je crois que c’est Clôtho qui met la quenouille sur le rouet et Lachésis qui file…
Pascal> Un simple double-clic sur le mot, et hop t’as le dico qui te répond ! A priori, je ne me suis pas trompé…
Huhu, magique le coup du dico ! Effectivement tu as raison, Clotho est bien la fileuse ; mais c’est bien Lachésis qui décide du destin de chacun, c’est de là que vient mon erreur… Plus d’infos par là, pages 96 et suivantes :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k25485
On apprend tous les jours grâce au blog de Matoo !
Oui moi aussi j’ai toujours eu un doute à ce propos. Donc c’est bien Lachésis qui “décide” du destin, même si les deux autres filent et coupent le lien… Mais de toute façon c’est Zeus qui supervise non, les Parques ne sont que des ouvrières spécialisées ? Ou alors Lachésis préside au véritable “tirage au sort”, donc à une destinée qui ne reposerait que sur le hasard (Ô fortuna) ?
Rhaaaa, un mythophile dans la salle ?
Merci qui? Hein? Merci MOI!!!!
moi je l’ai lu et j’ai pas compris page 15 “mieux vaut le vomi d’un belge que le fils d’un cyclope aveugle” ou un truc dans le genre. Sinon matoo est une pouffe et il cuisine trop mal. Et il pue la chatte. :love: ps : fais chier les pécés (mais pas les pédés)
Oui, très beau livre. Plein d’influences littéraires (le XIXeme siècle, Boris Vian, etc.) Et on est touché de savoir que le vécu de l’auteur se raconte, peut-être, dans ces pages.
Journaliste ? Je ne crois pas.